Le texte ci-dessous est extrait de la revue « Trait d’union » éditée par l’association régionale IFY Lyon Centre Est et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.
« Il est bien connu que c’est par l’expiration que l’on éduque la respiration. Les problèmes respiratoires sont, dans leur très grande majorité, liés à des blocages inspiratoires ; il en découle des disfonctionnements circulatoire, digestif, ou d’élimination. Se sensibiliser à une juste expiration est donc un projet bien utile pour la santé. C’est aussi celui du Yoga, tant pour atténuer nos difficultés (Voir YS I 34) que pour nous engager dans une transformation profonde (Voir YS II 46-55).
Il reste qu’il faut aussi éduquer l’expiration et ce n’est pas chose évidente. La proposition faite ici est un des multiples moyens qui le permettent.
Expiration superficielle et expiration profonde.
Dans la vie quotidienne, notre respiration est spontanée ; nous n’avons pas à la contrôler et c’est très bien ainsi ; laissons faire le corps ! Il reste que notre sensibilité spontanée n’est pas toujours assez fine pour que notre respiration soit juste ; son éveil est un enjeu important. Nos pratiques posturales et respiratoires révèlent bien que nous avons à nous entraîner à cet éveil.
Nous avons tendance à intervenir sur elle dès que nous prenons conscience de notre respiration spontanée. Malgré cette difficulté, voyons comment elle se passe. Quand nous inspirons spontanément, nous constatons que notre cage se soulève un peu et que nous nous redressons légèrement. Cette activité inspiratoire est suivie d’une expiration qui est plutôt un relâchement : le tronc s’affaisse légèrement. Si, volontairement, nous accentuons ces actions, nous retrouvons le mouvement très caractéristique
d’un très fort redressement du tronc accompagnant une inspiration souvent très bruyante. L’expiration, souvent bruyante elle aussi, est caractérisée par un affaissement du tronc tandis que seule la partie dorsale de la colonne s’arrondit.
Comment passer de cette expiration qui paraît profonde à une juste expiration profonde ?
Caractéristiques d’une juste expiration profonde.
Pour expirer correctement il faut activer le grand muscle expirateur, c’est-à-dire le transverse.
Le muscle transverse est l’antagoniste du principal muscle inspirateur qu’est le diaphragme. Quand le diaphragme est actif pour l’inspiration, il exerce une pression sur l’abdomen et le transverse se relâche. Quand le transverse est actif pour l’expiration, il repousse le diaphragme et favorise le resserrement de la cage.
Le muscle transverse est le plus profond muscle abdominal, c’est lui qui « maintient le ventre ». Il est constitué de fibres transversales. Elles s’insèrent, au centre, sur la « ligne blanche », tissu non musculaire qui va du sternum au pubis. Les insertions « externes » sont osseuses et multiples :
- En haut, sur la face profonde des sept dernières côtes.
- Au milieu sur les cinq vertèbres lombaires.
- En bas, sur la crête iliaque et l’arcade fémorale.
En théorie, lorsque le transverse est actif :
1) Si la ligne blanche est fixe : les sept dernières côtes s’abaissent, la courbure lombaire est accentuée, les crêtes iliaques sont « tirées » vers le centre et libèrent le sacrum.
2) Si les côtes, la colonne et le bassin sont fixes : c’est toute la paroi abdominale qui est « tirée » vers l’intérieur.
En pratique, le phénomène est beaucoup plus complexe, car rien n’est absolument fixe.
Une juste expiration profonde suppose une intervention simultanée de la totalité des fibres du transverse s’insérant, aussi bien sur la crête iliaque et l’arcade fémorale que sur les cinq vertèbres lombaires et jusqu’à la face profonde des sept dernières côtes. Cette action, combinée au grandissement de la colonne, produit de multiples effets qu’il serait impossible de contrôler par la volonté :
- Toute la paroi abdominale est tonifiée car elle se rétracte de façon homogène. C’est le contraire de ce qui se passe quand on expire en « serrant le ventre » ; dans ce cas, le resserrement de la taille produit un étranglement qui empêche une expiration complète.
- L’implication du bas-ventre, outre sa tonification, produit une mobilité des articulations sacro-iliaques et une tonification de l’avant du plancher pelvien.
- L’implication de la paroi abdominale au niveau du nombril va de pair avec le détassement des vertèbres lombaires.
- L’implication de la paroi abdominale au niveau de l’estomac abaisse les côtes inférieures et
- détasse les vertèbres dorsales au milieu du dos.
Les bandha sont les justes “liens” intérieurs qui permettent de conserver prāna en nous. Pour les personnes concernées par eux, notons qu’il est indispensable que les éléments impliqués dans une juste expiration profonde soient en place pour leur introduction :
- La tonicité du transverse sous-ombilical et la liberté du bassin permettent mūla-bandha. Soulignons son lien avec le plancher pelvien.
- La souplesse de la cage et de la colonne ainsi que la souplesse du diaphragme permettent uddīyāna-bandha.
- Enfin, il n’est pas possible d’avoir le grandissement de la colonne, mentionné ci-dessus, sans au moins une esquisse de jālandhara-bandha, qui est la mise en place des justes relations entre la tête, la ceinture scapulaire et le tronc. Bien que l’abdomen ne soit pas directement impliqué dans jālandhara-bandha, celui-ci est indispensable pour l’installation des deux autres bandha.
Un enchaînement postural inhabituel.
Parmi les multiples outils que nous propose le yoga, voici un enchaînement qui peut paraître déconcertant, mais qui se révèle assez utile pour activer le muscle transverse de façon globale et homogène ; il faut un peu de temps pour l’apprivoiser.
Sa caractéristique est d’enchaîner trois mouvements bien connus, habituellement dissociés, sur une même expiration.
Cette proposition respecte les règles les plus habituelles de la pratique posturale puisque : s’il est déconseillé de faire sur l’inspiration les mouvements logiquement associés à l’expiration, ceux qui diminuent le volume thoracique, par contre, tous les mouvements peuvent se pratiquer sur l’expiration.
Décomposons cet enchaînement pour en saisir l’intérêt :
Il est proposé d’inspirer dans la position initiale : debout mains jointes sur la poitrine.
Notons que l’attention portée à « l’étalement » de la plante des pieds contre le sol permet déjà un dialogue entre les côtés gauche et droit du corps. La sensibilité du contact des deux paumes de mains prolonge le dialogue gauche / droite au niveau respiratoire en rendant plus perceptible les deux côtés de la cage thoracique ainsi que sa relation à la ceinture scapulaire.
Notons encore que le contact des mains permet d’introduire, à l’inspiration, « l’élargissement » du milieu du dos, entre les omoplates.
Lorsqu’on élève les mains en expirant, surtout si l’on imprime à la totalité du corps, tête comprise, un léger mouvement d’extension, le transverse, et plus particulièrement le transverse inférieur, est plus directement impliqué.
Cette implication est rendue encore plus perceptible si l’expiration est faite en soufflant par la bouche.
Rappelons que le yoga appelle “allongement de l’avant” ce que nous appelons extension ; c’est une invitation à ne pas y voir un “plié arrière” qui écraserait la région lombaire.
La flexion avant sur l’expiration est un mouvement des plus
courants. Sa répétition machinale peut émousser son intérêt.
Rappelons que le yoga l’appelle “allongement de l’arrière ;
on le transforme trop souvent en “plié avant”, c’est-à-dire
en compression de l’abdomen. L’allongement de l’arrière est
accompagné, à l’expiration, d’un élargissement de l’arrière
au niveau du diaphragme. Notons que c’est cet élargissement
qui va permettre uddīyāna-bandha. Lorsque la flexion se fait
ainsi, l’abdomen n’est pas comprimé mais allongé. Lorsque ce
mouvement succède au précédent, il est déclenché avec un
transverse déjà impliqué.
Lorsqu’on se redresse sur une expiration, on retrouve ce qui a été dit au sujet du mouvement 1.
De plus, comme le tronc revient à la position verticale, ce redressement accentue l’implication globale et homogène du transverse ; ceci s’accompagne d’une forte
incitation à la détente du diaphragme et donc de sa remontée et de l’abaissement des côtes.
Lorsque cette remontée s’effectue sur la même expiration, englobant déjà les mouvements 1 et 2, le phénomène est encore accentué ; on n’est pas loin de la mise en place d’uddīyāna-bandha, surtout si l’on n’a pas oublié que l’occiput, l’os arrière de la tête, est invité à toujours s’éloigner du sacrum, os arrière du bassin : un élément majeur de jālandhara-bandha.
« Alors le voile sur la lumière est détruit » (YS II 52).
La juste expiration profonde, dont nous venons de traiter, débouche sur d’importants effets en cascade qui sont présentés aux sûtras 46 à 55 du deuxième chapitre du traité de yoga de Patanjali, le Yogas
La juste expiration profonde, dont nous venons de traiter, débouche sur d’importants effets en cascade qui sont présentés aux sûtras 46 à 55 du deuxième chapitre du traité de yoga de Patanjali, le Yogasūtra.
En conclusion de cet article, contentons-nous de les énumérer.
Le premier d’entre eux concerne l’inspiration. Il devient possible, en effet, d’organiser l’accueil de l’inspiration en rendant disponibles les espaces qui vont s’ouvrir et qui impliquent la totalité du tronc, du sternum au plancher pelvien.
Il est ensuite possible de faire de la respiration une méditation très subtile qui est la perception, sans discontinuité dans le temps, du lien sensible, continu dans l’espace, entre le sommet du crâne et le centre du plancher pelvien, autrement dit, la conscience de l’axe énergétique (sushumna).
Cet effet est appelé « quatrième prānāyāma » en YS II 51.
Cet affinement de la respiration débouche sur un développement de la sensibilité profonde ; le YS II 52 le décrit comme « la destruction du voile qui cache la lumière ».
Fort de cette plus grande sensibilité profonde, le pratiquant perçoit directement les lieux du corps qui présentent des résistances : là où « ça ne tourne pas rond » (Cf. YS II 53). L’attention portée à ces lieux (dhāranāsu) permet de réduire ces résistances et même de les éliminer, alors apparaissent les « centres » où « ça tourne rond » (cakra).
Ces résistances dans le corps ont une dimension physique, mais aussi une dimension énergétique et surtout une dimension psychologique.
Notre histoire est inscrite dans notre corps et dans notre souffle ; toucher au corps et au souffle, c’est toucher à notre histoire.
La méditation qui nous est proposée au sūtra II 53 permet de nous réconcilier avec cette histoire sans qu’elle nous devienne explicitement consciente. Il peut être utile de mettre des mots sur cette histoire ; si c’est nécessaire, il restera alors à trouver l’oreille accueillante et compétente à qui les dire. »
Michel ALIBERT, Formateur IFY – Mars 2013.