Le Yoga : quelle pratique ?

L’article ci-dessous est extrait de la revue « Vie Yoga » éditée par l’association régionale IFY Poitou-Charentes et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.

« La pratique formelle du Yoga, la « pratique du tapis» repose sur trois piliers. il s’agit de l’expérience corporelle consciente (Āsana), de l’expérience de l’observation de la circulation du souffle (Prāṇāyāma) et de l’expérience du processus méditatif (Samyama).

Quel est le sens que l’on peut donner à cette démarche ?
Si l’on prend comme fondement de notre pratique le « Yoga-sūtra de Patañjali », celle-ci n’a pas pour but d’améliorer la souplesse, la santé ou de rechercher un état de relaxation. Si bénéfiques que soient les améliorations dans ces domaines, ce ne sont que des effets collatéraux de la pratique.
Patañjali nous indique à l’aphorisme 1-2, que le but du Yoga, c’est d’être établi dans un état mental stable, libéré de tous les mouvements (vritti) issus de notre mémoire conditionnée. Atteindre d’emblée cet état de clarté mentale n’est pas aisé, nous avons besoin de soutien pour nous orienter dans cette direction et c’est le sens, il me semble, que nous devrions donner à notre pratique.

Lorsqu’il décrit les résultats de la pratique (corporelle, respiratoire et méditative), Patañjali nous dit ceci :
Aph 11-48 : Le résultat de la pratique d’Āsana, c’est de ne plus être perturbé par les paires d’op­posés.
Aph II-52 et 11-53 : Le résultat de la prati­que du Prāṇāyāma, c’est d’une part d’éliminer les obstacles qui « recouvrent la lumière », c’est-à-dire les empêchements au discerne­ment et d’autre part de rendre possible un état de concentration soutenu, quel que soit l’objet de notre attention.
Aph 111-5 : Le résultat du Samyama (processus méditatif) c’est d’atteindre la connaissance parfaite de l’objet de notre attention.

On se rend bien compte là que le sens de cette pratique est de nous rendre plus attentifs, plus libres et plus clairvoyants. De transformer notre rapport à nous-même et au monde. Quel chemin emprunter pour réaliser ce but ?
Le yoga décrit le bonheur et la souffrance comme des ressentis corporels.

C’est avant tout le corps qui nous désigne nos affects. Le mal-être, la souffrance, nous im­pactent dans notre corporéité, en nous révé­lant un espace intérieur serré, fermé (Dukha). De même, le bien-être, le bonheur se révèlent à nous comme un espace intérieur libre et ou­vert (Sukha).
Pour ma part, après une trentaine d’années de pratique, d’enseignements reçus et donnés et d’expériences partagées, j’ai le sentiment profond que ce qui a le plus de sens pour moi dans ma relation à la pratique du Yoga est jus­tement cette notion d’espace.
Ce qui vient m’affecter parfois dans ma vie en terme de problématiques génératrices de souf­france ou, au minimum, d’inconfort psycholo­gique est lié dans ma vision et dans mes res­sentis à un espace intérieur serré, fermé, dou­loureux (Dukha) et pour tout dire peu disponi­ble à l’accueil de la Vie. Un espace plus géné­rateur de réactions conditionnées que d’actions neuves et créatives.

Cet espace intérieur, révélateur de notre « être au monde » est bien souvent encombré de toutes les représentations, projections que nous avons de nous-mêmes et du monde qui nous entoure. Laisser se déconstruire ces représentations qui se sont fixées, figées au cours du temps, pourra ouvrir un espace pour le nouveau et pour une relation libérée du poids du passé.
La pratique du yoga est une démarche holistique, qui s’adresse à l’être humain dans sa totalité, aussi bien au plan corporel, qu’éner­gétique et mental. C’est sur chacun de ces plans, qu’il va falloir ouvrir ce qui est fer­mé, libérer ce qui est contraint.

Le corps (Āsana) :
« Les choses et le monde me sont donnés avec les parties de mon corps, dans une connexion identique à celle qui existe en­tre les parties de mon corps lui-même »
Cette citation du philosophe Merleau-Ponty, peut nous faire prendre conscience que notre relation au monde serait un reflet de la façon dont nous vivons notre corporéité, prenons le risque de dire de la façon dont nous percevons les relations entre les différentes structures corporelles (tête/bassin, jambes/bassin, bras/ceinture scapulaire, colonne/cage …

Les relations libres entre ces différentes zones corporelles créent un espace intérieur disponi­ble pour le déploiement du souffle et l’accueil de la vie.
Il s’agira donc dans la pratique d’Āsana d’iden­tifier les lieux de confusion (Samyoga) et par une pratique juste (Prayatna 11-48) portée par le souffle (Shaitilya 11-48) de libérer les rela­tions. La posture juste, sera celle dans laquelle le souffle peut circuler librement. Ce processus relationnel interne donnera le sentiment d’être un « corps entier».

Le souffle (Prāṇāyāma) :
Cette pratique d’Āsana, habitée par le souffle (dans notre enseignement, le mouvement du souffle est constamment à la conscience pen­dant la pratique des postures)’ est une condi­tion selon Patañjali pour expérimenter le Prāṇāyāma). L’aphorisme 11-49 qui définit le Prāṇāyāma commence par ces mots « ceci ayant été accompli » (Tasmin sati) …… , ce qui a été accompli, c’est la pratique posturale qui a ouvert un espace pour le souffle. Alors le Prāṇāyāma peut s’exercer librement.

La conscience du souffle, n’est rien d’autre que la conscience des zones corporelles traver­sées par le souffle » (M.Alibert). Dans cette perspective, l’aphorisme 11-50 nous invite à porter une attention profonde à l’éveil des parties du corps (Desha) touchées par le souf­fle, cette attention sera un support précieux pour rester présent à la pratique et le support de nombreux Bhāvanā. Si l’expérience dure suffisamment, cet état d’attention focalisée pourra basculer dans un état de présence plus ouvert, sans intention, où le mental ne dirige plus la manœuvre, très proche de l’état médita­tif. Cet état est appelé :
« quatrième Prāṇāyāma » (aphorisme 11-51). Il ne reste plus alors que la conscience de l’es­pace intérieur.

Le processus méditatif (Samyama) :
Les aphorismes qui décrivent le processus mé­ditatif, sont tous situés au troisième chapitre du yoga-sūtra. Ce chapitre est celui des accom­plissements, le « travail » a été fait au deuxiè­me chapitre, le yogi a maintenant la capacité de s’établir dans un état d’attention profonde, orientée vers « l’objet » de son choix. L’espace intérieur et relationnel, ouvert par la pratique d’Āsana et Prāṇāyāma rendra possible l’avène­ment d’un regard et d’une perception nouvelle et une relation très directe avec le réel pourra s’installer.
Il me semble, que la méditation peut être vue comme une pratique formelle (méditation assise, attention orientée dans une direction choisie) mais aussi et surtout, à mon sens comme un état d’ attention ouverte à tout ce qui peut se présenter dans le champ de nos perceptions, quelle qu’en soit la nature. Accueillir «ce qui est», c’est-à-dire tout ce à quoi la vie nous confronte, rester avec pour voir et comprendre vraiment ce qui est en jeu et par là-même se donner la possibilité de transformer notre perception, notre compré­hension de « ce qui est là », c’est je crois le vrai sens de la méditation.
Pour résumer l’ensemble de cette démarche, on pourrait dire que :
L’expérience corporelle (Āsana) animée par le souffle, ouvre un espace pour le Prāṇāyāma.
L’expérience du souffle conscient, subtil et profond ( Prāṇāyāma) ouvre un espace pour la méditation.

L’expérience de la méditation (Samyama) permet d’accueillir dans un espace libéré « l’objet » de notre attention et de pou­voir rester avec, dans une relation libre pour en avoir une vision directe et non polluée.
Comprendre et éprouver la pratique du Yoga comme une expérience qui nous donne de l’espace sur tous les plans de notre existence, nous oriente vers des possibles où nous pour­rons accueillir la vie sans trop de peur ni trop de rétraction sur nous -mêmes.
Quel retentissement notre pratique a t’elle sur notre vie ? Cette démarche nous rend t-elle plus stable, plus libre, plus paisible, mieux à même de nous confronter aux situations que la vie nous propose ?
C’est la seule question qui vaille et c’est à chacun de nous de se la poser.

Agir avec une totale attention et avec pleine conscience
L’avantage de l’attention dans l’action, c’est que nous agissons mieux tout en étant davan­tage conscients de nos actes. Au fur et à me­sure que notre attention se développe, diminue la possibilité de commettre des erreurs.
La pratique du yoga nous demande d’agir en étant attentif à nos actes.
Par cette pratique, notre capacité de concentration, notre de état de santé et nos rapports avec les autres s’amélio­rent progressivement.

Mais, la plupart du temps, nous pensons avoir raison et nous agissons en conséquence et nous découvrons par la suite que nous nous sommes trompés. C’est avidyâ : une forme de connaissance erronée. C’est une accumulation d’actions irréfléchies que nous avons répétées mécaniquement, aveuglement tout au long des années. Nos esprits sont devenus tellement conditionnés que nous acceptons les actions d’hier comme la norme pour les actions d’au­jourd’hui. Un tel conditionnement s’appelle samskāra.
L’objectif du yoga est de réduire avidyā pour agir correctement.

Mais comment distinguer avidyā, de voir clair, c’est-à-dire savoir que l’on a raison vidyā ?
Lorsque nous savons que nous sommes dans le vrai, il y a en nous un sentiment profond de tranquillité, de calme, sans tension, ni pertur­bation, ni excitation. Alors nous sentons qu’il y a une source de tranquillité en nous, c’est vidyā. Quand la compréhension est claire, nous ressentons de la sérénité au plus profond de nous, sans perturbation.

La raison d’être de la pratique du yoga, c’est justement de permettre de percevoir correcte­ment, passer de la confusion à la clarté.

Maïté BARON, Présidente IFY Poitou Charentes – 2015