L’article ci-dessous est extrait de la revue « Trait d’union » éditée par l’association régionale IFY Lyon-Centre-Est et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.
« De prime abord, s’adapter parait être une gageure car pour l’homme le changement est une souffrance. Dans les Yoga-Sūtra (YS) de Patañjali, le YS II 15 nous dit que pour le sage, tout contribue à la souffrance : le changement, nos peines, notre difficulté à modifier nos habitudes et même les variations de contextes déterminés par les guna¹.
La Bhagavad Gita (verset 14 sloka 10) précise : “Jamais entre les guna ne cesse la lutte pour régner”, ce qui nous promet du changement à perpétuité…, source de souffrance intarissable !
Il faut du discernement et du courage pour adapter. Qui d’entre nous n’a pas un jour préféré rester (consciemment et inconsciemment) dans une posture ou une situation de vie inconfortable et insatisfaisante plutôt que d’adapter ?
LA QUALITÉ DU VIVANT :
Le mot “viniyoga” (vi= discriminant et niyoga= application) apparait au YS III 6. Souvent traduit par “adaptation”, ce mot invite à ajuster nos pratiques en fonction de nos dispositions, de nos intérêts. S’adapter est au coeur de l’enseignement du yoga de l’IFY.
Il me semble important de préciser que, dans la pratique posturale et même plus largement, adapter n’est pas seulement un synonyme de diminuer : il s’agit de s’approprier les propositions, non pas pour les déformer, pour s’économiser ou pour faire briller l’ego mais pour faire une expérience vivante. En musique, on parle de transposition quand, par exemple, pour accompagner un chanteur, le pianiste doit décaler toute la partition vers des notes plus aigües ou plus graves. On parle aussi de transposition en droit (dans l’application d’une loi européenne au niveau d’un pays), aux échecs et dans bien d’autres domaines.
Transposer comme s’adapter n’est pas uniquement une simplification ou une réduction, c’est plutôt la considération de ce qui est, puis, l’harmonisation de l’action avec ce qui est.
CHOISIR LA FLUIDITÉ :
Dans le mot “adapter”, nous trouvons le préfixe latin ad (= vers) et la racine verbale sanskrite āp qui signifie atteindre, gagner, satisfaire. Cette racine a donné toute une série de mots autour du mot āpo, l’eau. Le mot “adapter” véhicule intrinsèquement les notions de fluidité et de réussite. “S’adapter” serait alors rendre les situations fluides, faire en sorte que “ça” circule, que “ça” reste en mouvement. S’adapter serait alors rester vivant, ce serait même un outil de résilience ? S’adapter c’est oublier ce qu’on a perdu (momentanément ou définitivement) et aller voir ce que l’on peut trouver. C’est adopter les qualités majeures de l’eau : elle ne résiste pas à la gravité et s’infiltre dans la moindre ouverture pour continuer son parcours. Elle est aussi polymorphe (liquide, solide, gazeuse). Ainsi āp nous invite à saisir les opportunités qui s’offrent à nous et appréhender, découvrir en toute confiance où cela nous mène.
PRENDRE LE TEMPS DE S’ORIENTER AVANT DE SE DIRIGER :
Lorsque nous sommes en proie au changement, nous devons faire face à nos peurs (abhiniveśa), considérer ce qui est de l’ordre de l’attachement (rāga) ou du rejet (dveṣa), subir les assauts de nos ego (asmitā) et remettre en question nos conditionnements (saṃskāra). C’est bien là tout le projet du yoga, car tout ce beau monde nous empêche de prendre
de bonnes décisions voire de nous adapter et donc d’évoluer !
Penchons nous sur les mots “diriger” et “orienter”.
Bien que synonymes, ils n’ont pas le même sens. “Diriger” indique un déplacement vers, la décision d’une mise en marche, d’une application. “Orienter”, (du latin oriens= se lever d’où orient= l’est = d’où se lève le soleil) signifie littéralement se tourner vers le lieu d’où surgit (malgré nous) la lumière et la chaleur.
Depuis la nuit des temps, l’homme attend et célèbre ce moment de l’apparition du grand Astre, moment émouvant s’il en est, symbole d’espérance et de renouveau. Dans de nombreuses cultures, le lever de soleil est associé à des rites. Peut-être, vous aussi, pratiquez-vous la “salutation au soleil” au saut du lit ?
Avant de se diriger, il faut parfois du temps pour trouver la bonne orientation : on le voit bien avec nos adolescent(e)s qui au lycée doivent choisir leur orientation professionnelle pour diriger leurs études…
Dans la pratique posturale comme dans les évènements qui bousculent notre vie, il convient donc de prendre le temps de l’écoute pour sentir/comprendre ce qui doit être ajusté, transposé en vue de laisser passer la vie.
Puis agir en adéquation avec ce qui est, pour mettre en lien la réalité du contexte avec nos aspirations et nos possibilités du moment.
S’ADAPTER, UNE FORME DE SAṂTOṢA :
Dans le YS II 42, Patañjali nous parle de saṃtoṣa, le contentement. Si l’on s’engage dans cette proposition de relation à soi-même (niyama), la promesse n’est pas des moindres : l’acquisition du bonheur le plus intense !
“Etre dans le contentement” est différent “d’être content”. Le premier est un état qui ne dépend pas des circonstances et qui se maintient dans les moments difficiles. Le second est un sentiment passager, lié à une situation. Le contentement ne doit pas s’entendre au sens statique : il s’agit plutôt d’un contentement dynamique, où la lucidité va nous permettre d’affiner l’action. André Gide dit : “Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant”. S’il y a contentement, c’est la joie, la couche la plus profonde en nous, qui porte.
S’adapter devient alors une sorte de jeu. On accepte de nouveaux défis tout en se respectant. L’adaptation devient source d’innovation, et surtout, d’évolution spirituelle.
« Attends tout ce qui vient à toi; mais ne désire que ce qui vient à toi. Ne désire que ce que tu as… »
André Gide dans “Les nourritures terrestres”.
¹ Les 3 guna sont les trois constituants de la matière sous toutes ses formes, des plus grossières aux plus subtiles. Sattva : clarté,
légèreté. Rajas : désir, mobilité. Tamas : lourdeur, stabilité. Ces 3 brins constituent la trame de la nature et n’en finissent jamais de former des tissages différents entre eux, tantôt en se dominant, en se soutenant, en s’engendrant, en s’unissant. (Sāmkhya-Kārikā 12)
Marie-Françoise GARCIA, formatrice IFY – 2021