Cet article est extrait de la revue « Aperçus » éditée par l’association régionale IFY Yoga Tradition ÉVolution et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.
« J’exerce le métier de psychomotricienne et travaille depuis un an auprès d’enfants dans un service de consultations hospitalières en pédopsychiatrie et dans un cabinet libéral.
Par ailleurs, j’enseigne le yoga en cours collectifs pour adultes, après avoir effectué la formation d’enseignante avec François Lorin, il y a de cela quelques années !…
Je voudrais témoigner ici combien le yoga interagit dans l’exercice de mon métier de psychomotricienne autant personnellement et dans ma relation aux enfants (et leurs parents), que dans la pratique même du métier et ce qu’il apporte aux enfants qui me sont confiés.
La profession de psychomotricien :
Un petit tour d’horizon de la profession de psychomotricien est sans doute nécessaire.
Le nom même peut donner une idée : « entre psyché et motricité » ; de toute évidence, il s’agit du corps.
« Le psychomotricien fait bouger les personnes dans leur corps pour qu’elles bougent dans leur tête ».
Ce métier quelque peu récent et encore peu connu (reconnaissance dans les années 70 par un diplôme d’État après 3 années d’études) part d’un postulat qui n’est pas sans rappeler les yoga sūtra. Les scientifiques, les universitaires et les professionnels n’ont sans doute rien découvert véritablement !… Toujours est-il que les références de ces derniers sont bien celles de l’anatomie, la physiologie, la neurologie d’une part et la psychologie et la psychanalyse d’autre part. Auxquelles j’ajoute personnellement les yoga sūtra, sans en faire état ostensiblement dans mon milieu professionnel !
Le psychomotricien s’occupe donc du corps, du moins de son investissement. Il met en lumière les interactions entre corps et esprit et reprend le principe que sans le corps, rien n’est possible, pas même la moindre pensée.
Le tout petit enfant a besoin d’être touché, choyé, nourri, porté pour se développer physiquement et s’individualiser. C’est par, avec, dans son corps qu’il sent, ressent et agit. Grâce aux cinq sens, à la proprioception (sensibilité propre aux os, muscles, tendons, articulations qui renseigne sur la position du corps dans l’espace) , à la manipulation et la déambulation, il découvre le monde et construit son mode de pensées et son monde psychique ; il s’ouvre à la connaissance.
Le corps est sans nul doute le véhicule majeur de la communication avec la parole et le langage bien sûr auquel il contribue grandement. Il révèle ce que l’on est au monde, traduit la manière dont on se vit et dont on se sent perçu.
Dans ce métier, il est question :
- de maturation neurologique mais aussi et surtout d’intégration du schéma corporel,
- de l’image que l’on a de son corps et sa représentation mentale,
- des différentes possibilités de l’utiliser harmonieusement lorsqu’il s’agit d’accomplir des gestes volontaires tout autant que de s’exprimer par et avec son corps,
- de se mouvoir et s’émouvoir.
Le psychomotricien agit donc par des méthodes spécifiques, originales, qui se veulent adaptées à chaque individu au plus près de ses besoins, sur l’aspect corporel non seulement versant efficience physique mais aussi en tenant compte des intégrations sensorielle, proprioceptive, cognitive et psychique. Il cherche à améliorer l’adaptation perceptive et motrice de l’individu à son
milieu.
Il s’adresse à tous les âges de la vie. Les séances de psychomotricité pour les enfants sont en général hebdomadaires, de trois quart d’heure en individuel et une heure en petit groupe.
Plus spécifiquement, le psychomotricien observe et traite les troubles de la fonction instrumentale correspondant à :
- l’équilibre statique et dynamique : troubles de la proprioception par ex.,
- les coordinations des différents segments, les praxies (planification et autonomisation de mouvements volontaires) : maladresse, dyspraxie, et problèmes de coordination visuo-manuelle,
- le tonus : troubles de la régulation tonique : hypotonie, hypertonie, dystonie…
- les différentes fonctions motrices : marcher, courir, sauter, prendre, lancer… les troubles et retard du développement,
- la mélodie cinétique : fluidité, saccades, lenteur, rapidité, précipitation des mouvements,
- l’organisation spatio-temporelle : le rapport à l’espace corporel et l’espace environnant, le rapport au temps vécu et organisé : confusion droite-gauche, désorientation, troubles visuo-constructifs,
- la latéralité qui suppose l’observation des symétries et dissymétries du corps : conscience diffuse des hémicorps, difficulté de choix de la main dominante par ex.,
- la motricité fine, le graphisme : troubles de la manipulation, dysgraphie,
- Les discriminations perceptives et sensorielles : dyspraxie visuo-spatiale par ex.
Le psychomotricien peut aussi participer aux soins :
- des troubles de la fonction mentale :
- retards dans les acquisitions et les apprentissages, déficience intellectuelle,
- immaturité psychique et affective,
- troubles comportementaux,
- troubles psychologiques : inhibition, agitation, anxiété, manque de confiance en soi…
- troubles psycho somatiques : douleurs diverses, insomnie, problèmes respiratoires…
- des maladies organiques, neurologiques, mentales, maladies envahissantes du développement (autisme)… et des troubles spécifiques comme par exemple l’hyperactivité ou instabilité psychomotrice, avec ou sans trouble de l’attention, les troubles du caractère comme par ex. l’impulsivité. La liste n’est bien sûr pas exhaustive.
Dans l’exercice de sa fonction et dans sa pratique, il n’y a pas de réponses toutes faites, pas de péréquation entre des troubles et des techniques particulières ou une série d’exercices spécifiques.
Le métier requiert expérience, observation, vécu. Il fait appel à la créativité et à la recherche. Le champ de recherche établissant des liens entre psychisme et corps n’est qu’entrouvert actuellement. En des temps reculés et dans d’autres cultures, si on s’en réfère aux yoga sūtra de Patañjali, il semblait y avoir des évidences !
Bien sûr, il y a l’objet de la consultation : « le symptôme », l’émergence, la manifestation de ce qui dérange, pose problème, fait souffrir, encombre…
Il y a également « la commande » : ce que les parents, les médecins, les éducateurs, les enseignants attendent… Le résultat !
Le symptôme ou la demande : s’ils ne sont pas à ignorer (pour l’un la prise en considération d’une problématique, pour l’autre l’objectif de la prise en charge en psychomotricité), ce sont des pièges redoutables. Ils peuvent en effet cristalliser le problème. Réducteurs, ils peuvent amener même à un certain déterminisme dangereux pour l’enfant.
L’enjeu de la prise en charge est bien de révéler à l’enfant aussi ses qualités, ses potentialités, et de les éclairer afin qu’il puisse s’y appuyer.
La part du Yoga :
Ces valeurs professionnelles de respect de l’enfant dans sa globalité, dans ce qu’il est vraiment, me sont transmises grâce à la
philosophie et la pratique du yoga plus que par toute autre théorie ou enseignement transmis de manière trop souvent didactique. Être avec l’enfant à chaque rencontre comme si c’était la première fois, cultiver l’ouverture dans une présence accueillante, attentive et bienveillante. Dépasser le « faire » pour être dans le ressenti du moment présent, dans l’émergence de l’individualité dans son « entièreté » : laisser advenir et sans juger.
Ces préceptes peuvent paraître évidents dans leur formulation, mais dans la pratique quotidienne, lorsque les enfants se succèdent, que la prise en charge se déroule sur une ou plusieurs années, il est bien difficile de s’y conformer. Quel merveilleux outil qu’est le yoga pour me les rappeler, me permettre de voir que je ne vois plus, de sentir que je ne suis plus attentive ou que mon attitude n’est plus juste ou insuffisamment ajustée, ou que tout simplement, je suis fatiguée, par conséquent la qualité de ma présence est moindre. Il est si facile de faire pour faire, de se perdre, de dériver, d’être là sans être là !…
Être centrée et présente est une vraie exigence personnelle qui demande à être nourrie : ma pratique en yoga est une aide précieuse. Vigilance et effort sont nécessaires pour prendre soin de soi-même quand on soigne ou que l’on tente de soigner les autres. Aussi, je me rappelle les yama-niyama fréquemment dans ma vie professionnelle. Je chemine avec eux.
Quant à l’engagement corporel, les āsana, le travail postural est bien sûr un trésor pour la psychomotricienne que je suis.
Si les techniques employées vont de l’expression corporelle à différents courants de relaxation, des jeux moteurs et psychomoteurs exerçant l’équilibre, la coordination, l’organisation spatiale à des activités rythmiques, etc, l’utilisation, dans une séance de psychomotricité des postures en dynamique, plus appropriées en règle générale à l’enfant qu’en statique, recouvre bien des aspects du développement psychomoteur :
- Elles exercent l’équilibre statique et dynamique, le contrôle postural,
- Permettent la connaissance des différentes parties du corps, leur ressenti et donc l’intégration du schéma corporel de manière structurée, précise et subtile.
- Elles permettent la représentation de l’axe du corps et des hémicorps aidant l’enfant à se latéraliser et à prendre conscience de ses symétries et dissymétries.
- Les postures dans leur aspect sthira-sukha (fermeté et souplesse) agissent directement sur le tonus musculaire.
Elles sont donc indiquées pour les enfants hypotoniques comme pour les enfants hypertoniques. - Elles explorent tous les stades du développement naturel de l’enfant : de la position couchée sur le ventre ou sur le dos, à la position assise, à quatre pattes, à genoux, debout, accroupie… jusqu’à l’exploration des positions inhabituelles riches en sensations nouvelles et en dépassement de soi. A ce propos, un domaine de recherche-action est actuellement en cours, pour mettre en évidence des liens entre des stades de développement psychomoteurs ayant posé problème à l’enfant ou mal intégrés (la déglutition, la mastication, la position assise, debout…) et différents symptômes tels que les dyspraxies, dysgraphies, dysphasies. Des méthodes de rééducation s’emploient alors à revisiter les différents stades d’acquisition de l’enfant par une approche posturale.
- Les asanas utilisées en dynamique permettent à l’enfant de coordonner ses mouvements et plus subtilement les mouvements associés à la respiration.
Il m’arrive fréquemment de pratiquer avec l’enfant, simultanément : ce sont souvent des moments partagés, un peu suspendus où l’enfant procède par imitation bien sûr, mais se trouve surtout dans un rapport de dialogue tonique avec l’adulte. Il s’agit d’un échange corporel énergétique, sans nécessité de parole, ni de contact physique. La respiration, le souffle, l’énergie sont alors impliqués sans explication particulière, or ils sont agissants. Ils développent naturellement l’attention, la concentration.
En général, les postures ou les enchainements sont choisis en fonction des difficultés de l’enfant mais il m’arrive de suivre ses tendances naturelles pour l’amener peu à peu à découvrir ce qui est moins évident pour lui.
Je n’ai pas encore rencontré de technique, de discipline plus complète que celle proposée par le yoga. Si la pratique du yoga constitue un appui et une ressource inestimable pour moi à titre personnel et dans ma profession, je n’ai pas de doute quant à la richesse de son apport pour les enfants qui me sont adressés et qui rencontrent temporairement ou durablement des difficultés.
Reste à faire connaître et reconnaître le yoga et ses bienfaits dans les milieux médicaux, éducatifs, universitaires (école de formation des psychomotriciens) afin qu’il puisse être employé à des fins véritablement thérapeutiques comme il l’est en Inde.
Fabienne BERTOMEU, professeur IFY – 2008