T.K. Krishnamacharya

L’article ci-dessous est extrait du Journal de l’IFY- Automne 2008

« Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de Tirumalai Krishnamacharya, mais il a influencé, voire même presque
« inventé » le yoga.

Que vous pratiquiez les séries dynamiques de Pattabhi Jois, les alignements épurés de B.K.S. lyengar, la posture classique d’lndra Devi, ou les vinyāsa personnalisés, votre pratique découle d’une seule et même source : un brāhmane de 1,58 m, né il y a un peu plus de cent ans dans un petit village du Sud de l’Inde. Beaucoup de ses contributions sont si bien intégrées dans le développement du yoga qu’on en a oublié la source.

On dit qu’il a donné un accent nouveau à śisāna (la posture sur la tête) et sarvārigāsana (la chandelle). C’était un pionnier des postures épurées qu’il enchaînait de manière optimale, attribuant une valeur thérapeutique à certains āsana.

En combinant āsana et prānāyāma comme cela n’avait jamais été fait auparavant, il a contribué à ce que les postures deviennent une partie intégrante de la méditation au lieu de constituer une étape menant à celle-ci. On voit très clairement l’influence de T.K. Krishnamacharya dans l’importance qu’il accorde à la pratique des āsana, caractère essentiel du yoga aujourd’hui.
Il est probable qu’aucun yogi avant lui n’avait développé les pratiques de manière si élaborée. Dans ce processus, il transforma le « hatha » (autrefois méandre du yoga) en courant central du yoga. La résurgence du yoga en Inde est surtout due à ses innombrables conférences et démonstrations dès le début des années 1930, et au rôle déterminant joué par cinq de ses disciples les plus connus : Jois, lyengar, Devi et T.K.V. Desikachar, ce dernier étant le fils même de T.K. Krishnamacharya. Ils ont joué un rôle majeur dans la divulgation d’un yoga de qualité en Occident. Il est curieux de constater combien l’évolution de T.K. Krishnamacharya, homme aux multiples facettes, influence encore le yoga que nous pratiquons aujourd’hui.

T.K. Krishnamacharya débuta sa carrière d’enseignant en perfectionnant une version stricte du hatha-yoga. Puis, poussé par le contexte historique à s’adapter, il devint l’un des réformateurs fondamentaux. Certains étudiants se souviennent de lui comme d’un enseignant rigoureux et pétillant de vie.
B.K.S. lyengar me dit que T.K. Krishnamacharya aurait pu être un saint, car il avait bon caractère et qu’il n’était nullement égocentrique. D’autres ont en mémoire un gentil mentor qui les chérissait individuellement. T.K.V. Desikachar par exemple décrit son père comme un serviteur du yoga, qui mettait souvent les sandales de son dernier guru sur sa tête en signe d’humilité.
Émergeant de l’ombre, l’univers du yoga que T.K. Krishnamacharya hérita à sa naissance en 1888 semblait très différent de celui d’aujourd’hui. Sous la pression des lois coloniales britanniques, la pratique du hatha-yoga était quasi inexistante dans l’Inde de l’époque. Seul persistait un cercle réduit de pratiquants. Mais dans la moitié du dix-neuvième siècle et le début du vingtième, un mouvement hindou insuffla une nouvelle vie à l’héritage ancien.

Jeune homme, T.K. Krishnamacharya en fit son cheval de bataille et apprit plusieurs disciplines de l’Inde classique: le sanskrit, la logique (nyaya), la musique, les rites, le droit et les fondements de la médecine indienne (âyur-veda). Avec le temps, il orientera ses vastes connaissances vers l’étude du yoga, dans laquelle il synthétisa la sagesse de ces traditions.

T.K. Krishnamacharya racontait toujours cette l’histoire : il trouva un vieil homme aux portes du temple qui lui indiqua un bosquet de manguiers. T.K. Krishnamacharya marcha vers le bosquet où, exténué, il perdit connaissance. Quand il revint à lui, il remarqua trois yogi réunis. Son ancêtre Nāthamuni était assis au milieu. T.K. Krishnamacharya se prosterna et lui demanda d’être instruit. Des heures durant, Nāthamuni lui chanta des vers du Yoga-Rahasya ([‘Essence du yoga), un texte disparu il y a plus de mille ans. T.K. Krishnamacharya le mémorisa et plus tard transcrivit ces vers.

Après son expérience auprès de Nāthamuni , T.K. Krishnamacharya poursuivit son exploration parmi un large éventail de disciplines classiques indiennes obtenant des diplômes en philologie, logique, divinité et musique. Il pratiqua le yoga d’après les rudiments tirés des textes et d’entretiens occasionnels -un yogi, mais il approfondit l’étude du yoga ainsi que son père le lui avait conseillé. Un professeur de l’université Calcutta, voyant l’intérêt du jeune T.K. Krishnamacharya pour le yoga, l’encouragea à se rendre chez un maître du hatha-yoga qui vivait au Tibet. C’est ainsi qu’après bien des péripéties, il arriva auprès de celui qui devint son maître en yoga et médecine traditionnelle (āyur-veda). Après plus de sept années d’étude quotidienne, son maître (guru) lui enjoignit de retourner en Inde et à son tour, d’y enseigner le yoga.

L’éducation de T.K. Krishnamacharya lui aurait permis d’occuper une position dans de nombreuses institutions prestigieuses, mais il renonça à cette opportunite et choisit d’honorer la demande d’adieu de son guru. Malgré sa solide formation, T.K. Krishnamacharya rentra chez lui dans la pauvrete. Dans les années 1920, les temps étaient durs pour un enseignant de yoga, les élèves s’intéressant à cette discipline étaient peu nombreux.

T.K. Krishnamacharya n’avait parfois qu’un ou deux élèves. Pour survivre, il dut accepter différents types d’engagements temporaires. Afin d’enseigner le yoga, il sentit qu’il devait d’abord attirer l’attention des gens. C’est ainsi qu’il chercha à populariser le yoga en montrant ses habiletés extraordinaires : suspendre son pouls pendant de longs moments, arrêter des voitures avec ses mains, exécuter des postures très difficiles à réaliser, soulever des objets lourds avec les dents… Ces démonstrations avaient pour but de stimuler l’intérêt des gens de l’époque pour une tradition moribonde.

Développement des vinyāsa

C’est en 1931 que la chance commença à lui sourire. Il fut invité à enseigner au Collège sanskrit de Mysore. Là, il reçut un salaire décent et l’opportunité de se consacrer à l’enseignement du yoga à plein temps. Les souverains de Mysore avaient longtemps défendu les arts autochtones et cherchaient à raviver la culture ancestrale. Promouvant le hatha-yoga depuis plus d’un siècle, leur bibliothèque abritait l’une des plus anciennes compilations illustrées d’āsana connues jusqu’alors, la Sritattvanindhi (traduite en anglais dans The Yoga Tradition of the Mysore Palace, Adhinav Publications, New Delhi, 1999).

Pour T.K. Krishnamacharya débuta alors une des périodes les plus enrichissantes durant laquelle il développa ce que l’on appelle aujourd’hui l’ashtānga-vinyāsa-yoga. Ses élèves étant principalement de jeunes garçons dynamiques, il puisa dans plusieurs disciplines, y compris le yoga, la gymnastique, la lutte indienne, pour développer des enchaînements de postures réalisées en dynamique et renforcer ainsi leur forme physique. Ce style d’enchaînements (vinyāsa-krama) emprunte les mouvements de la salutation au soleil (sürya-namaskāra) pour passer d’une posture à l’autre d’une manière fluide et originale. Chaque mouvement est coordonné par la respiration et les «points du regard» (drishti) indiqués, afin de fixer le regard et d’inculquer la concentration méditative.

T.K. Krishnamacharya normalisa ces enchaînements de postures en séries ou niveaux d’intensité : élève débutant, moyen et avancé. Les étudiants, répartis selon leur expérience et leur habileté, devaient mémoriser et maîtriser chaque enchaînement avant de passer au suivant.

Pattabhi Jois rencontra T.K. Krishnamacharya durant les années difficiles, avant Mysore. Jois, un enfant robuste de 12 ans, assista à une conférence de T.K. Krishnamacharya. Intrigué par la démonstration d’āsana, il demanda à T.K. Krishnamacharya de lui enseigner le yoga. Les leçons commencèrent le lendemain, bien avant que la cloche de l’école sonne, et se poursuivirent tous les matins durant trois ans jusqu’à ce que Jois quitte la maison pour le collège sanscrit. Quand T.K. Krishnamacharya obtint son poste d’enseignant au collège presque deux ans après, ce fut un Pattabni Jois enchanté qui reprit ses cours de yoga.

Jois retint une profusion de détails de ces années d’étude auprès de T.K. Krishnamacharya. Des décennies durant, il préserva ce travail avec grande dévotion, épurant et altérant les enchaînements d’āsana sans modification signifiante, plus comme un violoniste classique qui nuancerait le phrasé d’un concerto de Mozart sans jamais en changer une note. Jois a souvent dit que le concept de vinyāsa viendrait d’un texte ancien : le Yoga Kuruntha. Malheureusement le texte a disparu : personne aujourd’hui ne l’a vu. Il existe tellement d’histoires sur sa découverte et son contenu (j’en ai entendu au moins cinq versions différentes), que certains mettent en doute son authenticité. Quand j’ai demandé à Jois s’il avait lu une fois ce texte, il répondit« Non, seulement T.K. Krishnamacharya ». Jois relativisa son importance, indiquant qu’ils avaient travaillé d’autres textes sur le yoga tel le Hatha Yoga Pradipikā, le Yoga Sūtra et la Bhagavad Gitā.

Bouleversant la tradition

Bien que T.K. Krishnamacharya donnât des cours aux enfants et aux jeunes hommes au Palais de Mysore, ses démonstrations en public attiraient de plus en plus gens de divers horizons et ce défi l’enchantait. Lors de ses fréquentes tournées qu’il appelait « voyages de propagande », il présentait le yoga aux soldats britanniques, aux Maharajas musulmans, et aux Indiens de toutes croyances religieuses.

T.K. Krishnamacharya souligna l’importance de respecter la foi de chaque étudiant car le yoga peut servir tous les credos. Malgré le fait qu’il tissait des liens entre les classes, les cultures et les religions, l’attitude de T.K. Krishnamacharya vis-à­vis des femmes restait cependant patriarcale. Le destin allait lui jouer un tour : le premier élève à amener le yoga sur la scène internationale assisterait à ses cours en sari. Et une occidentale par-dessus le marché ! Après un an d’apprentissage auprès de T.K. Krishnamacharya, il la forma comme professeur de yoga. Il lui demanda d’apporter un cahier et lui dicta des jours durant, l’instruisant en matière de yoga, d’alimentation et de prānāyāma. De cet enseignement, Devi rédigea un livre, le premier best-seller sur le hatha-yoga : Forever Young, Forever Healthy, Prentice Hall, Inc., 1953.

Quelques années plus tard, Devi fonda la première école de yoga à Shanghai, en Chine, où Mme Chiang Kai-shek devint son élève. Considéré comme illégal en Union Soviétique, elle parvint finalement à enseigner le yoga en convainquant les autorités qu’il ne s’agissait point d’une religion.

En 1947, elle s’installa aux États-Unis. Vivant à Hollywood, elle devint « la première dame du yoga », attirant des célébrités comme Marilyn Monroe, Elisabeth Arden, Greta Garbo et Gloria Swanson.

Grâce à Devi, le yoga de T.K. Krishnamacharya jouit d’une reconnaissance internationale. Devi conserva toujours un ton doux lorsqu’elle donnait cours. Bien que son style n’employât pas de vinyāsa, elle utilisa les principes de l’enchaînement de T.K. Krishnamacharya, ses cours était un parcours qui commençait par des postures debout, se dirigeait progressivement vers une āsana principale, puis vers des postures complémentaires, et finissaient par une relaxation.

Comme pour Jois, T.K. Krishnamacharya lui enseigna à āsana et prānāyāma. Les étudiants dans sa lignée réalisent encore chaque posture avec les techniques de respiration indiquées. Devi ajouta un aspect de dévotion à son travail, qu’elle appela Sai Yoga. La posture principale de chaque série incluait une invocation; ainsi une méditation sous forme de prière oecuménique constituait l’axe de chaque pratique.

Bien que Devi développât ce concept, il devait avoir été présent de manière embryonnaire dans les enseignements qu’elle reçut de T.K. Krishnamacharya. À la fin de sa vie, T.K. Krishnamacharya, recommanda aussi des chants de dévotion dans les pratiques d’āsana. À Buenos Air_es, il est difficile de rencontrer quelqu’un qui n’ait pas entendu parler d’elle. Elle a influencé toutes les couches de la société latine : le conducteur de taxi qui me conduisit chez elle pour une interview la décrivit comme une « femme pleine de sagesse ». Le lendemain, le Président argentin Menem vint lui rendre visite pour lui demander conseil et avoir sa bénédiction. Les six écoles de yoga de Devi proposent quinze cours d’āsana par jour et délivrent des diplômes d’enseignant de yoga suivant un programme de quatre ans d’études, diplôme reconnu internationalement.

L’enseignement à lyengar

Alors que T.K. Krishnamacharya formait Devi et Jois, il donna quelques cours à un enfant nommé B.K.S. lyengar qui grandirait et finirait par jouer un rôle déterminant en introduisant le hatha­yoga en Occident. Il est difficile d’imaginer à quoi ressemblerait notre yoga sans sa contribution : l’articulation systématique et détaillée avec précision de chaque āsana, sa recherche sur les applications thérapeutiques et son système de formation rigoureux à multiples paliers qui a forgé des professeurs si influents. Et pourtant rien ne prédisposait lyengar à un tel destin.

Lorsque T.K. Krishnamacharya invita B.K.S. lyengar chez lui (l’épouse de T.K. Krishnamacharya était la soeur de B.K.S. lyengar) il prédit à l’adolescent raide et maladif qu’il ne réussirait pas dans le yoga. En fait, leur histoire ressemble à un roman de Dickens. T.K. Krishnamacharya pouvait être un enseignant très sévère. Au début il eut beaucoup de mal à donner cours à lyengar qui passait ses journées à arroser les jardins ou occupé à d’autres tâches.

Keshavamurthy est à l’origine de leur amitié car il était le protégé de T.K. Krishnamacharya et le compagnon de chambre de B.K.S. lyengar. Les évènements prirent une tournure inespérée. Keshavamurthy disparut un matin et ne revint plus. Y.K. Krishnamacharya, absent quelques jours pour une importante démonstration au yogashala, comptait sur son protégé pour réaliser quelques asana. Pour résoudre le problème, Krishnamacharya dut vite apprendre à lyengar une série de postures difficiles.

Le rapide apprentissage de B.K.S. lyengar prit fin brusquement. Après une démonstration de yoga au Nord de la province de Karnataka, un groupe de femmes demanda à être instruit par T.K. Krishnamacharya qui choisit B.K.S. lyengar, son plus jeune étudiant, pour guider ce groupe car hommes et femmes ne pouvaient étudier ensemble à cette époque. Elles furent si impressionnées que T.K. Krishnamacharya désigna B.K.S. lyengar comme leur instructeur. Loin de son guru, ce fut la seule manière pour B.K.S. lyengar d’approfondir ses connaissances sur les postures, de les explorer avec son propre corps puis d’analyser leurs effets. Avec l’aide de Ramamani, B.K.S. lyengar peaufina et progressa dans les āsana transmis par T.K. Krishnamacharya.

Au cours des années 30, 40 et 50, la réputation de B.K.S. lyengar comme enseignant et guensseur allait grandissant. Il connut la célébrité auprès d’étudiants, tel le sage et philosophe Jiddhu Krishnamurti et le violoniste Yehudi Menuhin ce qui favoriserait la transmission de ses enseignements aux étudiants occidentaux. Dans les années 60, le yoga fera partie de la culture mondiale et lyengar sera reconnu comme l’un de ses principaux ambassadeurs.

Dans les années 20, T.K. Krishnamacharya dut se battre pour trouver du travail. Il finit par quitter Mysore et accepta un poste d’enseignant au Collège Vivekananda à Chennai. Avec ses nouveaux élèves issus de toutes conditions sociales avec des problèmes de santé divers, T.K. Krishnamacharya découvrit de nouvelles manières d’enseigner le yoga. Étant donné que ses cours accueillaient autant les élèves avec moins d’aptitudes physiques que ceux qui souffraient d’incapacités, il se concentra sur l’adaptation individuelle des postures.

T.K. Krishnamacharya semblait bien disposé à appliquer ces techniques à la plupart des défis de santé. Un jour un médecin lui demanda d’aider une personne victime d’une attaque. T.K. Krishnamacharya manipula les membres inertes du patient dans plusieurs postures, c’était une thérapie physique yogique. Comme avec beaucoup de ses élèves, la santé du malade s’améliora, d’où sa réputation de guérisseur.

Préserver la flamme allumée

Bien que né dans une famille de yogi, T.K.V. Desikachar ne sentit pas le désir de suivre la vocation. Enfant, il se sauvait lorsque son père lui demandait de pratiquer d’āisana. Un jour, T.K. Krishnamacharya l’attrapa et l’attacha pieds et mains en baddha padmāsana (la posture du lotus lié) et le laissa ainsi une demi-heure. Bien que cette pédagogie ne stimulât pas, T.K.V. Desikachar à étudier le yoga, l’inspiration vint finalement par d’autres voies.

T.K. Krishnamacharya n’accueillit pas favorablement le nouvel engouement de son fils pour le yoga. Il lui demanda de poursuivre ses études d’ingénieur et de laisser en paix le yoga, mais T.K.V. Desikachar désobéit. Il refusa un emploi à Delhi, trouva du travail dans une firme locale et n’eut de cesse de réclamer des cours. Finalement T.K. Krishnamacharya revint sur sa décision. Pour être assuré du sérieux de son fils ou pour le décourager peut-être, T.K. Krishnamacharya lui imposa de commencer les cours à 3h30 tous les matins. T.K.V. Desikachar se plia aux exigences de son père, mais insista sur une condition : pas de Dieu.

En tant qu’ingénieur pragmatique, T.K.V. Desikachar pensait qu’il n’avait pas besoin de religion. Son père respecta son souhait et ils commencèrent les leçons avec des āsanas en chantant les Yoga Sūtra de Patañjali. Comme ils vivaient dans un appartement d’une pièce, la famille entière devait se joindre à eux à moitié endormie. Les leçons se poursuivraient durant 28 ans, sans toutefois commencer aussi tôt.

Au fur et à mesure que les étudiants évoluaient, T.K.V. Desikachar observa que T.K. Krishnamacharya insistait non seulement sur des āsana plus difficiles mais développait aussi les aspects spirituels du yoga. Il comprit que son père sentait que toute action devrait être un acte de dévotion et chaque āsana mener vers le calme intérieur. T.K. Krishnamacharya insistait beaucoup sur la respiration à cause de ses implications spirituelles et de ses bienfaits physiologiques.

Selon T.K.V. Desikachar, Krishnamacharya décrivit le cycle de la respiration comme un acte d’abandon : « lnspir, Dieu s’approche de vous. Rétention à poumons pleins, Dieu reste auprès de vous. Expir, vous vous rapprochez de Dieu. Rétention à poumons vides et vous vous abandonnez à Dieu. »

Préserver l’héritage

Aujourd’hui, T.K.V. Desikachar perpétue l’héritage de son père en supervisant le Krishnamacharya Yoga Mandiram à Chennai, en Inde, où toutes les approches contrastées du yoga Krishnamacharya sont enseignées et ses écrits traduits et publiés, Avec le temps, T.K.V. Desikachar a embrassé l’enseignement de son père, aussi vaste soit-il, y compris sa vénération à Dieu. Mais il comprend aussi le scepticisme occidental et met l’accent sur la nécessité de débarrasser le yoga de ses fioritures hindoues afin qu’il puisse être véhiculé entre les peuples.

La vision du monde de T.K. Krishnamacharya découlait de la philosophie védique, alors que celle du monde occidental moderne s’inspire de la science. Connaissant les deux sources, T.K.V. Desikachar voit son rôle de traducteur, qui transmet la sagesse traditionnelle de son père au monde moderne. Malgré les trente années passées auprès de celui-ci en tant qu’élève, T.K.V. Desikachar prétend n’avoir glané que les fondements de l’enseignement paternel.

Tant les domaines d’intérêt de T.K. Krishnamacharya que sa personnalité ressemblent à un kaléidoscope, le yoga ne représentant qu’une petite partie de toutes ses connaissances. Il étudia également des disciplines telle la philologie, l’astrologie ainsi que la musique. Il élabora des préparations avec des plantes dans son propre laboratoire ayurvédique.

En Inde, il est surtout connu comme guérisseur, moins comme yogi. C’était aussi un fin cuisinier, un horticulteur et un habile joueur de cartes. Mais au bout du compte, il y a ce vaste héritage qu’il laissa. Aussi diverses les pratiques des différentes lignées de T.K. Krishnamacharya soient-elles devenues, la passion et la foi dans le yoga reste leur héritage commun. Le message tacite transmis par son enseignement est que le yoga n’est pas une tradition statique; c’est un art qui vit, qui respire et qui se développe constamment à travers les expérimentations et l’expérience approfondies de chaque pratiquant. »

Ernando Ruiz, journaliste – Traduction de Marie Bellon & Frans Moors