L’autonomie, un processus

L’article ci-dessous est extrait de la revue « Trait d’union » éditée par l’association régionale IFY Lyon-Centre-Est et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.

« Vie sociale, financière, médicale, religieuse, politique, apprentissage, éducation, accompagnement des personnes âgées…
L’autonomie concerne tous ces domaines et bien d’autres. Nous nous intéresserons plus particulièrement dans cet article à l’autonomie dans le cadre de la pratique et de l’enseignement du yoga.
Ronan LE COADIC, sociologue, dénombre pas moins de 14 définitions différentes de l’autonomie au cours de l’histoire. Le mot autonomie, apparu en Grèce antique, était à l’origine  » la possibilité pour une cité de faire ses propres lois sans être sous l’emprise d’une tutelle étrangère « .
Il faudra attendre les humanistes de la Renaissance et l’impulsion de religieux comme Thomas d’Aquin, Luther ou Calvin pour que ce principe soit appliqué aux individus.
Autonomie vient du grec autos, soi-même et nomos, lois, règles et se définit aujourd’hui comme « la capacité à décider par soi-même et pour soi même des façons d’agir sans en devenir dépendant. » Ceci suppose une capacité à réfléchir sur soi-même, un processus de prise de conscience qui engendre une aptitude à remettre en question ses acquis.
L’autonomie n’est pas un état (on/off). Il s’agit plutôt d’un processus qui se construit par étapes et qui est toujours en évolution : on ne l’acquiert pas une fois pour toute, on peut avancer ou régresser dans ce processus. L’autonomie, c’est apprendre sans cesse.
Notons que l’autonomie absolue n’existe pas : les règles éthiques qui régissent la vie en société préexistent à l’individu.
L’homme se construit dans une autonomie partielle.
L’être humain est par essence dépendant de plus grand que lui : la Terre, le soleil… la Vie, et son organisation sociétale le destine à vivre en interdépendance plutôt qu’en indépendance.

L’autonomie, un processus par étape

Isabelle Filliozat, psychothérapeute et écrivaine, écrit dans son livre  » Trouver son chemin  » : « La croissance procède par stades. Chaque étape est nécessaire et structure la suivante « .
Elle parle de 4 étapes : la dépendance (l’état du bébé, d’abnégation totale et d’attachement extrême), la contre-dépendance (l’enfant dit non, refus d’attachement, étape agressive), l’indépendance (l’enfant veut faire tout seul, refus d’influence, de contraintes, étape nombriliste), pour accéder à l’interdépendance (assistance mutuelle, interaction, complémentarité).
Contrairement à une idée reçue et à la lumière de cette analyse, on constate qu’autonomie n’est pas synonyme d’indépendance. L’indépendance est teintée d’autosuffisance, elle est isolante et totémise l’individu. L’autonomie, elle, induit la coopération. L’autonomie découle de choix personnels qui nous relient à nous même et aux autres.


Le 2ème chapitre des Yoga Sûtra de Patañjali, est structuré en 4 points :

1 – Reconnaître notre problème, notre souffrance,
2 – Reconnaître que la cause de cette souffrance est la confusion
3 – Reconnaitre qu’il y a une solution : sortir de la confusion
4 – Reconnaitre qu’il y a un moyen et passer à l’action : les 8 membres du yoga

Je m’arrête un instant sur ce 4ème point.
A l’intérieur même de l’action se distingue plusieurs phases :

Passer à l’action n’est pas une mince affaire. On sait qu’une pratique nous ferait du bien, mais on ne la fait pas… Il est utile de se poser la question suivante : dans mon processus
d’autonomie, à quel(s) endroit(s) ça bloque ?

Autonomie et Autorité

Autorité : ce mot peut faire frémir… pourtant il vient du latin auctoritas qui signifie « capacité à faire grandir « . Ne confondons pas autorité et autoritarisme.
L’autonomie se construit ou se consolide grâce à une tierce personne. La qualité du professeur est essentielle : sa capacité à mettre en place une autorité positive est déterminante dans la construction de l’autonomie de l’élève.
Dans l’autorité positive, la hiérarchie établie n’est pas une soumission, elle existe au service de l’émancipation de l’élève. Pour que cette relation soit porteuse, l’enseignant doit se démarquer de deux attitudes autoritaires extrêmes qui sont des écueils : prendre tout en charge ou laisser les élèves se débrouiller tous seuls.
Le détachement, clef de voûte de l’autonomie, doit être présent dès le début de la relation enseignant-élève. En validant les expériences de l’élève, en donnant des outils appropriés et progressifs, le professeur va donner confiance à son élève et l’induire à se détacher de lui. L’élève s’affranchira d’autant plus facilement si la relation n’est pas basée sur l’affect mais sur le respect et l’estime réciproque profonde.
Il est essentiel que le professeur se questionne sur sa propre autonomie (affective ou autre) par rapport à son élève…

Autonomie et respect de soi : Svadharma, Svabhava et Svarapa

Dharma, mot présent dans les Yoga Sūtra de Patañjali, désigne les lois (naturelles ou autres) qui régissent le monde au niveau du macrocosme comme du microcosme (l’eau boue à 100° par ex). Ne pas tenir compte de ces lois peut déséquilibrer tout l’univers. « L’effet papillon « dont parle Edward Lorenz exprime bien cette théorie où chaque action a une répercussion sur le reste du monde.

Par extension, Svadharma (sva=soi) parle des caractéristiques propres à chacun avec lesquelles chacun va construire sa vie. Dans l’épopée guerrière Bhagavad-Gīta, on peut lire :  » Mieux vaut pour chacun sa propre loi d’action (svadharma), même imparfaite, que la loi d’autrui, même bien appliquée. Mieux vaut périr dans sa propre loi ; il est périlleux de suivre la loi d’autrui. On n’encourt pas le péché quand on agit selon la loi de sa propre nature (svabhāva). »

Svabhāva, (de sva : soi et Bhāva : le potentiel, ce qui doit se révéler) exprime qu’il nous faut réaliser, au premier et deuxième sens du terme, ce pour quoi nous sommes faits, en relation avec notre svadharma. Notre potentiel, nos qualités nous destinent à accomplir une mission : mission d’une vie, d’un jour ou d’une heure.

Ainsi, l’autonomie implique d’être en lien avec son Svadharma (ce qui me porte) pour réaliser mon Svabhāva (mon épanouissement) et ainsi revêtir mon Svarūpa, (de sva : soi et
rūpa : sa propre forme), être à sa place, dans le bon vêtement.
Chacun d’entre nous a l’immense privilège d’être le seul à sentir ce qui se passe à l’intérieur de lui-même. Nous devrions toujours considérer et partir de ce que nous raconte notre propre corps et le yoga nous invite à l’écouter. Savoir écouter c’est méditer. Écouter c’est faire silence pour faire taire et apaiser le mental. On peut ainsi accéder à d’autres informations que celles vociférées en permanence par un mental bruyant. Choisir ses règles, c’est savoir écouter ce dont on a besoin. C’est aussi savoir s’approprier des outils et les mettre en oeuvre en lien avec la réalité de notre constitution.

Faire ce qu’il y a à faire

YS IV 7 : l’action du yogi n’est ni blanche, ni noire ; pour les autres elle est confuse.
Le yogi pour Patañjali est celui qui, par sa pratique, est arrivé à un degré de lucidité tel que ses actions sont justes, du point de vue du dharma et du svadharma de chacun.
L’action blanche est l’action motivée par de bonnes intentions mais elle va manquer de pertinence:  » l’enfer est pavé de bonne intentions  » ou  » je l’ai fait pour ton bien « .
L’action noire est basée sur une volonté de détruire ou d’asservir l’autre. C’est une action perverse.
Le yoga ne cherche ni à faire du bien ni à faire du mal. Il fait ce qu’il y a à faire pour que nous vivions mieux notre condition humaine, pour que le discernement advienne, pour que
le svabhāva de chacun se révèle.
Quand nous sommes sur le bon chemin, nous avons le sentiment d’être à notre place et nous ressentons de la joie : ceci procure du bien être. Mais le but du yoga n’est pas la
recherche du bien-être…
Dans un processus d’autonomie, on se recentre sur  » ce qu’il y a à faire « . Lorsque je pratique seul, est ce que je fais cette posture parce que je l’aime bien ou parce qu’elle correspond à un besoin ? Le bon espace engendre du plaisir, du mieux-vivre. Le plaisir n’est pas une fin en soi. Le bon espace nous amène à vivre en bonne interaction avec soi et le monde.

L’Autonomie, un processus de recherche

L’autonomie ou mécanisme d’appropriation est un véritable travail de recherche. On fouille, on essaie de mettre en relation un élément de la tradition avec un élément de notre contexte de vie.
Alors, tel Christophe Colomb découvrant un continent inconnu des européens en cherchant la route de l’Ouest vers les Indes, la recherche nous amène souvent à trouver autre chose que ce que l’on cherchait : ainsi la curiosité et la détermination, permettent cette sérendipité et ouvrent sur des découvertes intimes, inédites.

Autonomie et Liberté

-On associe autonomie et liberté, à tort ou à raison ?
-Si liberté est comprise comme se couper des contraintes extérieures, NON !
-Si liberté est comprise comme indépendance avec le sens d’autosuffisance, NON !

Selon Patañjali (YS IV 34), être libre c’est d’abord ne plus être perturbé par les changements incessants de la vie. Le YS II 15 nous dit que tout est source de souffrance.
L’homme n’aime pas le changement, par attachement à une situation admise (agréable ou pas). Or, la nature (dont nous sommes aussi composés) est par essence en perpétuelle évolution. La liberté c’est avoir assez de recul pour ne plus être bousculés par ces changements continuels.
L’autre aspect de la liberté pour Patañjali, c’est d’accomplir ce que l’on a à faire à deux niveaux différents. En tant qu’être humain : être à sa place en temps et en heure (grandir, apprendre, se reproduire, endosser des responsabilités, se détacher). Et en tant qu’être unique, on retrouve l’idée de développer son svabhâva : trouver et accomplir sa tâche, celle d’une journée, d’une mission ou d’une vie.
L’autonomie amène à la liberté dans la mesure où elle nous permet de réaliser et d’affûter notre conscience. Conscience qui nous permet la création ou l’appropriation de règles.
Être libre ce n’est pas  » ne plus avoir besoin de personne « , c’est apprendre et partager sans relâche dans une interdépendance assumée. »

Marie-Françoise GARCIA, formatrice IFY – 2017