L’article ci-dessous est extrait de la revue « Aperçus » éditée par l’association régionale IFY Yoga Tradition Évolution et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.
« Profondément solidaire de la culture hindoue et du boudhisme tibétain par lequel il est parvenu en Occident où il jouit d’une certaine renommée, le Mandala met en jeu un symbolisme très complexe.
Loin d’être simplement décoratif ou « mystérieux » il a, dans de nombreuses cultures des fonctions rituelles précises. Dans ces traditions, les artistes qui pratiquent le Mandala subissent une longue initiation qui leur délivre le sens, la symbolique des formes, des couleurs et même des sons.
Qu’il soit figuratif ou seulement géométrique, le Mandala requiert de celui qui l’ exécute ou de celui qui le contemple une approche particulière et une démarche mentale qui le conduit à un profond état de présence. Il s’agit de retrouver une certaine unité de la conscience. En cela, le Mandala peut être ressenti comme une victoire de l’ordre sur le chaos.
En Occident, nombreux sont les psychologues qui se sont intéressés au rapprochement entre des représentations indiennes, tibétaines ou chinoises, des peintures navajos tracées à l’aide de sables colorés, des manuscrits chrétiens, des diagrammes alchimiques… et certains motifs oniriques de leurs patients.
Il est également troublant de constater que le Mandala semble comporter une sorte de fond universel alimenté par des archétypes qui surgissent dans des images culturelles très variées mais où l’on peut reconnaître les mêmes symboles circulaires, carrés, labyrinthiques, les mêmes conjonctions de figures, de formes, de couleurs opposées complémentaires.
Le désordre galopant de notre environnement extérieur n’est peut être rien d’autre que le résultat de notre désordre intérieur. Et nous savons si peu de nos fonctionnements que nous ne pouvons nous empêcher d’agir dans le désordre lorsque nous nous relions au monde. Le Mandala nous montre notre manque d’ordre et nous propose, dans le même temps, un exemple de parcours qui pourrait nous conduire de notre vie superficielle et dépersonnalisée à davantage d’intimité avec notre profondeur, notre CENTRE.
De l’état réactif qui est le nôtre, nous pouvons être dans l’expérience d’un état plus créatif qui nous fera sentir que l’on peut échapper à la gamme étroite de sensations qui nous figent et rendent notre participation à la vie très partielle.
Avec un minimun de préparation et de consignes, chacun peut réaliser son Mandala qui soit agréable à l’œil et qui donne à son auteur un sentiment d’étonnement devant son harmonie générale.
Bien souvent, au tout début, on n’a d’autre objectif que de parvenir à réaliser « un beau dessin » capable de satisfaire notre œil après nous avoir donné l’occasion d’être allé jusqu’au terme de notre travail.
Mais, au fil de nouvelles expériences nous devenons plus curieux, plus hardis et toujours plus étonnés de ce que nous devenons capable d’accomplir.
Si plaisir et curiosité s’emparent de nous, très vite, nous pressentons que l’arrière plan de notre travail renferme toute une complexité qui nous conduit imperceptiblement vers une autre dimension de nous-mêmes.
Ainsi, on va découvrir que la peur de « ne pas réussir » occupe de moins en moins de place à partir du moment où l’on pressent que le résultat final de notre travail nous inté-esse d’autant moins que nous n’en avons, au départ, qu’une très vague idée. On peut donc se tromper, se tromper, se tromper encore… et avoir envie d’en rire. Cette absence d’acharnement vis-à-vis du résultat nous fait entrevoir que ce n’est pas le résultat qui compte mais le processus même qui nous guide vers lui.
Dès lors, nous devenons à la fois enthousiastes, prudents et plutôt respectueux. Nous devinons que l’action, celle de notre quotidien, occupe bien peu de place dans ce que nous sommes en train de faire ; de même que l’on constate qu’il nous devient inutile d’intellectualiser, d’interpréter, de se perdre… On apprend à devenir témoin de ce qui naît sur notre feuille de papier, sur notre toile. Cette surface vierge, apparement vide… Une curieuse intuition se fait jour ; les mots deviennent inutiles. Quelque chose est en train de naître, là, sous nos yeux ; étrange mystère qui nous conduit à nous demander si tout cela n’existait pas déjà, insaisissable dans ce fond blanc. On se surprend à placer des contours, des formes, des couleurs qui n’ont pas été prémé-dités, qui sont venus « tout seuls » simplement au travers de notre main.
Nous nous glissons dans ce travail de la même façon que nous le ferions dans notre posture de Yoga lorsque nous l’avons soigneusement visualisée sans rien déranger, sans rien bousculer, seulement sentir…Si nous découvrons que dès que l’on cesse d’attendre un résultat, tout peut arriver, nous sommes à la porte de l’inattendu… Là aussi, le Mandala, tout comme la posture de Yoga sont invités sans cesse à l’inattendu. Et la vie aussi…
La pratique du Mandala peut nous fai-re comprendre que nous ne sommes pas le mental. Derrière celui-ci va apparaître, si nous lui laissons un peu de place, une autre qualité d’être au sein de laquelle l’agitation mentale, la concentration dictatoriale qui nous coupent de notre environnement vont céder le pas. Une forme nouvelle de patience s’installe.
Notre appréciation du temps, ce « temps de l’horloge » qui nous angoisse tellement, cesse de nous posséder. Nous nous surprenons à nous oublier dans l’exécution de notre travail, dans sa monotonie qui, à notre insu, induit une source de lassitude pour le cerveau gau-che, tout en agissant sur le droit par ses aspects d’ordre et de structure. Là, nous ne sommes pas très éloigné du Chant Védique qui fait naître en nous une présence immédiate.
Dans nos vies, nous sommes conditionnés à une façon de voir au risque d’ignorer totalement les autres. Inconsciemment, ce que nous regardons est soumis à l’exigence du : « Il faudrait que… » Ce que nous appelons notre point de vue est toujours déterminé par notre façon de voir. Nous sommes conditionnés à « CE QUI DEVRAIT ÊTRE ». C’est pourquoi, tout ce que nous entreprenons, y compris le travail intérieur, est donc pré-supposé dans l’optique de la perfection.
Si l’émotion est parfois considérée comme la « star » du siècle, dans notre travail, elle va peu à peu cesser de vouloir s’imposer à la première place pour aller se poser à un niveau où elle pourra nous faire profiter de toute sa richesse. Les émotions, dans notre Mandala intérieur, nous éloignent de notre centre en nous maintenant à la périphérie. C’est comme un manège qui tourne trop vite et nous repousse sans cesse vers l’extérieur. Hélas, tout ce qui s’éloigne du Centre se développe dans le monde des contraires, ce monde où toute chose est déterminée par rapport à son opposé, son pôle manquant. La beauté suppose l’existence de la laideur et « le seul rôle de l’artiste n’est-il pas de retirer ce qui est laid afin de faire apparaître ce qui est beau » ? Juste derrière…
En fait, le Mandala est peut être là pour nous rappeler le sens de la gratuité, du « pour rien ». Faire une chose pour rien ; être indifférent au jugement d’autrui et à son jugement propre ; tout en étant dé-préoccupé de soi-même mais pas de ce que l’on fait ; faire « comme si de rien n’était » ; faire comme si ce qu’on fait avait de l’importance alors que cela n’en a pas… Parvenir sans doute à une forme de contentement désinvolte et joyeux… surtout joyeux… Voir que c’est l’indifférence par rapport au résultat qui permet de se sentir heureux, dans cette forme de disponibilité, de détachement par rapport au moi.
C’est un lâcher prise au sein duquel on cesse d’être sujet, volonté, et même liberté. On est comme absorbé par la vanité de ce que l’on fait, en découvrant que l’on peut ne pas agir, et que l’on est seulement agi.
L’action se fait en soi sans venir ni de soi, ni d’une décision personnelle. Elle n’est plus un acte personnel.
« Celui qui peut voir l’inaction dans l’action et l’action dans l’inaction, celui-là est sage parmi les hommes. Il est indifférent au succès et à l’insuccès. Même en agissant, il n’est pas lié ». Bhagavad Gita.
C’est donc l’esprit qu’on place dans une action qui est le plus important, et c’est toujours la présence à la méthode qui prime sur la méthode ; tout comme dans la pratique du Yoga, la présence à la posture est plus importante que la posture.
Le Mandala en lui même n’est rien, il n’est qu’un prétexte, un sentier qui conduit lentement à « l’individuation » chère à C. G. Jung.
Peut-être, allons nous découvrir le monde de la lenteur, tellement éloigné de notre agitation contemporaine.
« Faites les choses doucement. Essayez de faire la même chose plus doucement. Vous n’allez certainement pas moins bien la faire. Et vous allez alors vous rendre compte qu’il n’y a pas de petites choses et qu’il n’y a pas de grandes choses, mais que tout dépend de la façon dont vous faites les choses. Là, on se rend compte aussi que tout ce que l’on fait sans amour, c’est du temps perdu et que tout ce que l’on fait avec amour, c’est de l’éternité retrouvée.
Tout ce que l’on fait sans conscience est du temps perdu, tout ce que l’on fait avec conscience, avec présence, c’est de l’être qu’on retrouve, c’est son centre que l’on redécouvre». K. G. Durckheim.
Curieusement, le Mandala nous propose une voie qui montre dès le début son inutilité tout en proposant d’être parcourue. Une voie qui dit : « vous êtes déjà parfaitement ce que vous cherchez et pourtant, vous allez chercher ».
Nombreuses sont les voies qui ont vérifié qu’il était quelquefois utile de faire faire temporairement aux gens des choses apparemment illogiques, jusqu’à ce que leur égo soit un peu moins chaotique et qu’ils trouvent enfin le courage de franchir le pas, de sauter dans le vide… En fait, ces voies savent bien que toutes les disciplines ne sont souvent que des préparations sans grand rapport avec le but ; mais sans elles, la personne ne saisira pas bien de quoi il retourne. « Le trésor que je cherche est déjà chez moi et il est donc parfaitement inutile que je me fatigue à partir en voyage pour le chercher… mais c’est en faisant ce voyage que je finis par le comprendre d’une manière expérimentale (et non plus intellectuelle) et par avoir la force de rentrer chez moi ». R. Clerc (Un Art de vivre).
Nous savons bien qu’un bon Maître sait faire marcher l’élève sans le « faire marcher ». « C’est en trouvant que je comprends ce que je cherche », nous dit P. Soulages.
En fait, le mandala est un petit chemin discret, une sorte de farce risible, illogique, absurde et cependant sérieuse qui peut accompagner nombre d’entre nous.
Dans la pratique du yoga, on est confronté à tout instant à la notion de Sthira/Sukha. Semblable à la posture, l’exécution du Mandala demande à la fois la rigueur, la minutie, la patience, le temps et une certaine forme de liberté.
Le Mandala a aussi bien sûr pour but d’être contemplé. Faut-il s’étonner que ce soit quelquefois le spectateur qui, avec son œil plein de fraîcheur, fait découvrir à son auteur ce qu’il a produit ? Il voit et il ouvre des portes que ce dernier n’avait parfois même pas soupçonnées. Cela montre bien que nous introduisons à notre insu dans le Mandala divers éléments et symboles. Voilà qui peut faire réfléchir quant au contenu et à l’ intention qu’on aurait pu s’imaginer introduire dans notre travail…
Et cela nous ouvre une porte de réflexion en direction de l’humilité.
La contemplation du Mandala peut aussi nous faire expérimenter la notion de distance par rapport aux choses et plus généra-lement par rapport à toute cette vie qui nous enveloppe.
Plus on s’éloigne du Mandala, plus son apparence se modifie ; des formes et des couleurs non vues jusque là vont se montrer, se laisser voir.
Là aussi, comme en bien d’autres domaines, on peut constater qu’il existe plusieurs niveaux de lecture en fonction de la distance d’observation, mais surtout grâce à la qualité d’accueil du regard que nous portons et à la liberté que nous lui accordons. L’esprit passe constamment de la perception intuitive à l’analyse intellectuelle. Cela va varier d’un jour à l’autre, d’une période de la vie à une autre, et même d’un instant à l’autre. En se laissant conduire sans projections superflues, on pourra observer que nous pouvons être touché simultanément par l’aspect purement artistique ou décoratif mais aussi par un aspect davantage rituel ou sacré.
En guise de conclusion, le Mandala accessible à chacun d’entre-nous, nous invite à entrer dans la saveur de l’instant, à ne plus regarder les choses en fonction du passé.
UTILISATION DES FORMES, DES COULEURS
De par sa conception même, le dessin du Mandala échappe largement à la tyrannie de la ligne droite, ennuyeuse et sans détour, qui nous fait penser à la fuite du temps en pointant vers l’infini. Généreuses, les formes souples, arrondies, circulaires nous rassurent, nous enveloppent, semblent vouloir nous « protéger ».
Tout ce qui est rond suppose un centre… ce centre, quel qu’il soit, en direction duquel on se sent irrésistiblement attiré… ce centre qui fait naître le besoin de se mouvoir, d’aller vers chaque direction pour y apprendre ce que recèle cette portion de vie… ce centre qui dans le chant en groupe nous invite à quitter notre périphérie afin de créer un Mandala de sons avec les autres… ce centre qui, dans la tourmente du monde et de la vie va inlassablement nous offrir son infini espace de paix… ce centre, ce cœur des choses…
Et puis, toutes les formes : le triangle et sa stabilité ; le carré avec sa pesanteur, sa lourdeur rassurante ; le cercle qui nous embrasse jusqu’à nous étourdir. Et même la spirale, ligne droite qui se replie encore et encore. Et aussi le labirynthe, qui nous ressemble tellement… Et enfin, tout le reste, les fleurs, les rosaces… tout s’ouvre à l’imagination et à l’étonnement.
Jean-Louis GROS – 2009