Yoga : faire ou être ?

L’article ci-dessous est extrait de la revue « Le journal de l’IFYLO » » éditée par l’association régionale IFY Loire-Océan et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.

« Une journée ensoleillée dans les années 80… Un groupe de jeunes enfants s’approche des fenêtres de la salle où nous pratiquons : « Regardez ! Ils font des gestes tout doucement, c’est bizarre ! ». Il est fort probable qu’une telle interrogation n’aurait plus sa place en 2024.
Le Yoga est partout : dans les associations sportives, les médias, la publicité… et chacun a son idée sur ce qu’il est et ce qu’il apporte ou non. Entre l’assise méditative et les postures les plus acrobatiques, un large panel de possibilités peut s’ouvrir dans lequel vont s’inscrire les pratiques les plus diverses. Il y en a pour tous les goûts !
Que ce soit par effet de mode, recherche d’exotisme ou simple curiosité, le choix d’une forme de pratique est le plus souvent guidé par l’envie d’être étonné, d’aller à la rencontre du « nouveau ». Conscient ou non, ce désir est légitime. N’y-a-t-il pas, en effet, un espace qui s’ouvre en nous, espace vivant, sous l’effet de la découverte ? Mais qu’en advient-il à la longue ? Ne serait-il pas judicieux de questionner notre pratique et de la mettre en parallèle avec ce qu’est le Yoga ?

L’intentionnalité du pratiquant :

A la question « pourquoi pratiquer le yoga ? », nous obtiendrons des réponses multiples et variées : rechercher un bien-être
physique, accompagner une amie, mieux se sentir dans sa peau et sa tête, suivre les conseils d’un médecin, trouver la sérénité…autant de souhaits révélateurs de la richesse humaine auxquels la pratique du yoga est censée répondre. Il n’est pas rare que le professeur de yoga, et particulièrement en cours de groupe, ne soit dérouté par une telle diversité. En effet, comment établir un cours conciliant le soulagement d’une douleur de dos et le désir de suivre une voie spirituelle ? Y aurait-il une possibilité de voie commune ?

Āsana , un point de rencontre.

Āsana, la posture, n’est pas la finalité du yoga mais elle en est une marche essentielle. Elle est le point de départ pour la plupart
d’entre nous. La racine en est ĀS qui signifie, selon sa déclinaison : être assis, s’asseoir, être, exister, habiter, être en train de, se trouver, cesser, aboutir. De nombreuses significations donc, qui font de la posture un lieu permettant à tout un chacun de trouver ce qu’il recherche ou d’être à la rencontre de ce qu’il ressent.
À l’écoute des motivations des pratiquants, il est intéressant de remarquer que celles-ci s’expriment en termes de « trop », ou de « pas assez ». Trop d’agitation, de stress, pas assez de calme, de souplesse… Or, si elle est bien conduite, la pratique posturale a pour but de nous amener à un au-delà des « trop» ou des « pas assez», les opposés, dvandva en sanskrit. Elle nous fait goûter un temps d’équilibre vivant, support pour être à l’écoute de notre souffle, du calme de notre mental, ou tout simplement pour nous sentir dans notre Âssiette et reprendre plus sereinementnos activités. Ce qui se résume en fin de pratique par des « ah ! ça fait du bien », ou un temps de silence habité et révélateur.

Nous savons tous l’impact qu’a l’état de notre corps sur notre vécu du quotidien. Le prendre en compte sérieusement, lui et tous nos organes des sens qui le «nourrissent», et lui faire découvrir de nouveaux chemins, influeront sur notre énergie, nos relations avec les autres et notre bien-être. Un «faire», ô combien bénéfique ! «Ce que j’accomplis, m’accomplit» dit Vimala
Thakar.

L’intentionnalité du Yoga :

Si la pratique posturale en est une voie d’accès possible, quelle est la finalité du Yoga ?
Depuis toujours l’être humain veut tenter de mener sa vie comme il le souhaite. C’est son désir le plus profond, un désir fondamental, qui lui donne la sensation d’être libre. Pour y arriver, c’est l’ego qui sera à la manoeuvre. Il dirige nos choix dans nos actions, nous entraînant dans l’attrait ou le retrait, le « faire » ou le « ne pas faire ».
La vie étant multiple et toujours en mouvement, l’ego se sent souvent menacé. Cette peur latente et omniprésente le fait s’accrocher à sa vision des choses : il s’ensuit une agitation quasi-permanente du psychisme donnant à l’ego une sensation illusoire de liberté. Il voit la vie selon ses propres schémas et s’y tient, se privant ainsi de voir la réalité.

La liberté dont nous parle le yoga est toute autre. Pour lui, être libre, c’est être libre de soi, de l’ego qui entraîne le mental dans des agitations sans fin lui donnant une vision voilée de ce qui est. En quelque sorte, le yoga nous propose « un arrêt sur image », en prenant notre temps, un « stop » qui lui seul nous donnera accès à la totalité du vivant. « Le yoga est un chemin pour passer de l’état de dépendance à celui d’indépendance » nous dit T.K.V. Desikachar.

Être, c’est donc goûter cette ultime liberté que le yogasūtra nomme kaivalya et qui clôt le quatrième chapitre du texte. Ce mot dont la racine est eka, un, se traduit par «unité absolue, détachement de tous les liens, sérénité, béatitude…». Cet état se produit lorsque le mental accepte définitivement de voir la réalité telle qu’elle est et non telle qu’il la désire ; lorsque notre cinéma intérieur se tait.
Il correspond aussi au quatrième et ultime but de la vision hindoue de la vie humaine, moksa, la réalisation de soi sur le plan spirituel. C’est dire oui à ce que la vie propose et accepter de lâcher, cesser de s’accrocher. Si quelques êtres, très rares, vivent cette liberté dès la naissance, il est intéressant de voir que l’hindouisme la conçoit pour tous les autres comme couronnement d’une existence pleinement vécue, au cours de laquelle l’acquisition des biens matériels, l’expérience et la jouissance trouvent
leur juste place.
Cette vision des choses s’accorde parfaitement avec celle du yoga dans l’aphorisme II 18 du yoga-sūtra.
Nous devons « faire » avec tout ce qui compose la vie. Nous devons la goûter, la déguster, en jouir. Son but est d’être pleinement expérimentée, d’en voir toutes les facettes. Alors le mental ne s’impose plus. Rapportant les informations données par les organes des sens, il trouve enfin son rôle de transmetteur fidèle, et laisse la place à « cela qui voit en nous », notre être intérieur, notre Conscience-Energie.
Pour Être, nous devons danser avec la vie !

Le yoga en tant que rite ?

Nous accompagnant de l’extérieur vers l’intérieur, la pratique du yoga oriente notre parcours de vie vers plus de profondeur. Une profondeur culminant jusqu’à la présence totale à ce qui est, la sensation d’être au coeur de la vie.
Notre pratique doit être un lieu de transformation.
Le terme « rite » vient du sanskrit « rta » qui signifie harmonie, ordre cosmique, la plus haute vérité. Alors, oui, nous pouvons considérer le yoga comme un rite de passage : passer de la vie ordinaire à un vécu unique. Et, comme tout rite, il a ses codes, ses exigences.
La première exigence est l’engagement. Le terme «atha» qui ouvre le Yoga-sūtra, implique cet engagement. Nous devons être prêts, là, maintenant, mais aussi plus tard, quand les doutes verront le jour. Des résultats positifs se voient rapidement en début de pratique, et nous les attendons tout en nous laissant prendre peu à peu par la routine. Déçus de ne plus avancer, la tentation est grande d’arrêter ou de « zapper », d’aller chercher dans la multiplicité : des postures, des pratiques variées, voire des médias, pour avoir la sensation d’accéder à du nouveau comme celle ressentie au début.

«La patience est une nécessité absolue ! La patience, c’est de ne pas changer de chemin, qu’il se passe ou non quelque chose. » T.K.V. Desikachar

Il est nécessaire de questionner et de ranimer notre engagement. « Là où il y a la volonté, il y a un chemin » nous dit Lao Tseu. Chacun d’entre nous se rappelle pourquoi il est venu au yoga, quelle était la direction, même incertaine, vers laquelle il allait. L’engagement préconisé par le yoga est d’une exigence absolue : être là, avec ce qui est, sans cesse, et y revenir en cas d’échappatoire ! Accueillir l’instant présent, sans attente. La notion d’engagement implique « la mise en gage » de nous- mêmes, l’acceptation de se glisser dans ce passage étroit, la présence, et de s’y donner en toute confiance : c’est un saut dans l’inconnu ! Notre mental est engagé dans un processus de transformation long et impliquant : celui de se détacher de ses empreintes passées, de ne pas les prendre comme support pour anticiper le futur, de faire silence et d’accueillir ce qui se présente : notre attention est mise à rude épreuve.

Vaste programme, qui doit, selon le texte, se poursuivre dans la durée, sans interruption, avec ferveur et persévérance. Alors, de la répétition surgit le neuf !
Il est tentant de parodier, en transformant le premier vers, la dernière strophe du poème « Liberté » de Paul Eluard :
…et par le pouvoir de l’attention
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.

Être là, oui, mais où ?

Notre attention doit se porter là où nous sommes touchés. C’est là que le souffle de vie, prāna, vient à nous. Cette énergie créatrice et spirituelle nous permet d’être au monde mais la plupart du temps nous ne la voyons pas. Nous sommes comme endormis par le poids de l’habitude. Que ce soit dans la pratique posturale, dans l’assise méditative ou dans la relation à l’autre, il nous faut écouter son appel : « réveille-toi, le monde t’attend ! ». Prenons conscience que tout en nous peut respirer. Notre corps est le temple sacré où se joue l’éveil.

Pratiquer le yoga, pourquoi ?

Avancées, reculades…le chemin est long, nous le savons et nous l’expérimentons. Mais parcouru selon les codes du rite qu’est le yoga, la clarté jaillit peu à peu. Nous vivons un nouvel état d’Être. Gagnant en confiance, nous acceptons de vivre la place que la vie nous assigne et les exigences que cela représente.
Alors nous serons prêts pour nous reposer la question du pourquoi : d’où vient cette impulsion, ce désir inné de retrouver l’intime, de se reconnecter à la source de l’être ? Déguisé au départ sous la forme du « pour quoi, à quelle fin (se sentir mieux, s’apaiser…) », le « pourquoi, d’où cela vient-il » se révèlera peu à peu par l’expérience. C’est la vie qui nous enseigne !

Alors, « yoga : faire ou être ? » Laissons la parole aux anciens :

« N’espère pas la libération, fais en sorte que chacun de tes actes soit libérateur » Dôgen (maître Zen japonais)

Asato mā sadgamaya
conduis -moi de l’irréel au réel

Tamaso mā jyotirgamaya
conduis-moi des ténèbres à la lumière

Mrtyormā amrtam gamaya
conduis-moi (de la crainte) de la mort à l’éternité

Brhadāranyaka Upanirad 3 – 28 « 

Dominique ADDA, formatrice IFY – 2025