L’article ci-dessous est extrait de la revue « Les Mots du Yoga » éditée par l’association régionale IFY Sud et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.
Dès le premier chapitre du traité de référence du yoga, Patanjali pose les bases qui permettent l’apaisement du mental : cittaprasādhanam. Il nous propose de choisir une démarche et d’en faire un support de méditation quotidien jusqu’à ce que nous retrouvions notre souffle et notre centre. Ainsi, nous aurons eu le recul suffisant pour réfléchir à l’action à mener.
De nombreux obstacles se dressent sur la voie du yoga et il n’est pas toujours facile d’avoir une pratique sereine, régulière et de la maintenir sur le long terme.
Nos différents engagements nous demandent du temps, de l’énergie, de la patience et de l’endurance.
Parfois, les situations deviennent si difficiles qu’il nous est impossible de nous y confronter directement.
L’auteur des sūtra propose dans ce cas une action de contournement, le temps de retrouver suffisamment de stabilité et d’apaisement pour régler les problèmes.
Il ne s’agit pas de foncer tête baissée mais de faire quelques pas de côté. Ce conseil a de nombreux avantages : faire quelques pas de côté, ce n’est ni faire face, ni tourner le dos, mais cela permet d’éviter les pièges tendus par la relation frontale ou la fuite.
Le premier moyen mis à notre disposition concerne notre attitude envers ceux qui autour de nous vivent des situations qui nous affectent de différentes manières. En observant attentivement les émotions qu’elles génèrent, nous pouvons anticiper nos réactions et adopter une nouvelle attitude.
Ce moyen, proposé par Patanjali au sūtra I-33, permet de mieux nous connaître et de travailler sur nos comportements.
En effet, la relation que nous entretenons avec l’autre nous tend un miroir dans lequel nous prenons conscience de la manière dont nous gérons nos affects.
L’énoncé de la démarche peut paraître simple, mais, en réalité, l’appliquer ne l’est pas.
Patanjali expose quatre situations pour lesquelles nous devons faire advenir un sentiment, une attitude, une réflexion. Ainsi, nous essaierons de cultiver :
1/ L’amitié vis-à-vis du bonheur d’autrui,
2/ La compassion vis-à-vis du malheur d’autrui,
3/ L’enthousiasme vis-à-vis des actes vertueux d’autrui,
4/ L’indifférence vis-à-vis des actesnon vertueux d’autrui. Pour bien comprendre ce qui nous est proposé, il faut retenir le mot sanskrit vishaya présent dans le sūtra. Ce terme nous indique qu’il s’agit de situations qui nous affectent, ou qui, dans tous les cas, ne nous laissent pas indifférent.
Dans la première situation, nous sommes touchés par le bonheur d’autrui. Nous pouvons envier ou jalouser ce qu’éprouve l’autre. Face à cela, il faut faire advenir l’attitude contraire et cultiver un comportement plein d’amitié et de bienveillance, ce qui permet de ne pas céder à des sentiments qui troubleraient et affecteraient notre mental. Ce positionnement nous libère et nous pouvons nous diriger vers ce qui est placé sur notre propre chemin.
Dans la seconde situation, nous sommes touchés par le malheur de l’autre. Nous avons alors tendance à nous détourner, fuir ou ignorer. Patanjali nous invite à faire apparaître karuna, la compassion. Cette traduction du sanskrit par le mot français « compassion » qui signifie « pâtir avec » nous induit en erreur, car, le mot karuna, par sa racine kr, signifie « agir ». Il nous invite donc à agir avec ou pour celui qui souffre. Cette attitude basée sur l’action apaise notre mental affecté par la souffrance de l’autre.
Dans la troisième situation, nous sommes face à un objet vertueux (succès, réussite, justesse…) qui nous affecte. Il faut faire advenir en nous la joie et l’enthousiasme : muditā. Au lieu d’une neutralité dédaigneuse affichée comme si le bien, le bon, le juste étaient « normaux » et ne nécessitaient pas d’aller dans le même sens, il faut nous montrer encourageant et d’humeur heureuse.
La dernière situation n’est pas la plus facile mais s’avère très utile. Il s’agit de cultiver une forme de neutralité, un détachement positif, une mise à distance vis-à-vis d’un objet (une situation) malsain qui nous affecte. Dans les cas où l’éloignement physique n’est ni possible, ni souhaitable, alors, intérieurement, il faut se mettre à l’abri, ne pas prendre part et cultiver le détachement
ou une forme d’indifférence bienveillante.
Ces conseils d’attitude intérieure qui amènent un comportement adapté à certaines situations, ne sont pas normatifs ou moralisateurs. Chacun peut les interpréter comme il l’entend.
Bien qu’ils puissent contribuer à établir un climat de paix sociale, leur raison d’être est tout d’abord pour soi-même, pour continuer sur la voie du yoga en maintenant un équilibre mental, une harmonie dans le vivre ensemble.
La relation à l’Autre est ce qui nous permet d’avancer vers la réalisation de soi.
Patanjali yogasûtra I-33 :
Maitrîkarunâmudi-topekshânâm-sukhaduhkhapunyâpunya-vishayânâmbhâvanâtah-cittaprasâdanam Pour l’équilibre et l’apaisement du mental, il faut cultiver les attitudes d’amitié envers les heureux, de compassion envers ceux qui souffrent, d’enthousiasme envers les actes vertueux et de mise à distance envers les situations malsaines.
Sandra ERMENEUX, Formatrice IFY – 2023