Yoga et santé, peut-on parler de yogathérapie ?

Cet article est extrait du Journal de l’IFY, numéro du Printemps 2006.

Pour mémoire, tous les exemplaires du Journal de l’IFY et des journaux des associations régionales sont disponibles dans la base documentaire de votre espace privé.

« Le yoga est une approche systémique qui tient compte de la dépendance entre les différentes fonctions de l’organisme
humain, mais aussi entre la personne et son environnement au sens large.
Dans l’enseignement du yoga, le pro­fesseur transmet à son élève une large palette de moyens pratiques, s’adres­sant à ces différents niveaux, pour que celui-ci développe son aptitude à atteindre une stabilité intérieure. Celle-ci, idéalement, transcende les aléas de son histoire et des états qu’il traverse. Chercher à se rapprocher de cet objectif est pour l’élève un facteur de santé important.
L’ayurveda ou « science de la vie », le système de médecine qui s’est développé en Inde parrallèlement au yoga, décrit­ l’équilibre de la personne humaine comme établi sur quatre pieds : l’acquisition d’un confort matériel suffisant; la possibilité de vivre des expériences qui apportent du plaisir ; l’inscription dans un environnement et un système social dans lequel on exerce des responsabili­tés et qui nous soutient ; la capacité à trouver un état de liberté.

Or, lors de la conférence d’Ottawa en1986, l’Organisation Mondiale de la Santé définissait la santé ainsi :  » La promotion de la santé est le processus qui confère auux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci. Cette démarche relève d’un concept définissant ta « santé » comme la mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et, d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne et non comme le but de la vie, il s’agit d’un concept positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles, ainsi que les capacités physiques. Ainsi donc, la promotion de la santé ne relève pas seulement du secteur sanitaire : elle dépasse les modes de vie sains pour viser le bien-être »… Nous pouvons d’emblée remarquer la similitude entre ces présentations.

Une démarche thérapeutique ou une démarche de santé globale ?

Le yoga peut être présenté pour ses applications thérapeutisues. On trouve des ouvrages et des cours dans lesquels sont posées des indications assez précises quna taux postures et pratiques contre-indiquées, et surtout indiquées, dans tel ou tel type de pathologie. A la limite, on ne choisra de pratiquer que ce qui est bon pour l’hypertension artérielle. Or l’organisme humain, et la diversité des constitutions et des modes réactionnels, sont suffisamment complexes pour que l’application de ce type de recettes soit inadaptée. De plus, le champ de l’application de la thérapie est à priori réservé, en France en tout cas, à ceux qui ont fait des études officielles de type médical ou paramédical et qui ont généralement passé des années à acquérir de l’expérience dans leur domaine. Enfin il est vrai que, même lorsqu’elle s’organise autant autour des outils pratiques que des fondements théoriques dont font partie physiologie et pathologie, la formation d’un professeur de yoga est plutôt « généraliste ».

La notion de « yoga-thérapie » est, en tout cas, à manier avec précaution. La mise en application de ce concept l’est également.

Il n’en reste pas moins vrai qu’un professeur de yoga se trouvera fréquemment confronté à des situations dans lesquelles les élèves souffrent de certains troubles. Et il peut jouer un rôle dans ce domaine en ayant conscience de ce qu’il faut éviter de faire pour respecter les limites des possibilités de l’élève et permettre à celui-ci de goûter les bienfaits apportés par des sensations fondamentales (celles des mouvements du corps, de la mobilité de la colonne vertébrale, du va-et-vient toujours différent du souffle, du contact du corps avec le sol ou l’air environnant, …).

Il est rare qu’on puisse isoler complètement le désordre initial de ses répercussions sur tel ou tel autre système de l’organisme. Notamment, l’intéraction entre corps, souffle et psychisme est fondamentale. Le yoga est bien placé pour identifier et prendre en compte ces inter-relations. A ce tire, la métaphore du corps « quintuple » de l’homme comparé à celui d’une tourterelle, présentée dans la Taittirīya Upanisad et souvent commentée par T.K.V. Desikachar, fréquemment utilisée par mes collègues formateurs et moi-même ces dernières années, ma parait très inspirante lorsqu’on l’applique au concept de santé. En effet, cette présentation illustre, de manière particulièrement détaillée, le concept de psychosomatique.

Voici les principales idées que j’en tirerai ici :

1 – Le corps de l’homme est fait de cinq tissus, tissés ensemble et non pas comme des sacs séparés les uns des autres. En même temps que chaque corps est présenté comme « situé plus à l’intérieur » que le précédent, tout se passe comme si les fils entrelacés de ces cinq tissus qu’on peut imaginer de couleurs différentes pouvaient ainsi être distingués les uns des autres. Le mot sanskrit « maya », dénominateur commun à ces cinq tissus, signifie « ce qui se répand, ce qui s’étend ».

2 – Ces cinq trames sont faites :

3 – Les corps entrelacés de l’homme sont représentés comme celui d’un oiseau avec sa tête, ses deux ailes, sa queue, son tronc, chaque partie remplis­sant une fonction essentielle pour l’en­semble.

En raison de cette structure sous forme de tissage, ce qui affecte l’une des trames affecte les autres en même temps.
En d’autres termes : les divers acci­dents de parcours rencontrés par une personne au cours de sa vie laissent en elle des traces. Parfois de manière très limitée, comme de légères contusions, parfois sous la forme de blessures qui aboutiront à des cicatrices elles aussi plus ou moins profondes, souples ou rigides, éventuellement rétractées, par­fois restant douloureuses … En poursui­vant la métaphore de la blessure, parfois seule la peau a été touchée, parfois il s’agit du muscle sous-jacent, voire de l’os ; la cicatrice fibreuse peut entraver la mobilité de la partie du corps concer­née, mais aussi parfois exercer une trac­tion à distance ; pour moins souffrir, la personne peut organiser ses mouvements de telle sorte qu’elle mobilise le moins possible la zone atteinte mais, en consé­quence, s’habituer à des appuis ou des positions déséquilibrés qui peuvent engendrer des problèmes ailleurs dans le corps. La blessure peut toucher en pre­mier lieu les niveaux physique ou psy­chologique, atteindre plus ou moins pro­fondément l’estime de soi ; elle peut déclencher des réactions variées, de la tristesse et dépression à la colère, de la passivité à la violence …

Au traumatisme initial succède une réponse plus ou moins complexe, dépen­dant aussi des caractéristiques de la per­sonne. Plus l’accident initial est impor­tant, ou plus le temps s’est écoulé sans que ses conséquences soient correcte­ment traitées, plus le risque est grand de voir s’organiser et peut-être se fixer ces réactions secondaires.

Le yoga propose de tenir compte, d’emblée, des conséquences directes et des conséquences indirectes.

Ainsi, un déséquilibre dont la cause première est physique, par exemple un traumatisme, a toutes chances de troubler également l’énergie de la personne concernée, sa capacité à réfléchir correc­tement, sa confiance en elle, son état émotionnel. Une action visant à ramener cette personne à un meilleur état d’équi­libre doit toucher, le plus directement pos­sible, au plus près du niveau causal (dans cet exemple, le traumatisme physique).
Cependant, chronologiquement, il est fréquent que les premières actions soient particulièrement consacrées à atténuer les conséquences systémiques négatives de l’événement déstabilisateur ; on se trouvera alors dans de meilleures condi­tions pour agir au plus près de la cause. Comme le ferait le kinésithérapeute qui commencerait par masser et assouplir les muscles contracturés dans une large zone autour de celle qu’a touchée le trauma­tisme initial pour pouvoir agir au point central sans déclencher de réaction de défense de l’organisme.
Et dans un certain nombre de cas, tout ne peut pas être « réparé, et il sera très utile de s’adresser également à d’autres niveaux, pour déclencher des effets béné­fiques indirects. Prenons le cas d’une per­sonne restant handicapée après un acci­dent : du point de vue du yoga, on peut l’aider à retrouver et cultiver son énergie par différents moyens – en particulier par la découverte et le développement des profonds effets de sa respiration -, à inventorier et mettre en œuvre ses res­sources personnelles, à prendre une cer­taine distance par rapport à la souffrance morale induite par la situation …

Le professeur, cherchant à connaître l’élève et à lui proposer des actfons adaptées, développe son travail avec comme premières références la person­ne qu’il a sous les yeux et la connais­sance qu’il a des techniques. Il ajuste peu à peu ses propositions en fonction de ses nouvelles observations et des com­mentaires que lui fait l’élève à la suite de ses pratiques. Car, et ceci est fondamental, l’élève est « actif et interactif ,. dans le pro­cessus de guérison. C’est parce que, à chaque rencontre, il expérimente ce qui lui est proposé, est à l’écoute de ses sen­sations, en fait le rapport au professeur et réfléchit avec lui que le processus prend de la force et de l’efficacité. Au point que l’élève peut devenir de plus en plus capable de trouver par lui-même des solutions.

Quels sont, plus en détail, les outils proposés en yoga pour ce faire?

Par commodité, on peut mettre chaque catégorie de ceux-ci plus spécifi­quement en relation avec chacune des cinq « trames ,, décrites ci-dessus.
– Les pratiques posturales concernent d’abord le « corps de chair », sa char­pente osseuse, articulaire, musculaire.
– Les pratiques de régulation respira­toire s’adressent directement au niveau vital de l’énergie.
– L’exercice de l’attention, la recherche d’une meilleure conscience de ce qui est mis en jeu, la coordination de gestes plus ou moins complexes solli­citent particulièrement le niveau « men­tal».
– L’ajustement spécifique, pour cha­cun, du choix des outils, du type de pra­tique, du type d’interaction respecte avant tout le niveau de la personnalité.
– La proposition d’intentions particu­lières associées à telle pratique postura­le ou respiratoire, d’images, de pra­tiques de son ou de chant est une source d’inspiration qui fait appel au niveau émotionnel de la personne et contribue souvent à mettre les élèves en relation les uns avec les autres.
Mais il est aussi vrai de dire que :

Si l’on y prête attention, chaque pos­ture, par sa forme, peut modifier le sché­ma respiratoire, et aussi susciter certaines attitudes mentales et psychologiques sus­ceptibles de perdurer après la pratique : se tenir stable sur ses deux pieds, se lais­ser « porter par le sol » en position allon­gée, se préparer à l’action dans la postu­re du héros, se recentrer dans une flexion, se poser dans une psoture assise…

De même il a été démontré (cf. Susana Bloch) que la modification volon­taire des rapports entre les phases de la respiration tend à modifier l’humeur en laissant monter les émotions (par exemple la colère, la tristesse, la peur … ) qui, spontanément, auraient déclenché ces mêmes schémas respiratoires. Si l’on y prête attention, ceci peut être ressenti, de manière subtile à l’occasion d’une pra­tique. Le fait de susciter intérêt, ou curiosi­té, ou plaisir dans une pratique, ou d’évoquer des images agréables, modifie la posture et la respiration. Nous pourrions continuer, mais ces exemples paraissent suffisants pour se représenter l’étendue des possibilités d’action du professeur de yoga pour contribuer à maintenir et/ou réinstaurer un équilibre optimal chez un élève donné.

Ainsi le professeur, dans le cadre de la relation qu’il établit avec son élève, est en mesure de jouer un rôle de guide qui observe, comprend au mieux, et oriente ses propositions sur ces bases. Il contribue à apaiser le trouble avant d’envisager éventuellement une action plus précise.

Quel est, en théorie comme en pra­tique, le champ d’action d’un profes­seur de yoga en réponse à des situa­tions pathologiques ?

La réponse à cette question peut être fondée sur les principes évoqués ci-des­sus mais en tenant compte du contexte : pour nous, au XXIe siècle, à l’heure de la mondialisation, dans un pays européen • la France – où les concepts de santé, de thérapie sont abordés avec certaines spé­cificités.
Un professeur de yoga est riche de la formation qu’il a reçue et qu’il a appris à manier, essentiellement dans le champ de sa discipline. Il nous faut également considérer quelles peuvent ! devraient être les rela­tions des professeurs – et pratiquants – de yoga avec les disciplines officielles modernes touchant aux mêmes domaines : en particulier la médecine, la kinésithérapie et les spécialités asso­ciées, le vaste domaine des psychothéra­pies et de la psychanalyse …

Voici quelques pistes de réflexion et de recherche :
a) En sus de sa formation sur le yoga, un professeur a besoin d’intégrer une compréhension des bases de :

b) Sa formation doit pouvoir compor­ter des applications pratiques tenant compte de ce travail théorique :

Pour conclure :

Un professeur de yoga n’est, sauf cas particulier, ni médecin, ni kinésithéra­peute, ni psychothérapeute … Mais il met en œuvre une discipline qui a des effets dans ces différents domaines.
Cette discipline prend en compte les interactions constantes entre tes diffé­rents étages structurels d’un être humain. C’est ainsi que la pratique du yoga peut contribuer à améliorer la santé, par des effets d’abord non spéci­fiques : mettant en jeu tout ce qui « fonctionne ,, bien chez une personne donnée, même souffrante, « fabriquer ,, plus de bien-être en dépit de l’existence de troubles particuliers.

Un professeur bien entraîné à l’obser­vation et au maniement des techniques, en relation avec un élève motivé pour observer et rendre compte de ses réponses aux pratiques proposées, peut ajuster plus finement ses propositions et mener une action d’ordre plus « théra­peutique », terme à manier toutefois avec précaution dans ce contexte, comme on l’a vu. Ces situations sont plus rares et nécessiteraient souvent d’ailleurs des échanges avec des spécialistes.
Un professeur de yoga se trouve sou­vent dans une position particulière : il suit des élèves avec régularité et dans la durée, souvent pendant de nombreuses années, les accompagnant dans les moments faciles et les périodes difficiles. Dans cette démarche, l’élève est actif et acquiert idéalement une connaissance de soi et une autonomie croissantes.
L’inscription de cet apprentissage dans le temps confère à la pratique du yoga la valeur d’un fil conducteur et d’une ressource toujours présente. Par exemple, quelle que soit la condition physique dans laquelle on se trouve, il y a toujours quelque chose à mettre en pratique.

Ainsi le yoga est un des moyens, faci­lement applicable à un niveau indivi­duel, de promouvoir la santé telle que la décrit l’OMS.

Laurence MAMAN, formatrice IFY – 2006