Le concept d’équilibre.

L’article ci-dessous est extrait de la revue « Pas à pas » éditée par l’association régionale IFY Poitou Charentes.

« L’homme funambule, comment être stable pour être libre ?

Le fil de nos vies

Garder son équilibre ou perdre son équilibre est le risque que prend le funambule avançant sur son fil. Le pas de plus qu’il fera, sera assuré par la stabilité du pied arrière et alors le mouvement sera possible. Toute l’attention de l’équilibriste est mobilisée sur le moment présent, la moindre rupture de concentration l’écartant de la présence nécessaire à son exercice peut provoquer la chute. Chute qui ne sera pas fatale puisqu’il est relié à un système d’assurage mais qui remettra en cause sa progression et le succès de sa tentative.

Si l’on s’appuie sur cette métaphore pour illustrer la façon dont nous sommes engagés sur nos chemins de vie (sur le fil de nos vies), on peut voir peut-être qu’à certains moments les risques de déséquilibre étaient présents. Avons-nous chuté ou sommes-nous restés sur le fil ?

La stabilité

Si l’on évoque un synonyme du mot équilibre qui est le mot stabilité, nous pouvons comprendre, si nous sommes engagés sur le chemin du yoga, toute l’importance de cette notion comme fondement du vécu de nos pratiques et plus largement comme fondement de la façon dont nous nous vivons et dont nous vivons notre relation au monde. C’est peut-être la parole la plus
importante portée par le texte du Yoga Sūtra de Patañjali. Elle sous-tend tout le reste car elle est liée à la définition même que Patañjali donne du yoga (sūtra I.2) : « Le yoga (c’est stabiliser l’esprit) en arrêtant les activités du mental conditionné ».

Comment être stable pour être libre, comment être stable pour traverser nos émotions sans se laisser emporter par elles, comment créer une relation stable avec le monde qui nous entoure ?

Le sūtra II.46, que tous les pratiquants de yoga connaissent ou devraient connaître, décrit la posture de yoga (āsana) comme une expérience de stabilité (équilibre) et de liberté. C’est la stabilité qui est première et qui permet la liberté. Cette expérience ne s’adresse pas uniquement au corps/souffle mais à l’ensemble de notre être dans sa dimension existentielle.

Au sūtra II.48, Patañjali nous dit que cette expérience posturale aboutie, nous permet de ne plus être déstabilisé par le jeu des opposés qui par nature dans leurs orientations contraires peuvent nous déséquilibrer, nous déstabiliser.
Ces polarités peuvent créer une tension destructrice si elles génèrent un clivage ou une tension constructive si nous pouvons les accepter et les reconnaître pour ce qu’elles sont.

Au sūtra I.13, la pratique (abhyāsa) est définie comme moyen de stabiliser un état de l’esprit dépouillé de tous les mouvements conditionnés venant du passé.

Tous ces sūtra et d’autres encore dans le texte, nous montrent que la stabilité, une stabilité vivante et non rigidifiée, permettant le mouvement, « l’aller vers », est un éprouvé fondamental sur le chemin du yoga et de la vie.

L’être humain, debout (en équilibre) entre terre et « ciel » devra reconnaître ses racines, ses ancrages et en même temps ses aspirations les plus élevées.

L’attention et la confiance

L’attention si nécessaire au funambule pour avancer sur son fil est également un élément fondamental dans la pratique du yoga et dans la vie. Le Yoga Sūtra nous dit que s’engager dans la voie du yoga, c’est emprunter un chemin qui va de l’inattention à l’attention (sūtra III.9).
Cette qualité d’attention, de présence totale à « ce qui est » permettra de stabiliser le mental et de nous ouvrir à un état de sérénité (sūtra III.10).

Un autre élément capital pour que nous puissions rester stable sur le fil de notre vie, est la confiance que nous pouvons ressentir dans nos propres ressources, dans les relations avec les personnes qui sont importantes pour nous, dans la voie que nous avons décidé de suivre. Ce sentiment de confiance, nous permettra d’avancer, de prendre des risques, de nous ouvrir à la vie.

« La confiance, c’est savoir au delà de la simple conscience que si l’on fait un pas de plus, il y aura bien un sol sous nos pieds.
Que l’instant qui suit ne sera pas le bord d’un précipice. » (J.M. Robine).

La nature changeante de la vie

Au sūtra II.15, le constat est fait que l’être humain, le monde et la relation entre les deux est en perpétuel changement, rien n’est fixé, tout est mouvant. La nature changeante de la vie est souvent source d’angoisse, la peur de l’inconnu peut nous déstabiliser, nous faire perdre notre équilibre. Le besoin de se reconnaître dans des formes de vie durables, peut nous amener à résister au flot toujours changeant de l’expérience, à ériger des défenses intérieures, à nous rigidifier, à
reproduire les mêmes comportements encore et encore, pour préserver ce sentiment qu’il y a quelque chose de durable dans notre identité. Cette impression qu’il y a quelque chose de stable en nous, au delà du tourbillon de la vie, si elle est basée sur nos résistances, sur nos peurs sera une fausse stabilité dans laquelle nous nous reconnaîtrons mais qui nous enchaînera au connu, nous empêchant de nous ouvrir à la vie.

C’est par la présence, l’attention la plus vive que nous déploierons dans nos pratiques et dans notre vie que l’on pourra débusquer cette fausse reconnaissance de nous-même et nous orienter vers une stabilité ouverte, libre, nous permettant d’embrasser la vie dans son ensemble.

La véritable stabilité est d’accepter la nature changeante de la vie sans se laisser emporter par ce flot incessant ».

André Mesquida, Formateur IFY – 2021