L’article ci-dessous est extrait de la revue « Pas à pas » éditée par l’association régionale IFY Poitou Charentes et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.
« Le yoga se pratique avec rigueur, discernement et acceptation. La philosophie du yoga nous offre de nombreuses pistes pour découvrir qui nous sommes vraiment et pour permettre le plein épanouissement de tout notre potentiel.
Trois états d’être
C’est dans son texte de référence, le Yoga Sūtra de Patañjali, que l’on découvre les principaux trésors de conseils, d’encouragements et de mise en garde, pour réaliser notre véritable nature …
Même si le 1er chapitre de ce texte inspirant situe bien notre paysage mental et les obstacles sur le chemin, même s’il nous donne déjà les clefs essentielles pour avancer… C’est le 2ème chapitre qui nous fait entrer dans le vif du sujet et notamment le YS II.1.
Ce sūtra d’ouverture du 2ème chapitre pourrait presque se suffire à lui-même, tellement il englobe les principaux plans de notre personnalité : les plans physique, mental et spirituel. Cette triple nature de l’être demande ainsi une triple préparation…
Tel un trépied magique, ce « mode d’emploi » du yoga – et ce « mode d’emploi » de la vie au sens plus large – permet à tout un chacun de se développer de manière harmonieuse, régulière et équilibrée.
II. 1 : tapaḥ-svāvdhyāya-ìśvara-praṇidhānāni kriyā-yogaḥ
« Le yoga se pratique avec rigueur, discernement et acceptation » ou « L’état de yoga se met en place, ou se réalise, lorsque ces trois qualités sont présentes ». Chacun de ses trois aspects peut se nuancer avec de nombreux synonymes, qui sont autant de moyens pour ajuster la pratique du yoga à chacun, la rendre accessible selon ses difficultés, son tempérament et ses prédispositions, afin que l’état de yoga soit au rendez-vous.
- TAPAS : c’est la mise en pratique concrète avec rigueur, vigueur, ardeur, implication, discipline, volonté. Cette détermination sans faille crée une certaine chaleur intérieure. Dans le cadre d’une pratique posturale de yoga, cet effort soutenu, cette ascèse régulière va « embraser » le véhicule physique, tel un feu purificateur, pour lui faire éliminer ses toxines, l’assainir et l’alléger.
- SVĀDHYĀYA : C’est la réflexion nécessaire pour une meilleure compréhension, avec intelligence, lucidité, discernement, justesse, écoute intérieure. Cette étude peut s’appuyer sur des textes classiques inspirants, des chants spécifiques ou toute autre approche philosophique. Mais c’est en fait à chaque instant du quotidien que doit se développer le sens de l’observation, la discrimination et la connaissance de soi. Le champ mental ainsi purifié est prêt pour la découverte du Soi.
- ÌŚVARA-PRAṆDHĀNA : c’est être dans l’acceptation du résultat, c’est lâcher prise, s’en remettre à Ce qui nous dépasse, avec humilité. Cette prise de recul permet de transcender la condition humaine, en laissant l’ego en veilleuse, au moins momentanément, laissant toute la place au plan spirituel. Cette attitude d’abandon intérieur permet l’éveil du cœur, de la foi et d’une confiance absolue. Chaque acte est effectué avec dévouement, dans un esprit d’offrande, de bienveillance et d’amour.
Nous voyons au passage que ces trois éléments, ces trois attitudes, ces trois états d’être englobent tout l’astanga yoga, depuis la manière de nous comporter avec les autres et avec nous-même, la manière de prendre soin de notre corps, de nos souffles et de notre mental pour accéder, au-delà de la dualité, à cet État de yoga tant recherché et mentionné dès le début du premier chapitre : un état d’unité intérieure et de paix mentale.
En résumé : « Il faut tout faire pour bien faire, mais faire preuve de discernement et enfin en accepter le résultat… quel qu’il soit ! »
C’est aussi : « agir, réfléchir et apprécier ». Mais aussi : « faire, observer et laisser faire ». C’est « l’action, la compréhension et la dévotion ».
Trois voies de yoga
Ces trois aspects du kriyā yoga ne sont pas sans évoquer les trois formes principales de yoga, le karma yoga (le yoga de l’action juste), le jñāna yoga (le yoga de la connaissance vraie) et le bhakti yoga (le yoga dévotionnel). Cette classification permet d’intégrer la globalité de notre être, le corps, le mental et l’âme en un tout unifié.
- Le KARMA yoga, est en lien direct avec l’action. Cette action concrète, physique est nécessaire pour rester en vie, elle est incontournable car c’est une manifestation concrète de l’existence incarnée. Cette expression de la vie induit l’envie d’entreprendre, avec quelquefois des désirs, des attentes et ainsi des réactions après nos actions… dont on ne sort pas toujours indemne ! Pour éviter toute déconvenue, il est bon avant d’agir de vérifier nos réelles intentions. Dans quel but profond je vais agir ? Ainsi tous nos actes devraient être faits avec motivation, justesse, équanimité¹ et détachement.
« Il ne s’agit pas de renoncer à agir, mais d’agir dans le renoncement. »
BG IV.18
- Le JÑÁNA yoga, apporte la connaissance, une meilleure compréhension des choses et de la réalité de la vie. Car au fond, que devons-nous comprendre véritablement ? Nous devons réaliser que notre Soi individuel en s’incarnant s’est éloigné du Soi universel. Pour ce voyage de retour, c’est notre outil mental qui nous y aide, permettant d’exercer notre discernement à chaque instant. C’est la discrimination entre le réel et l’irréel, entre le permanent et l’impermanent, entre le Soi et le non-Soi.
« S’employer avec constance à connaître le Soi, garder à l’esprit la finalité de la compréhension du réel, c’est tout cela que l’on nomme la connaissance. »
BG XIII.12
- Le BHAKTI yoga, développe la dévotion, la ferveur, l’humilité, la foi, l’amour à l’état pur et le contact spirituel avec la grâce infinie. C’est le sens du mot « enthousiasme », mettre Dieu (theos) dans… Cet état d’être subtil, sattvique² ne peut que susciter de la gratitude. Il permet aussi la pleine expansion de l’action et de la connaissance. Car karma seul ne suffit pas – jñāna seul ne suffit pas. C’est bhakti qui leur donne tout leur relief, tout leur pouvoir. C’est l’amour qui illumine l’action et la pensé
« Nul n’accède à la conscience infinie sinon par la dévotion mais d’aucune autre manière. Les êtres s’inscrivent en elle. C’est elle qui sous-tend le monde. »
BG VIII. 22
Yoga et détachement
Toutefois nous pouvons méditer sur ces différents points de vue : Swami Râmdas³ mettait en garde en disant : « Sans karma yoga, le jñāna yoga et le bhakti yoga ne sont que de l’égoïsme spirituellement magnifié ».
Râmakrishna3 voyait de la dévotion dans l’action : « Le karma yoga est la communion avec Dieu par le travail ».
Mais Shankaracharya3 semble préférer la réflexion : « Seule la pratique du jñāna yoga permet d’atteindre la délivrance de l’ignorance de sa propre nature ».
En résumé : « C’est par la vision intérieure que certains perçoivent en eux la Conscience (bhakti), d’autres par l’analyse (jñāna) et d’autres par l’action (karma), mais tous avec détachement. »
Ce slhoka résonne comme une confirmation du YS II.1 sur le yoga de l’action, le kriyā yoga…
Bibliographie :
- Bhagavad Gītā, trad. Alain Porte, 0201 Éd. Arléa
- La Bhagavadgītā, trad. et présentation Marc Ballanfat, Éd. GF Flammarion
¹équanimité : égalité d’âme
²sattvique : doté de la qualité de sattva, la clarté, la compréhension.
³Swami Râmdas (1884-1963), Râmakrishna (1836-1886), Shankaracharya (VIIIème siècle) : trois grands maîtres spirituels de l’hindouisme. »
Nathalie MOULIS, Formatrice IFY – 2020