Cet article est extrait du Journal de l’IFY édité au Printemps 2020.
« J’ai découvert le chant védique grâce à Simone Moors, il y a plus de trente ans alors que je faisais ma formation à l’enseignement du yoga et qu’elle mettait en place du chant védique, fortement encouragée par son professeur, T.K.V. Desikachar. Simone a commencé à animer des stages et créé ensuite en 1997 Svādhyāya, la première école de chant védique en Europe, pour partager cette richesse et former des enseignants de chant. Depuis je n’ai jamais manqué une occasion de suivre son enseignement, seule et en groupe et ce « compagnonnage » au long terme est un véritable cadeau.
Nos rendez-vous ont d’abord été individuels, fidèles à la tradition : le professeur chantait, je répétais – encore et encore, car je n’étais vraiment pas douée ! Simone heureusement pour moi était très patiente – je n’avais pas une bonne oreille, ni reçu d’éducation musicale, mais je possédais une bonne capacité à fermer les écoutilles pour ne pas entendre : autre handicap ! Ces séances étaient donc exigeantes et très implicantes : écoute, répétition, concentration, respiration, proximité avec le professeur qui « percevait tout », j’ai pourtant très vite senti combien elles m’étaient précieuses et bénéfiques.
Grâce à Simone, une voie / ma voix s’est ouverte ! Ce qui est venu tout naturellement enrichir ma démarche de yoga et m’aider dans de nombreux domaines essentiels. J’ai pu expérimenter la puissance des mantra-s et leur portée, tant sur moi que chez les élèves auxquels je propose sessions de chant et stages depuis plus d’une quinzaine d’années. Tentons maintenant de vous présenter de façon non exhaustive les bienfaits du chant védique.
Pratiquer le nāda yoga pour entrer dans le monde de la résonance
« Au commencement était le Verbe », Évangile selon Saint Jean ( Jn1-1).
En Inde aussi, tout naît d’un son – nāda – ou plus exactement, d’une vibration.. Classiquement celle-ci est le oṁ. De nombreux textes de yoga, tels que la Haṭha yoga pradīpikā ou la Bhagavad Gītā, évoquent cette pratique du yoga des sons et des mantra-s, notamment la Gāyatrī, régulièrement proposée pour les samantraka-s prāṇāyāma-s : exercices respiratoires associant des mantra-s aux différentes phases IN – RP – EX – RV et considérés comme plus efficaces encore que les prāṇāyāma-s sans récitation mentale.
Dès le début du Yoga Sūtra, Patañjali évoque le prāṇava ainsi que la répétition japa des sons vācakah comme moyen privilégié pour se relier au monde, au puruåa, à ìøvara, trouver du sens et aller vers plus de clarté, cf. YS I.27 tasya vācakah prāṇavah et I.28 tad japah tad artha bhāvanam (voir article p10-11). Il revient ensuite dans ses différents chapitres sur svādhyāya et la méditation sur le son.
Donner de la voix, vibrer, chanter ensemble, écouter, accueillir le silence, étudier les Upaniṣad-s : autant d’occasions d’intégrer, de nous relier et de nous inscrire au monde. Le beau chant Laghu nyāsa évoque cette communication entre macrocosme et microcosme. Les vibrations se propagent en nous, induisant massage interne, nettoyage des circuits énergétiques et effets psychologiques et émotionnels. Accompagnées de l’étude des significations de tous ces textes, elles ouvrent les voies de la spiritualité.
Dans le Sāmkhya Kārikā, le son øabda est l’élément qui contient tous les autres. Au-delà des effets d’orientation du mental qui devient plus réceptif et paisible, de nos compétences plus grandes à la concentration et à la méditation, s’ouvre un vaste champ d’exploration de notre univers intérieur. La capacité à l’écoute active et réelle se développe, ce qui favorise aussi la relation aux autres.
Cikitsa : soigner par les sons
Les effets évoqués précédemment ne sont pas forcément ceux qui sont ressentis d’emblée, l’impact sur le corps et la respiration sont aussi très importants. Pour moi qui étais asthmatique quand j’ai commencé à pratiquer le yoga et le chant, les bénéfices sont apparus très vite. Nous disposons de nombreux exercices qui permettent de rééduquer la respiration : exploration de l’expiration, mantra-s qui s’allongent, gestion de son énergie, sons proposées dans certaines postures de fermeture, d’ouverture…
Les sons contribuent à nous purifier (physiquement et émotionnellement) par l’activation de jathara agni et les expirations profondes. Ils sont pleinement tapas et peuvent intensifier la pratique : ils activent la digestion, allègent par une action laghima et contribuent à la santé abdominale. Ils peuvent aussi être utilisés en thérapie comme le font beaucoup les professeurs du Krishnamacharya Yoga Mandiram. Cette démarche est alors adaptée à la personne.
« Le son a le pouvoir de modifier les vibrations à l’intérieur et à l’extérieur du corps, et ainsi d’en corriger les altérations », affirme Hélène Foglio, auteur de Yoga, Son et Prière.
Le préalable reste que le pratiquant soit motivé et intéressé, car la voix est aussi ce qui nous révèle, « exposant » nos intentions, émotions, personnalité et histoire.
Aussi devons-nous respecter quelques règles. Même si j’aime le chant védique et suis convaincue de son efficacité, je ne l’impose pas systématiquement dans les cours de yoga. En parallèle, j’anime des sessions et stages spécifiques de chant védique. Pour exemple, j’ai un cours de groupe où plusieurs personnes n’aiment pas les sons, nous y chantons rarement et si cela se produit, je préviens la semaine précédente, il arrive alors qu’une ou deux personnes soient absentes. De même, l’introduction de mantra-s se fait progressivement et ne doit pas « envahir » la séance, les temps de silence sont très importants, car ces techniques sont puissantes. Simone nous a toujours invités à la prudence et au respect de nos élèves. Actuellement le chant védique est à la « mode », mais je suis parfois sidérée de voir comment il est présenté.
Donner de la voix et se libérer !
Platon définissait la voix comme « reflet de l’âme », Barbara comme sa « musique ». Quand tout se passe bien, donner de la voix nous offre plus de présence, de confiance, de joie ! La posture assise tenue régulièrement durant les chants tonifie la colonne, nous redresse, stabilise notre base, les sons assouplissent le diaphragme, délient les nœuds et ouvrent la zone du cœur. S’active alors l’énergie d’udāna (voir YS de Patañjali, III. 39). J’ai ressenti tous ces bienfaits alors que, jeune étudiante, je passais des oraux pour le Capes, puis en enseignant devant des classes plus ou moins sympathiques ! Avec le temps, j’ai amélioré mon élocution, le rythme de ma voix, sa résistance, car malheureusement bon nombre d’enseignants développent des pathologies phonatoires. L’étude des textes rend aussi sensible à la signification, à la portée des mots, des sons ; dans tout enseignement (mais aussi dans chaque communication) cet aspect est fondamental ; dans les formations de nos futurs professeurs IFY, j’insiste sur les compétences de guidage : ni trop, ni trop peu, choix des mots, précision du vocabulaire, rythme et tonalité… Concernant les effets psychologiques et émotionnels du chant védique, j’ai vu aussi comment les élèves de chant évoluaient, s’autorisaient à être eux-mêmes, à développer créativité et confiance, s’exprimaient mieux au point de pouvoir partager des vécus intimes ! Avec le chant en groupe, nous nous sentons portés, entourés, cela crée joie et amitié. En individuel, nous sommes « à découvert » et développons patience et humilité. Initialement le mantra était remis au disciple par son professeur quand celui-ci le pensait prêt, véritable cadeau, il devait être récité en secret et avec respect, divulgué il perdait toute sa puissance.
La relation au professeur s’inscrit dans āgama, le témoignage valide, l’enseignement dispensé, la découverte d’une sagesse immémoriale, l’effet miroir aussi.
Qu’elle soit protégée comme l’exprime cette Invocation de protection extraite de la Taittirīya Upaniṣad :
Oṁ saha nāvavatu
Saha nau bhunaktu
Saha vīryaṁ karavāvahai
Tejasvi nāvadītamastu
mā vidviṣāvahai
Oṁ śāntiśśántiśśantiḥ
Traduction :
Qu’il nous protège tous les deux !
Qu’il nous « nourrisse » tous les deux !
Puissions-nous tous deux œuvrer
conjointement dans un bel effort.
Puisse notre étude devenir vigoureuse et rayonnante.
Puissions-nous éviter tout antagonisme.
Dans la citadelle du corps,
Il y a un petit lotus sans défaut et pur
Qui est la résidence du Suprême.
Plus loin encore, à l’intérieur,
il y a un espace
Que la douleur n’atteint pas.
Méditons sur cela continuellement.
Mahānārāyana Upaniṣad »
Elisabeth RÉMY, formatrice IFY – 2020
Élisabeth Remy enseigne le yoga depuis plus de 30 ans. Elle est membre de l’IFY depuis 1986, formée par Claude Maréchal et Frans Moors, puis par Simone Moors pour le chant védique. Elle anime des cycles de formations à l’enseignement du yoga depuis 2001, tout en continuant son chemin personnel avec Frans et Simone Moors, ainsi qu’en se rendant régulièrement à Chennai.