L’article ci-dessous est extrait de la revue « Pas à pas » éditée par l’association régionale IFY Poitou-Charentes et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.
« …et maintenant, vous méditez ! » Telle est l’injonction du professeur de gymnastique à un groupe d’une dizaine d’adolescents installés dans une posture de torsion couchée, plus ou moins confortable, en plein soleil, sur le sable d’une plage bretonne…
« Je médite, tu médites… méditez-vous ? ». La méditation est partout, avec ses doses de mystère ou de certitude. Nous allons tenter de voir ce qui se cache dans ce mot, cette pratique, mais… s’agit-il bien d’une pratique ?
Comment vivre ces changements provoqués par la disparition de ce qui nous importe, ce qui donne sens à notre vie : l’autre que nous aimions et qui n’est plus là, ce travail perdu, ce lieu de vie, cette fortune aussi ? Sommes-nous toujours clairs avec ce que nous voulons changer : juguler une peur, éviter un changement plus exigeant, plus dérangeant ou répondre à l’appel de la Vie en nous ? Vivons-nous vraiment ces changements au plus profond de nos fibres, ou faisons-nous semblant : changer les meubles de place pour dégager la vue, changer pour que rien ne change ou changer radicalement notre regard sur la Vie ?
Pourquoi la méditation ?
Le mot dhyāna qui est traduit par « méditation », et le mot Yoga, « union, relation, harmonie », sont synonymes. Il nous semble essentiel de comprendre le pourquoi du yoga si l’on veut comprendre le pourquoi de la méditation.
Dans l’aphorisme I. 3 du Yoga-Sūtra, Patanjali nous dit qu’en Yoga l’Être profond, la Conscience, est établie dans sa véritable nature. La Conscience est cette part en nous qui observe, qui nous permet de voir. Toujours neuve, disponible, elle est la Vie en nous qui Voit. Méditer c’est permettre la rencontre avec la Vie qui nous permet à la fois d’Être au monde et de le percevoir. Accueillir sans restriction aucune la Vie en nous, en être la demeure aimante, tel est l’enjeu du Yoga. Le yoga est incarnation.
À l’aphorisme I. 4, Patanjali nous dit qu’en dehors de l’état de yoga c’est le mental qui prend les rênes et qui se fait passer pour celui qui voit. La compréhension totale de ce qui est, est remplacée par la vision fragmentée, orientée, voire la non compréhension, qu’en a le mental.
Il y a donc en nous un observateur et un observé, que l’on appelle objet. Notre mental, qui croit voir, est observé : « Je vois que je comprends, que je ne comprends pas, que mon mental est fort, faible… ». Intermédiaire entre le monde et la Conscience, il nous transmet le monde grâce aux organes des sens, mais en le colorant au passage ! Nous voyons et expérimentons le monde non pas comme il est, mais au travers du filtre qu’est le mental.
« Pratiquer » le yoga, la méditation, c’est permettre à ce filtre de devenir de plus en plus clair, d’agrandir ses mailles afin d’avoir une vue à 360° sur le monde et de le vivre.
Pour cela il va falloir lui apprendre à se taire et à laisser parler ce qui vient à lui ; c’est dans le silence du mental que la Vie nous parle.
Nous allons entraîner sa capacité à se taire, car il le peut, en le mettant en relation (et c’est ce que veut dire yoga) par étapes, avec différents objets, grossiers puis subtils. Ce changement d’attitude, cesser de projeter, d’induire, de vouloir, va lui dévoiler des facettes insoupçonnées de ce qu’il croyait connaître, ainsi qu’un espace immensément grand qu’est celui de la Joie.
Joie de participer au monde, d’y avoir pleinement sa place.
Qu’en disent les définitions ?
Le dictionnaire le Petit Robert, méditation : « action de soumettreà une longue et profonde réflexion. Pensée profonde, attentive portant sur un sujet particulier ». On y trouve aussi « approfondissement, concentration, contemplation, s’abstraire, recueillement ». Et au terme réflexion, « nous trouvons retour de la pensée sur elle-même en vue d’examiner plus à fond une idée, une situation, un problème ».
Le Yoga-Sūtra de Patanjali : dhyāna « la méditation c’est lorsqu’il y a résonance prolongée là, uniquement dans ce contenu mental » (Patanjali YS III. 2 Trad. F. Moors) Le sūtra II. 15 évoque la possibilité de voir, pour qui « a du discernement » (viveka), une souffrance potentielle dans tout. Pessimiste cette vision ? Et pourtant…
Que pouvons- nous en déduire ? Quelles étapes ?
1 – Un objet, au sens le plus général du terme (objet concret, mot, pensée…) est nécessaire. Le mental va se diriger vers lui. C’est la concentration, dhāranā en sanskrit (YS III. 1). Cette première étape demande une participation active, la volonté de rester là, plus ou moins longtemps avec l’objet. Elle demandeégalement de la confiance. En effet,dháraná vient de la racine DHR qui signifie « porter, tenir, soutenir, supporter». Nous allons être portés, soutenus par l’objet. C’est lui qui va nous permettre ouverture, lâcher-prise, accueil de ce qui est. Son choix est essentiel ! Non seulement, il doit nous intéresser, être de bonne compagnie pour nous, mais il ne doit pas non plus trop nous passionner, nous séduire, ce qui pourrait nous entraîner dans la dispersion.
Les objets possibles sont multiples ; le Yoga-Sūtra en propose de nombreux dans le troisième chapitre : astres, points du corps, qualités telles que la force, l’amitié…mais en fait, toute notre démarche du yoga consiste à se mettre en relation, et à prendre conscience de comment nous y sommes.
Sans oublier que notre quotidien peut lui aussi devenir pratique méditative : être attentifs dans nos relations aux autres, à nous-mêmes, dans notre pratique posturale, à notre souffle, à l’attirance de nos organes des sens vers l’extérieur… C’est la proposition du yoga aux huit piliers, Astanga yoga, du deuxième chapitre du Yoga-Sūtra.
2 – Les termes « retour, résonance » définissent une deuxième étape qui est dhyāna, la méditation proprement dite pour le Yoga. Après l’effort que demande la concentration, dhāranā, la relation se fait paisible, continue, installée entre soi et l’objet, et va permettre à ce dernier de « s’exprimer », de prendre sa place. Il va nous apporter une connaissance nouvelle, imprévue et spéciale car directe, dans le silence du mental qui s’ouvre à lui.
Ceci ne se pratique pas. C’est donc un résultat qui nous est donné hors de toute attente. En effet l’attente mobilise le mental qui n’est alors plus disponible pour la découverte.
3 – Patanjali décrit une troisième étape possible, lorsque dhyāna, se prolonge, samādhi, l’unification, l’absorption complète, la contemplation. De ce mot à la traduction invitant à la périphrase, et au questionnement, T. Krishnamacharya nous explique que « dans cette union absolue (entre le sujet et l’objet), seul l’objet semble encore exister, il a pris toute la place disponible, le yogin perd jusqu’à la conscience de sa propre existence, de sa propre pensée. (…) Seul l’objet est présent avec la joie ineffable qui s’en dégage ».(revue Viniyoga n°36 p. 45). Quelle invitation à l’expérimentation ! Elle seule nous apportera ce que les mots ne peuvent dire. La perspective de goûter cette « joie ineffable » va nous encourager à nous engager dans cette démarche méditative qui démarre par la concentration. C’estdans cet engage ment que se trouve notre pratique.
4 – Saṃyama : la maîtrise parfaite. Ce mot (YS III. 4) implique le passage réitéré par les trois étapes. Seule cette répétition nous amènera à la connaissance parfaite du domaine ou de l’objet que nous avons choisi, ainsi qu’à plus de clarté (YS III. 5). Patanjali ne nous leurre pas. La route est longue. Quel que soit le résultat ou non de notre attention, il nous faut recommencer. Recommencer, c’est-à-dire, être là sans cesse avec ce qui est (tout est objet !), dans l’ouverture, prêts à se laisser porter vers l’inconnu. Pratiquer la méditation est cet engagement sans cesse renouvelé de tout ce que nous sommes, à être là avec ce qui est, dans la présence paisible et sans attente.
Excepté pour quelques personnes en cœur à cœur avec la réalité, cette démarche va demander de l’espace, celui que l’on ose s’accorder pour Se trouver, du temps et de « l’entêtement (quel paradoxe !!!) » car il va nous falloir répéter, y revenir sans cesse.
Espace, temps, répétition sont les trois termes que nous trouvons à l’aphorisme II.
50 dans la définition du prānāyāma, le fait de laisser en nous la Vie occuper toute la place qui est la sienne.
Comment cela marche-t-il ?
- Deux pratiques méditatives s’offrent à nous :
1°) l’assise avec un objet choisi (en commençant par un objet concret). Une attitude redressée sans tension, un souffle apaisé, un entourage calme…, vont permettre au mental de s’ouvrir et d’accueillir paisiblement ce qui vient. Démarrant souvent par un bavardage du passé, du connu, le mental se fait de plus en plus silencieux tout en restant en lien avec l’objet. Du neuf jaillit de ce lien et c’est la méditation proprement dite.
2°) l’attention au quotidien, où tout peut être objet. Présence et ouverture à ce qui est en nous, et à l’extérieur de nous. La méditation jaillit alors par ce que l’on pourrait appeler l’intuition. Cette deuxième pratique a souvent la première comme préalable.
- Pratique posturale et attention au souffle préconisées par Patanjali en préalable à la méditation, par l’apaisement qu’elles apportent, sont la voie d’accès à ces deux pratiques.
En conclusion
La pratique méditative n’est pas un but mais est au service d’un but, celui de la liberté intérieure, celle ou le mental ne fait plus obstacle à ce qui est. Il ne s’agit pas de faire le vide mais de s’ancrer dans le présent et le réel. Démarche progressive, elle amène à une attention toujours plus profonde d’où découlent Joie et Paix.
…et qui sait… qu’en a-t-il été de ce moment d’attention pour chacun des adolescents sur la plage ? »
Dominique ADDA, Formatrice IFY – 2018