La non-violence, préalable au respect du dharma

Cet article est extrait de la revue « Le courrier » édité par l’association régionale IFY Midi-Pyrénées.

« Vers l’ouverture des possibles.

Haut comme trois pommes, il contemple son château de sable prêt à affronter la montée de la mer. Attiré par le spectacle un petit garçon s’approche, son regard allant du château au bâtisseur. Ce dernier le repousse brusquement. Pleurs, coups de pieds, le château est détruit, bien avant l’assaut de la mer!
Pourquoi cette violence instinctive, initiant un rapport de force ?

Depuis toujours les témoignages abondent de cette violence qui est en nous. Elle ne demande qu’à s’exprimer. Pourquoi ? Dès notre naissance, intimement, nous savons que chaque instant de vie côtoie la mort. La marche du monde est ainsi : chaque chose doit mourir pour qu’il y ait naissance.
Notre vie alternera sans cesse entre les bonheurs et les malheurs de la perte. Notre force de vie est immense, elle nous protège et nous fait avancer. Sa puissance à nous faire vivre peut cependant être aveugle lorsqu’une partie de nous se sent menacée. La peur est là, qui éloigne de l’action juste et amène à la violence.
Cause de souffrance, la peur est enracinée en chacun de nous, même chez les sages, et ne demande qu’à s’exprimer. Qui ne l’a jamais senti grandir, parfois à l’extrême, jaillissant d’un détail insignifiant ?

La peur en sanskrit, c’est vouloir maintenir notre espace vital, à tout prix, pour nous sentir entier et pouvoir dire « je ». Méconnaissant la Vie telle qu’elle est, l’ego va sortir alors les armes pour défendre son territoire.
Dans la vie, notre territoire est le quotidien. Parfois heureux, parfois douloureux, il est notre support pour avancer. Nous y tenons. Toutes nos actions sont justifiées pour maintenir ce support. Consciemment ou non, nous voulons rester dans le connu. L’inconnu nous fait peur. La peur est le signal qu’un changement possible et profond est à l’œuvre. Mais nous la prenons comme un danger menaçant notre édifice. La violence nous aide alors à nous agripper à nos acquis.

Et, si nous portions le monde ? Parties intégrantes du monde, nous le portons. C’est la notion de dharma : porter, supporter, tenir en mains. Dharma est notre devoir. Sommes-­nous conscients que si nous portons le monde, il nous porte lui aussi ? La bonne marche du monde et notre bonheur sont en relation étroite.

La vie n’est que changement perpétuel. Ne parle-t-on pas d’écoulement de la vie ? Soyons les mains habiles qui en tiennent les rives mouvantes, maintenons-en le flot libre et régulier. Ne nous crispons plus sur nos supports construits de toutes pièces, acceptons de lâcher prise, de nous ouvrir au différent, au nouveau. Tout laisser tomber ? Certainement pas. Nous devons être partie prenante du maintien du flux, qui continuera même sans nous. Présence et adaptabilité sont les maîtres mots du dharma.
Pour le respecter, l’homme crée des lois, des notions telles que l’éthique, la déontologie … qui semblent parfois nous enfermer et difficiles à respecter.

Responsables du monde, nous avons cependant à gérer notre vie quotidienne. C’est là qu’intervient le sva (prononcer « soi ») dharma, notre dharma ; les rôles qui nous sont propres, au quotidien : quelle « casquette » vais-je porter ? Celle de la mère de famille préparant ses enfants pour l’école, est différente de celle qu’elle aura au bureau. Avoir la bonne casquette au bon moment assure la fluidité de notre quotidien.
Mais nous ne pouvons pas toujours agir selon les lois du dharma : le vol est proscrit par la loi ? Qu’en est-il du père qui vole pour nourrir sa famille ? C’est son svadharma et il doit passer en premier, avant le dharma. Juste ou non, un équilibre bien difficile à trouver ! En réponse à la question qui s’impose, « comment maintenir le dharma en restant à notre place sans laisser croître la violence dont le germe est en nous ?», Patañjali nous propose des pistes pour vivre le plus paisiblement possible notre relation envers autrui.

La première piste est la non-violence !

Le verbe qui a donné le mot ahimsa, la non­-violence, signifie tuer. Être non-violent, c’est ne rien tuer. Facile à comprendre à première vue, cette injonction invite à aller plus loin. Est-ce si simple de ne rien tuer ? Un geste, un mot, un regard ne sont-ils parfois pas des armes redoutables atteignant leur cible du premier coup ? Prendre conscience que cette capacité de « tuer » l’autre est en nous, est le premier pas vers la non-violence.
Cette prise de conscience permet de dégager un espace pour accueillir l’autre. Réellement dans la non-violence, notre bienveillance devient un support, un lieu sûr dans lequel il pourra abandonner toute hostilité.

Être non-violent, c’est reconnaître la violence possible, et laisser libre l’espace pour la relation. Acte d’ouverture totale aux possibles pour soi et pour l’autre. Condition sine qua non pour que l’éclat de la Vie jaillisse !

Dominique ADDA, formatrice IFY – 2023