L’article ci-dessous est extrait de la revue « Aperçus » éditée par l’association régionale IFY Yoga Tradition Évolution et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.
« «Chaque fois que tu te sentiras perdue, indécise, pense aux arbres, souviens-toi de leur façon de pousser. Souviens-toi qu’un arbre avec beaucoup de feuillage et peu de racines peut être déraciné au moindre coup de vent, tandis que, dans un arbre avec beaucoup de racines et peu de feuillage, la sève court difficilement.
Racines et feuillage doivent pousser dans les mêmes proportions, tu dois être dans les choses et au-dessus, ainsi seulement tu pourras offrir ombre et refuge, te couvrir de fleurs et de fruits quand ce sera la saison. Quand plusieurs routes s’offriront à toi, et que tu ne sauras pas laquelle choisir, n’en prends pas une au hasard, mais assieds-toi et attends.
Respire profondément, avec confiance, comme le jour où tu es venue au monde, sans te laisser distraire par rien. Attends encore et encore. Ne bouge pas, tais-toi et
écoute ton cœur. Puis quand il te parlera, lève-toi et va où il te porte.»
Suzanne Tamaro
Partir sur le chemin de la découverte de soi, par la pratique du yoga ouvre des champs d’expérimentation beaucoup plus larges, beaucoup plus subtils que l’on pourrait imaginer.
Bien que souvent considéré en occident comme étant purement physique, le yoga touche aussi l’être à un niveau physio-psychologique, et psycho-spirituel. La pratique du yoga dépasse bien celle des āsana (les postures) du prānāyāma (la respiration consciente) et au meilleur des cas, de dhyāna (la méditation).
Je pense qu’il m’a toujours été plus facile de pratiquer le yoga que de pratiquer le quotidien. Dissocier les deux rend la vie plus facile, mais plutôt frustrante, car le yoga
amène progressivement vers un état de conscience dans lequel il devient difficile de séparer le “confort“ d’une séance de yoga et “l’inconfort“ du quotidien.
Les cours de yoga jusqu’ici me permettaient de faire une parenthèse pour m’extraire à certains moments de ma vie, de la vie ; jamais une minute à moi, toujours l’impression de courir après le temps. Je trouvais dans les séances un bien-être et un apaisement délicieux qui m’apportaient suffisamment d’énergie pour rebondir dans ce quotidien, sans néanmoins en prendre suffisamment de la distance.
La fameuse trilogie du métro-boulot-dodo. La répétition des tâches quotidiennes qui prend une place croissante chaque jour, chaque année, comme la taxifolia sur le littoral méditerranéen, redoutable… La routine qui use et progressivement empêche de voir, de goûter l’instant ! Ce quotidien qui nous projette très loin devant, produisant des automatismes, une mécanisation des gestes et de la pensée…
Progressivement, et à notre insu, la vie se range dans des “boîtes du quotidien“, qui empêchent une communication globale de l’être, à soi et aux autres. L’union, l’harmonie se perdent ou deviennent artificielles. Ce détachement ou “sur-attachement“ entrainait en moi un état quasi permanent d’insatisfaction.
Puis, il y a eu ma formation d’enseignante de yoga auprès de Martyn Neal -déclic !-, l’approche théorique par les yoga-sūtra -magnifique !- Le regard avisé et bienveillant de mon formateur m’a aidée à comprendre ce qu’était la pratique quotidienne du yoga.
Ainsi, j’ai pu ouvrir des portes fermées ou entrouvertes… me mettre à l’écoute pour modifier mon regard, regard intérieur, créateur d’espace et de liberté, plus grand,
plus doux…
J’ai profité de ces deux années de formation et de réflexion, pour mettre en mots ce fabuleux “voyage initiatique“ que me proposait l’approfondissement du yoga. C’était sûrement une nouvelle chance dans ma vie de pouvoir me confronter à l’écriture, en prenant le temps, en laissant des traces et des empreintes….
«Quand il y a le silence des mots, se réveille trop souvent la violence des maux. Mais il ne suffit pas de rompre le silence, et de sortir du mutisme, encore faut-il se sentir reçu, entendu et amplifié lors de ses tâtonnements à mettre en mots (… ) il faut déjà du temps pour qu’un ressenti, une émotion, un vécu trouvent le chemin des mots, pour qu’ils migrent des lieux du corps où ils naissent et s’inscrivent, jusqu’à la scène symbolique de la représentation et qu’ils accèdent ainsi au registre de la pensée, par un subtil travail de la transformation qui mène de l’irreprésenté au figurable, de l’informulé au dicible (…)et je trouve beau de faire mémoire en son vivant de mots qui ont assez d’énergie pour nous faire avancer et croître.» écrivait Jacques Salomé.
Au départ, mes objets de réflexion se sont portés sur “le yoga et la maternité“ et “le yoga et l’équitation“. Ce sont effectivement deux sujets qui me tiennent aussi à cœur. Concernant le thème de la maternité, que j’ai vécu il y a juste 4 ans, j’ai fait la rencontre avec un livre merveilleux, “Accouchement, naissance : un chemin initiatique“ de
Martine Texier, professeur de yoga et spécialisée dans le yoga et la maternité. Ce livre a été pour moi une véritable révélation qui m’a apporté du bonheur et de la confiance en moi tout au long de ma grossesse, au point de décider d’accoucher naturellement, sans péridurale.
“Le yoga et l’équitation“ était quant à lui un objectif complexe et trop difficile à traiter à ce stade de ma vie, car mes connaissances en équitation étaient insuffisantes,
et mon expérience à cheval encore à ses balbutiements. Mais je me suis consolée par la sortie sur le marché du premier livre portant à la fois sur le yoga et l’équitation, écrit par Diane Louise Lassonde, anthropologue et professeur de yoga.
C’est alors que la réflexion sur “le yoga comme discipline et pratique au quotidien“, m’est apparue comme une évidence. Le quotidien, est à priori quelque chose à la portée de tous, qui demande peut-être une approche moins spécifique, moins technique. En tout cas, il est évident que la question du quotidien m’a obligée à me confronter à ce qui
me posait le plus de difficultés, car ce sujet me renvoie à moi-même, à mon fonctionnement avec les autres, avec les choses… «La chose la plus précieuse que tu possèdes est : aujourd’hui. Aujourd’hui est ta priorité, même s’il est coincé entre hier et demain. Aujourd’hui tu peux être heureux, pas hier ni demain. Hier est le passé et demain n’est pas encore là. La vaste majorité de nos misères sont des restes d’hier ou empruntées à demain. Garde ton aujourd’hui propre. Décide dans ton esprit de jouir de la nourriture de ton travail, de tes loisirs coûte que coûte aujourd’hui. Aujourd’hui est à toi, c’est à toi qu’il a été donné. Tous les “hiers“ sont partis, et tous les “demains“ sont encore à venir. Aujourd’hui est à toi. Prends-en les joies et sois heureux. Prends les peines et sois toi-même. Aujourd’hui est à toi. Emploie le de sorte que sur sa fin, tu puisses dire : j’ai vécu et aimé, aujourd’hui.»
Auteur inconnu
Le yoga est un art de vivre au quotidien, dans une recherche permanente d’équilibre entre ce que nous sommes et ce vers quoi nous tendons ; il est à la recherche d’un recentrage afin d’éviter l’éparpillement et l’égarement de l’être… là était mon questionnement !
Le mot quotidien est une notion complexe qui n’est peut-être pas bien compris ni vécu par nous autres, occidentaux.
En effet, on peut voir dans cette notion de quotidien, une notion de répétition ( chaque jour), associé à une notion de simplicité (banal), mais aussi de persévérance, de labeur (réitérer), de progression (pas à pas), et de lenteur (petit à petit). Il nous ramène aussi à notre condition humaine, à la question du temps qui passe, à sa fragilité, à la mort aussi…
Mais le mot quotidien nous renvoie à ce qui est unique. Il nous invite à goûter l’instant, le moment, l’aujourd’hui, maintenant ; à tous les instants à vivre dans un moment donné (ne dit-on pas “saisir l’instant“) ?
Chaque instant en plus est un instant en moins. La vie est une succession de petits quotidiens et voir les instants qui les forment, demande d’être attentif, d’être “dans“ et “avec“ le présent. C’est être dans ce fameux “ici et maintenant“.
Grâce à la persévérance, à l’ouverture et au lâcher-prise, grâce au long et subtil approfondissement des textes sacrés, tels les yoga-sūtra, grâce à l’étude des āsana et du prānāyāma et au travers de pratiques posturales, respiratoires et méditatives, j’ai humblement essayé d’assimiler que cette voie de sagesse qu’est le yoga se situe à la fois dans l’action physique et mentale. Nécessairement, cette démarche demande une attention particulière, une ligne de conduite pour aborder un travail sur soi au quotidien.
Dans cette conscience sans cesse renouvelée, le yoga apporte au pratiquant un bon fonctionnement de son corps au niveau physique, respiratoire, mental et énergétique; au niveau sensoriel : ouïe, toucher, goût, odorat, vue, et au niveau spirituel : à l’esprit, à l’âme, un rapprochement à la foi.
Quotidiennement, le yoga transforme en développant les aptitudes de l’être humain à saisir, à percevoir, à garder en mémoire les choses qu’il pense dignes d’intérêt.
Il propose d’une manière précise, d’acquérir la connaissance par une longue pratique liée à l’observation, à la fois de soi-même, des autres et de tout ce qui existe au-delà du visible.
Comme le dit Martyn : «Le yoga est un ferment qu’on met dans sa vie.»
Placer le yoga au cœur de ma vie ne résout pas toutes les questions, et toutes les lourdeurs du quotidien. Les choses, les objets, les gens sont toujours là, mais je les perçois plus nettement, le regard bouge et se transforme. Les pensées sont plus claires, plus justes, moins négatives… Les progrès se sont plus particulièrement vus chez moi concernant les tâches ménagères, l’organisation, parfois l’équilibre est précaire. Si rien n’avait bougé, avec humour, j’aurais pu vous parler de “pratiquer virabhadrāsana (le guerrier) le matin sans voir les toiles d’araignées au plafond“, ou “pratiquer utthanāsana (la flexion avant) le soir sans voir les moutons sous le lit“ ! C’est cette difficulté à “lâcher“ qui a évolué chez moi, mais le chemin est long, et il faut du temps et de la persévérance… Une petite voix m’invite à me poser, même si je n’y arrive pas toujours, au moins, je l’entends !
Aujourd’hui, en tant qu’enseignante, je sais à quel point il est nécessaire de faire des propositions pour ses élèves et non pour soi. Cependant, les choix didactiques doivent être cohérents avec l’individu que nous sommes. Pour l’élève, il est important de trouver un cours adapté, en adéquation avec ses attentes, avec ses besoins, et avec un professeur qui lui donne envie de pratiquer, de continuer, de persévérer sur le chemin du yoga.
Pour T.K.V Desikachar, «on réactualise son diplôme chaque fois que l’on enseigne». Etre enseignant, c’est développer les capacités des personnes en s’ouvrant
à elles. C’est donner de la stimulation à l’élève sans pour autant lui laisser brûler des étapes, c’est transmettre en le respectant. Ainsi, lorsque nous enseignons, nous pouvons prendre l’élève comme “objet de méditation“, en prenant en compte ce qu’il est dans sa globalité, afin de proposer des techniques, des aménagements appropriés pour mieux l’aider et l’accompagner dans sa pratique collective et personnelle.
«Il y a dans le yoga une part de liberté dont le pratiquant peut se saisir, mais pas l’enseignant. Il ne faut pas confondre liberté pédagogique de l’enseignant avec tradition et culture» dit Eva Ruchpaul.
Qu’une séance de yoga soit prévue pour soi ou pour ses élèves, il est important au préalable d’établir des choix et des orientations. Pour les cours dispensés aux élèves, une ligne de conduite est à établir en début d’année, afin de rester authentique, dans l’esprit que l’on cherche à donner. A la question posée à Krishnamacharya concernant une méthode à suivre, il répondait : «pour creuser un puits et trouver de l’eau, on doit creuser profond à un seul endroit et non faire des petits trous partout». Je pense que cette vérité est valable pour l’enseignant, comme pour l’élève. N’oublions pas non plus que l’enseignant est aussi un pratiquant !
Ce qui m’importe, ce n’est pas que tout le monde fasse du yoga, mais c’est de placer le yoga au cœur de la vie de chacun, car vient s’associer pour moi le yoga comme pratique quotidienne, à l’enseignement du yoga comme pratique quotidienne ! Je suis sensible au mot ācārya pour l’associer à celui de professeur ; l’ācārya, c’est celui qui parle par expérience, et qui tend à montrer le chemin aux pratiquants.
Enseigner en cherchant à rendre présent le yoga chez les élèves quand ceux-ci ne sont plus en notre présence, mais dans leur quotidien, n’est-ce pas là un objectif important, lié au désir de faire découvrir que le yoga n’est pas un cours “comme les autres“ ou “d’autre chose“, et que l’on ne referme pas des portes quand on a cherché à les ouvrir ? En cela, le yoga n’aurait-il pas un lien avec l’engagement qui, comme la foi, est une de nos ressources essentielles ? C’est aussi cela le rôle du professeur ; une transmission pour une prise de conscience, une évolution, une transformation qui prend place sur le tapis… »
Isabelle COMPERE, Professeur IFY – 2023