Cet article est extrait de la revue « Pas à pas » éditée par l’association régionale IFY Poitou-Charentes et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.
À travers ce texte, Dominique Adda, Formatrice IFY, revient sur la notion de Prāṇā, la force vitale originelle. Comment se manifeste-t-elle ? Comment éviter qu’elle ne se disperse ? Comment agit-elle sur le mental ?
PRĀṆĀ, la vie en nous
À la toute première entrée de l’air dans ses poumons, le nouveau-né pousse un cri ; manifestation de sa venue sur terre et d’une autonomie bien spéciale, celle de la
respiration.
Quel merveilleux mouvement que celui de la respiration ! Il nous est donné, sans que notre volonté n’ait à intervenir ; nulle décision à prendre, l’air entre et sort, dans un double mouvement ininterrompu… et ce, jusqu’à ce que nous « rendions » notre dernier souffle.
Mais bien vite le bébé va connaître certains besoins pour lesquels il n’est pas autonome : celui de la sécurité qui le fera soupirer d’aise lorsqu’il sera assouvi, celui de la faim, de la propreté, qui le mettront à bout de souffle à force de pleurs, s’il n’y est pas répondu… Plus tard, il saura ce que c’est que d’avoir le souffle coupé, de ne pas manquer d’air, d’avoir de l’inspiration ou non…
Les expressions qui parlent du souffle sont fort nombreuses. Si nous les regardons d’un peu plus près, nous remarquons que le souffle dont il est question est modifié, d’une part, mais aussi qu’il est le résultat d’autre chose, d’un mouvement de vie autre que la respiration.
Si nous menons une vie agitée, par exemple, nous dirons que nous n’avons pas le temps de respirer,… et pourtant nous respirons ! Lorsque nous sommes devant un spectacle émouvant, n’en avons-nous pas le souffle coupé ? Et pourtant, il repart… entier !
Nous comprenons qu’il y a une relation très forte entre notre respiration et la vie que nous menons.
La vie se joue ainsi de deux manières :
- par la respiration : l’air qui entre et qui sort dans nos poumons, les échanges des volumes gazeux.
- par l’énergie que nous sentons ou exprimons.
Subtile, cette énergie dont nous avons plus ou moins conscience se manifeste à bien des niveaux : physique, psychique et spirituel.
Dans le contexte du yoga, la vie présente en chacun de nous, sous toutes les formes d’énergie possibles, c’est PRĀṆĀ (mahā Prāṇā ou grand Prāṇā).
Prāṇā est le substrat de vie existant à chaque instant dans l’univers, macroscopique et microscopique, à tous les niveaux. Il est l’axe de la roue de la vie ; l’énergie qui crée, qui maintient, et qui détruit.
Ce mot PRĀṆĀ, est formé du préfixe « pra » qui indique une direction vers l’avant, la constance, et de la racine « AN » qui veut dire, respirer, se mouvoir. C’est la force vitale originelle, force de mouvement constant.
Vivre, c’est respirer, mais c’est aussi parler, chanter, manger, penser, se déplacer…
Les expressions de PRĀṆĀ
Les textes vont diviser Prāṇā en cinq souffles principaux, appelés aussi vāyu, selon leur manifestation.
1) prāṇā vāyu : (le terme générique est ici employé pour désigner le particulier ; on emploiera un « p » et non un « P »).
Cette activité de PRĀṆĀ, prāṇā vāyu donc, gouverne l’entrée de l’énergie vitale sous toutes ses formes dans le corps. Il correspond à la prise, la saisie, le redressement…
C’est grâce à ce souffle que l’ovule et le spermatozoïde se rencontrent, que nous nourrissons notre corps par l’alimentation, mais aussi notre esprit par l’étude… C’est grâce à lui que nous allons de l’avant, par la marche, la création, l’imagination… Il crée des liens avec le futur.
Ce souffle est localisé dans la région thoracique, entre le larynx et le sommet du diaphragme ; il commande la respiration, et plus particulièrement l’inspiration, mais aussi le fonctionnement du cœur, et l’ingestion.
Dans notre pratique, nous en prenons conscience à l’inspiration. La tendance naturelle de ce souffle est de monter. Est-ce pour cela que, sans contrôle, il nous arrive de monter les épaules, la cage thoracique lors d’une inspiration profonde ?
Lors de nos respirations conscientes, nous chercherons à maintenir ce « prāṇā d’énergie absorbée » en nous, en dirigeant l’inspiration vers le bas, et à en garder la conscience lors des arrêts poumons pleins. Nous verrons un peu plus loin un autre bénéfice du fait de cette direction vers le bas de l’inspiration.
Le terme « prāṇāyāma » est souvent traduit par « maîtrise du souffle » : nous pouvons déduire des lignes qui précèdent, que maintenir le sens de notre inspiration en direction du nombril, afin de ne pas le « laisser s’échapper » vers le haut, c’est déjà du prāṇāyāma !
2) apāna vāyu : cette deuxième manifestation de PRĀṆĀ vient en « réponse » à la fonction d’ingestion, prāṇā vāyu.
Apāna est responsable des fonctions d’élimination, de ce qui sort du corps. Grâce à lui, nous évacuons, nous rejetons. Situé entre le nombril et le périnée, il contrôle les intestins, la vessie, les reins, les organes excréteurs et reproducteurs. Il assure l’expulsion des selles, de l’urine, des règles, du sperme et du fœtus à la naissance.
Il nous aide à nous alléger, nous purifier sur tous les plans. Il est lié au passé (c’est lui qui nous permet de faire le deuil, de pardonner…).
Il correspond à l’expiration.
Son mouvement est descendant. Est-ce lui qui nous fait nous tasser lorsque nous poussons un gros soupir ?
Apāna doit donc nous débarrasser de ce qui a vocation à sortir du corps, de ce qui n’a plus raison d’y rester, de ce qui s’accumule : c’est un aspect positif d’apāna.
Mais on parlera aussi d’apāna pour désigner les résidus, les déchets, ce qui ne nous est plus nécessaire, ce qui est en trop : c’est un aspect négatif d’apána. En ce sens, apána, bien que localisé dans la partie basse du corps représente aussi cette énergie qui s’accumule là où elle ne doit pas. C’est de l’énergie « bloquée », qui ne circule plus : du PRĀṆĀ qui est à l’extérieur du corps, qui ne peut plus nous nourrir.
Toutes nos tensions, nos douleurs, sont du PRĀṆĀ « piégé », qui prend alors le nom d’apāna. Plus nous sommes perturbés, plus notre énergie va à l’extérieur de notre
corps, au détriment de l’intérieur. Apāna, cet aspect de PRĀṆĀ qui nous quitte, nous le ramenons en nous à l’expiration, que nous dirigeons du bas vers le haut.
Éviter cette dispersion du PRĀṆĀ, le rassembler en nous-mêmes, peut être une traduction du mot prāṇāyāma.
Un autre bénéfice de ce sens de l’expiration est expliqué à partir des schémas ci-dessous.
C’est dans une zone située au centre du corps que se fait la remise en circulation de PRĀṆĀ, avec l’élimination des obstacles qui l’entravent.
3) samāna vāyu : est le souffle responsable de cette zone. Entre la zone de práóá et celle d’apāna, sous le diaphragme et un peu au-dessus du nombril, c’est là que samāna gère l’équilibre entre ce qui entre et ce qui sort.
Harmonisant prāṇā et apāna, samāna est responsable de la digestion et de l’assimilation des aliments et de toutes les fonctions d’assimilation de notre corps physique.
Symboliquement, samāna est dans la zone du feu.
Il est en effet possible de comparer l’homme à une chaudière, dont le foyer se situerait au centre du corps. Comme dans tout foyer, les flammes se dirigent vers le haut, sauf lorsqu’un courant d’air vient en modifier la direction. Au-dessus des flammes, il y a l’air (la zone de prāṇā), et au-dessous, il y a les résidus plus ou moins bien consumés (la zone d’apāna).
La respiration contrôlée, le prāṇāyāma, va nous permettre d’inverser le processus.
En inspirant du haut vers le bas, nous amenons un courant d’air qui va inverser le sens de la flamme. Celle-ci vient alors sur les déchets qui vont d’autant mieux se transformer en cendres. Les temps de poumons pleins maintiennent en quelque sorte ce contact des déchets avec la flamme ; la combustion n’en est que meilleure !
En expirant du bas vers le haut, les déchets sont rapprochés de la flamme qui les brûlera plus facilement. Les temps de poumons vides prolongent et renforcent ce rapprochement.
Les postures inversées, en mettant la zone d’apāna au dessus de celle de prāṇā, nous offrent la possibilité de mettre les résidus directement sur la flamme.
La pratique des bandha permet de maintenir les résidus proches de la flamme tout en amenant celle-ci dans leur direction.
Le prāṇāyāma, c’est aussi, en quelque sorte, s’assurer du bon fonctionnement de la chaudière ! Grâce aux techniques, nous jouons sur les « différents réglages » : apport
d’oxygène, élimination des cendres…
Dès lors, nous pouvons comprendre l’importance de cette région de notre corps. Pour que le feu fonctionne bien, il lui faut de la place, de la liberté, afin que la rencontre puisse se faire entre prāṇā et apāna. C’est dans cette perspective que nous devons orienter notre pratique.
Le diaphragme, membrane souple, joue un rôle primordial dans la liberté de samāna.
4) udāna vāyu : le « souffle qui monte (ud) », est la quatrième manifestation de prāṇā. Il commande la parole et les cordes vocales. Responsable des organes sensoriels et des organes d’action, il nous permet la communication avec l’extérieur.
C’est lui qui nous donne l’enthousiasme, la joie, l’envie de nous élever, de remonter à la source.
Situé dans la gorge (pharynx et larynx), il régule également l’absorption de l’air et de la nourriture.
5) vyāna vāyu : le « souffle de la diffusion (vi) », va gérer l’ensemble des souffles.
Siégeant dans le cœur, les membres et les articulations, il imprègne tout le corps en jouant le rôle de régulateur, en distribuant l’énergie provenant de la nourriture et de
l’air. Il assure « le transport » de la vie à tous niveaux dans l’espace et dans le temps.
Il existe d’autres souffles, chacun ayant un rôle bien précis : clignement des yeux, éternuement, hoquet… Aucun de ces souffles n’est positif ou négatif. L’essentiel est d’en respecter l’équilibre.
Tous, nous permettent de vivre, de gérer au mieux notre « nature personnelle ».
Prāṇā, l’énergie qui nous fait vivre, nous est donnée. Nous n’avons, et ne pouvons rien ajouter ni changer à ce don de naissance.
Mais nous pouvons lui offrir les meilleures conditions possibles, en éviter la dispersion ; Prāṇāyāma est une technique très efficace pour cela ! En ce sens, prāṇāyāma a pour but de prolonger la durée de notre vie.
PRĀṆĀ et le mental
La relation entre le mental et Prāṇā est évidente ; nous pouvons l’observer tout au long de notre journée. Si tout va bien, nous avons bon appétit, la digestion se fait
bien, nous nous exprimons facilement… Une mauvaise nouvelle, l’estomac peut être noué, la gorge serrée, les jambes coupées, le souffle suspendu… On nous propose quelque chose d’excitant, la respiration s’accélère, les membres s’agitent, on s’étrangle…
Avec le prāṇāyāma, nous allons « renverser » la situation ; nous utilisons le souffle pour agir sur le mental, améliorant ainsi la qualité et la quantité de prāṇā dans notre
corps.
Plus le mental est calme, moins nous gaspillons notre énergie, et plus nous sommes « centrés ».
C’est dans la maîtrise de cette énergie que nous pourrons nous rapprocher de la Source qui l’a fait naître.
En résumé, Prāṇāyāma, c’est :
- utiliser la respiration, une des expressions de l’Énergie, le Souffle, pour en éviter la dispersion, et en améliorer le fonctionnement. Cela nécessite tout
d’abord une prise de conscience, puis une régulation de la respiration dans l’espace et le temps. - permettre d’utiliser au mieux notre potentialité de vie, pacifier notre mental, et se rapprocher de la « Source » en nous.
Prāṇā est une invitation formidable à vivre pleinement notre rôle sur terre, celui de lien vivant entre l’univers et le créateur, invitation à caresser nos idéaux sans nous éloigner d’en bas (comme le dit la chanson À l’envers, à l’endroit de Noir Désir).
Dominique ADDA, Formatrice IFY – 2020