Yoga en famille.

L’article ci-dessous est extrait de la revue « Aperçus » éditée par l’association régionale IFY Yoga Tradition Évolution.

« Notre discipline accueille de plus en plus de néophytes de tous âges aux motivations variées.
Un jour, arrivèrent dans ma salle de yoga deux belles femmes, mère et fille qui rayonnaient d’une intimité évidente. Ravies du cours, elles revinrent la semaine suivante avec le fils âgé d’environ 10 ans qu’elles souhaitaient initier. A les observer pratiquer côte à côte avec plaisir, à saisir le regard attendri de la grand-mère, je me suis demandée ce qui se jouait là. Dans le désir de partager une pratique avec ses proches, qu’introduit-on de neuf dans la relation familiale ? Je trouve intéressant d’en observer les intentions et les effets. Pour cela j’ai recueilli dans mon entourage quelques témoignages d’enseignants, d’élèves en couple et de parents et enfants.

Un précédent qui a ouvert la voie
Avant d’analyser les différents cas de figure, il nous faudrait « remonter à la relation-source », c’est-à-dire à Krishnamacharia. Nous savons que ce grand yogi du XXème siècle, sortant du cadre traditionnel des brahmanes, a rendu la pratique du yoga accessible aux femmes et qu’il a enseigné à son épouse et à ses enfants.
Rappelons qu’en Inde l’enseignement du yoga se fait dans une relation personnelle et que le professeur cumule plusieurs rôles : il accompagne son élève sur les plans physique, psychique, émotionnel et spirituel. Une grande confiance et un lien très fort s’installent donc entre eux.
Mais comment s’est accordé le lien qui unissait Krishnamacharia à ses proches, en particulier à Desikachar, son fils-élève avec sa position d’enseignant ? Quel regard cela ouvre-t-il sur l’autre ? Nous en avons quelques échos par Kausthub, fils de Desikachar qui déclarait dans une interview donnée à Chennai en janvier 2001 : « Mon grand-père était un grand yogi mais pour moi il était tout simplement mon grand-père. Il était très affectueux, la plupart des gens le voyaient comme un homme strict mais il ne l’était pas avec nous. Parfois, enfant j’entrais dans la classe pendant qu’il enseignait et je jouais ou j’observais les pratiquants et cela ne le dérangeait pas. Krishnamacharya n’a jamais été mon professeur, il ne me donnait pas de cours mais il m’a inspiré et je reconnais sa grandeur. Dans la relation avec Desikachar, mon père et également mon professeur, il n’y a jamais eu confusion des rôles, surtout que nous vivions sous le même toit. Quelquefois quand je lui posais une question difficile, il me répondait « Veux-tu que je te réponde en tant que père ou enseignant ? » La position d’enseignant amène donc à prendre une certaine distance.
Voici des exemples plus proches de nous.

Dans la relation enseignant/enfant ou conjoint
Un enseignant a naturellement la propension à vouloir faire bénéficier ses proches des effets du yoga. La fille de Cathy a été initiée très jeune « pour l’aider à se calmer avant les examens et garder la santé physique et psychique ».
Aujourd’hui Charlotte évoque « la joie de partager des moments sereins et positifs en reconnaissant la chance d’avoir une mère yogi »
Chrystelle enseigne à son compagnon et à sa fille pour les amener vers la détente, plus de conscience du corps, à être bienveillants envers eux-mêmes et apprendre à respirer.
Daniel, enseignant depuis longtemps a ouvert ses proches à une pratique adaptée à leurs besoins tout en soulignant qu’il ne s’agit pas de se prendre « pour le prof en chef et d’imposer son avis ».
Sonia, 25 ans, dit que le fait d’avoir des parents impliqués dans le yoga apporte une « zen attitude » au quotidien. « En comparant avec mes amis, je pense avoir eu une éducation plus douce et un mode de vie à la maison plus détendu et le yoga n’y est sans doute pas pour rien. Cela m’a apporté une ouverture d’esprit, une invitation au travail sur soi et à la spiritualité. Plus jeune je pense avoir eu une sorte de « rejet » et bien sûr je n’ai pas voulu en faire. Mais avec le temps, ça m’intéresse de plus en plus et je me tourne maintenant vers la méditation.

A l’adolescence, il n’est pas rare que l’enfant refuse d’être guidé par un parent yogi, mais on constate, à l’instar de Sonia que les fruits viennent plus tard.
Kausthub a avoué qu’il faisait du yoga parce que c’était obligatoire dans la famille mais n’en avait pas vraiment envie.
Sur le tapis, l’enseignant peut-il voir l’être aimé avec distance, comme il regarde ses autres élèves ?

En couple
Ils pratiquent souvent ensemble en cours collectifs, l’un des deux le plus souvent s’étant montré l’initiateur.
Pascal a eu envie de fournir à Sylvie « un outil pour se sentir mieux, combattre le stress ». Résultat, dix ans plus tard, c’est elle qui se destine à l’enseignement du yoga !
Mais on voit parfois se dessiner un écart et la tentation d’une attente envers l’autre. Myriam va aux cours de yoga avec son mari qui y améliore sa souplesse mais il lui fait remarquer qu’elle n’est pas aussi détendue qu’il l’espérait après une séance. Risque d’accorder au yoga des « pouvoirs magiques » pour tout résoudre ?
Certains ne peuvent s’empêcher de « déborder » de l’exercice en faisant des remarques en public au conjoint, empiétant ici sur la sphère privée mais avec humour et tendresse. Quelquefois l’intention pour l’autre revient en effet miroir. Nathalie a proposé le yoga à André « pour qu’il se pose et relativise » et elle constate que cela lui permet à elle aussi de relativiser.
Chez Christine et Marcel, le yoga est omniprésent. Tous deux pratiquent intensément et en parlent au foyer. Cela leur a permis d’évoluer dans la même direction, de faire ensemble stages et voyages.

Parent et enfant
Il s’agit d’un adulte qui a découvert les bienfaits du yoga et entraîne son enfant au cours ou d’un petit qui a été initié dans le cadre scolaire et en parle en famille.
Dans mon entourage se trouvent deux familles remarquables dont mère et enfants pratiquent tous mais dans des groupes différents selon l’âge.
L’objectif du parent était « gestion du stress, écoute de son corps, trouver la paix dans les moments difficiles, les ouvrir à d’autres choses ».
Je constate qu’ils en parlent souvent en famille et pratiquent parfois ensemble.
Céline, mère de Paul, 5 ans et de Zoé, 8 ans « Quand je fais du yoga à la maison, ils comprennent mieux et quelquefois prennent un tapis et s’y mettent spontanément. Quand ils sont angoissés le soir, on travaille la respiration et s’ils me sentent stressée, ils m’encouragent à aller au yoga alors qu’avant ils me reprochaient de les laisser seuls. J’ai donc
l’impression que nous parlons la même langue ou plutôt on apprend en même temps un nouveau langage ».
Paul, d’un ton malicieux m’a dit un jour « moi j’aime bien montrer à maman cette posture ».
Sandrine a proposé à son fils de 15 ans de venir pour gagner en souplesse et apprendre à se relaxer.
J’observe que dans ce cours d’adultes Alexandre se sent à l’aise et vient assidûment depuis un an.
Viviane dit trouver, par la pratique, de quoi « se calmer dans les moments d’exaspération » et après la séance avec ses trois enfants, nous faisons le point sur leur évolution qui est très positive, compte-tenu du caractère de chacun. A la question « la pratique commune a-t-elle modifié vos relations ? » qu’il s’agisse de couples ou de parents/enfants, plusieurs réponses négatives mais aussi :
• oui, cela a enrichi notre relation qui est devenue plus profonde et apaisée ;
• cela a apporté une meilleure écoute en acceptant les différences ;
• le yoga nous a aidés à apaiser des tensions et les incompréhensions dans le couple ; il y a un plus grand respect ;
• nous apprécions ces moments de partage et de complicité.

La pratique ensemble
Sur le tapis, restons-nous vraiment en nous-mêmes ou gardons-nous le regard tourné vers le jeune ou le partenaire qui nous accompagne ?
J’ai plusieurs fois observé qu’un grand-parent, qui à l’occasion de vacances entraîne au cours un de ses petits enfants, ne peut s’empêcher de le guider voire le corriger sur une posture.

Conclusion
Ces lignes sont une ouverture sur un sujet que vous êtes invités à alimenter de vos avis.
Enseignants et parents, interrogeons-nous sur le regard porté aux « graines en éveil » que sont les enfants et sur nos attentes envers eux. Par le yoga ils s’approprient une liberté qui parfois nous fait défaut et ils aiment, en renversant les rôles, se montrer les « professeurs » de leurs parents.
Laissons-nous l’enfant découvrir une autre facette de notre être lorsque nous sommes « à égalité » sur le tapis ?
Entre adultes, observons si l’esprit de la pratique, et en particulier les YAMA et NIYAMA ne pourrait introduire plus de tolérance et nous éviter le jugement.
Enfin, le yoga visant à révéler notre nature profonde au-delà de notre âge, sexe et conditions de vie, n’est-ce pas là le lieu propice à laisser émerger ce qui nous RELIE fondamentalement en tant qu’êtres humains ?

Florence Destombes, Professeur IFY – 2018