L’article ci-dessous est extrait de la revue « Pas à pas » éditée par l’association régionale IFY Poitou-Charentes et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.
« Comment entrer en groupe dans la session, la pratique de yoga étant traditionnellement individuelle ? Ce peut être :
– Par le silence, le temps de se choisir, de laisser venir » un bon souhait, une intention porteuse pour soi».
– Par deux chants en sanskrit, l’un peur honorer Krishnamacharya -guide sur le chemin- et l’autre peur installer une protection mutuelle entre maître et élève.
« … Qu’il y ait la paix, la sérénité, le calme dans le corps, le mental, tous les éléments de notre être. »
Qu’est-ce que la tradition ?
Traditionnellement en Inde, les différentes sessions sont ouvertes par un chant, une invocation. Mais que représente pour nous ici et maintenant le fait de chanter ? Par ces mots chargés de sens, nous honorons la lignée des anciens en « »renouant le fil ». En nous reliant aux grands maîtres, nous demandons une protection avant de commencer la pratique et nous formulons un vœu qui changera la qualité de ce qui va suivre. La question est posée : comment avons-nous vécu la proposition de chanter en introduction ? qu’est ce que cela représente ou non peur soi-même ? Tradition vient du latin tradere, remettre, transmettre. Transmettre, c’est faire passer des connaissances, faire circuler des savoirs, des légendes, des mythes, des rituels mais aussi les règles et les habitudes au sein d’un groupe, d’une communauté, d’une famille. Dans la tradition védique, c’est la transmission orale de textes chantés et récités qui donne accès à un patrimoine, à une histoire, à des messages.
Transmission et relation
Pour transmettre à l’autre il doit y avoir au moins deux personnes : un émetteur et un récepteur qui a son tour deviendra émetteur, tels les maillons d’une chaîne. Dans le sens que c’est par la relation que la passation s’effectuera.
C’est un héritage qu’il apparaît important de continuer de perpétuer à travers les âges, dans l’idée de « faire passer le flambeau » : métaphore vivante. Chaleur, lumière, mais aussi au risque d’une brûlure. En effet il est des rituels qui construisent et d’autres qui enferment.
La façon dont nous avons fait connaissance avec le yoga nous a transmis quelque chose, a stimulé, éveillé quelque chose en nous. Une relation triangulaire s’établit entre l’instructeur, l’élève et le yoga Sūtra de Patañjali, avec la possibilité de revisiter des textes millénaires.
Souvenez-vous :
- Comment avez-vous connu le yoga la 1ère fois ?
- La rencontre avec l’école de formation pour les professeurs ? Avec votre professeur ?
- Qu’avez-vous découvert par cet enseignement ?
- Qu’est-ce qui fait pour vous la particularité de l’enseignement du yoga de Desikachar ?
YS 1. 1 : atha yoga-anusāsanam
La relation maître/disciple est au cœur de la pratique du yoga.
Tous les témoignages le rappellent l’enseignement de Krishnamacharya et de T.K.V. Desikachar se fondait sur la qualité relationnelle dès la première séance, avec une forme de sympathie, d’affection et d’engagement. Ces deux instructeurs prenaient en compte la personne avec ses besoins, ses aspirations, ses capacités et aussi ses limites.
Toute tradition possède ses richesses. Cependant, la tradition peut aussi nous enfermer, nous piéger dans la routine, être source d’aliénation et de souffrance. Elle peut se transformer en forteresse, élevant des remparts autour du groupe, de la personne. La tradition ne doit pas être un « conservatoire « · Elle doit rester vivante, comme un vent régénérant qui circule, qui continue à essaimer. Elle doit être source d’inspiration. Krishnamacharya et T.K.V. Desikachar ont su la transmettre à leurs élèves d’une façon toujours aménagée au mieux pour chacun, dans le respect des différences ainsi que dans un esprit d’ouverture.
La pratique
YS 1.12 : abhyāsā-vairāgyā-bhyāṃtan-nirodhāḥ . Abhyāsā, c’est la pratique.
Lorsque l’on parle de pratique de yoga dans la vie courante, on a tendance à penser séance posturale, collective. Dans la tradition indienne, la pratique était individuelle, dans la qualité de la relation entre maître et aspirant.
Patañjali ne décrit pas de postures (āsana dans le le Yoga Sūtra. La posture y est définie comme une attitude appropriée, une assise en tant qu’assise intérieure.
Dans le premier chapitre, il décrit les activités du mental et mentionne qu’il est important de les calmer (YS 1. 2).
Dans le deuxième chapitre, il donne le chemin, les clés pour pratiquer.
Certaines postures (15) sont décrites dans la Haṭha Yoga Pradīpikā .D’après d’autres textes, 84 000 postures seraient répertoriées, puis des milliers par la suite. Autant de pratiquants, autant de postures, une simple variation dans la position des mains va transformer la posture.
Faire l’expérience
Dans nos pays ,une pratique de yoga est bien souvent tout d’abord physique. Cependant même si l’on est seulement assis et malgré une apparente immobilité, la respiration est en conscience. Il nous faut trouver une combinaison harmonieuse entre le corps et la respiration. La participation du souffle dans tous les mouvements est totalement présente. Le geste n’est plus le même. Cela est du domaine de l’expérience, du vécu.
« Quand le souffle est calme, Je mental est calme. »
Une pratique assidue permettra de ne pas s’éparpiller, de rester orienté(e). Comment entrer dans sa pratique de yoga ? Avec quelle attitude ?
Abyāsā nous relie à l’intention, à la qualité intérieure, nous fait sortir de tout mouvement mécanique. C’est être en ligne avec toutes nos pensées, nos actions. C’est être en harmonie. C’est l’idée que la pratique va favoriser un mouvement à l’intérieur, dans l’être profond, ainsi la pratique pourra émerger de l’intérieur par l’expérience.
La démarche importante : s’approprier la posture, pratiquer sa propre posture en fonction de ses besoins. » Ça œuvre ,,. à l’intérieur.
Se donner du temps après afin d’accueillir, de savourer la couleur, la saveur de la posture, pour prêter attention aux perceptions.
Le yoga pourra participer ainsi à entretenir tout l’être, corps, respiration, mental, émotions … dans les différents domaines de la vie.
« Créez votre bonne compagnie avec vous-même dans la vie quotidienne. »
« Que, par ma pratique, je puisse prendre soin de moi. »
Lignée et créativité
Est-ce important pour les professeurs de l’IFY de garder la tradition ? Pourquoi ?
C’est un socle, un support, un soutien, une légitimité, un partage, un enracinement. Nous faisons partie d’une lignée et nous devons donc continuer à transmettre cette cohérence.
Fondamentalement, nous avons besoin d’un cadre éprouvé. Ce qui nous permet de rester dans l’essence même de cette discipline.
Notre yoga, c’est le respect de la tradition mais aussi de la personne. Selon T.K.V. Desikachar : « Ce n’est pas la personne qui doit s’adapter au yoga, mais le yoga qui s’adapte à la personne. »
Que garder ? Que laisser ? Que faire évoluer ? Que peut-on accompagner comme changement ? Que va-t-on pouvoir innover aujourd’hui ? Pas de réponse tranchée. C’est la confiance qui va nous aider, le discernement et le temps nécessaire à cette recherche.
Abyāsā (la pratique) et vairāgyā ( le détachement) sont les deux fondamentaux sur lesquels peut être envisagée l’innovation. Cela permettra une grande liberté et de la créativité. Le yoga c’est le changement dans la stabilité.
L’innovation, c’est la découverte, le renouvellement, la créativité. Quelque chose d’original, inédit, inconnu s’introduit à partir d’un point de référence.
Comment innover en yoga ?
Krishnamacharya a innové en faisant pratiquer le yoga à des femmes, en acceptant des Occidentaux, en adaptant les postures aux
possibilités des pratiquants. Comment innover aujourd’hui ? Et ce, sans se couper de la tradition ?
En s’adaptant à l’état présent, à des situations concrètes, en relation avec des textes.
Que nous dit le YS ? Sur quels sūtra s’appuyer ?
- Le texte de Patañjali :
– un des fondamentaux de la tradition,
– un terreau précieux plein de modernité,
– un traité qui vient amener une relation interactive Yoga Sútra / prof / élève.
- Les qualités des sūtra :
– clairs, précis pour ne générer ni doute ni négativité,
– avec des nuances à respecter pour chaque mot,
– compréhensibles dans le passé, le présent, le futur.
Aboutissement d’une longue expérience, abordés avec respect, avec dignité, ils touchent toujours de l’intérieur et constituent un miroir pour aller voir à l’intérieur de nous-mêmes.
Āsana n’est pas décrite dans le Yoga Sūtra. Trouver sthirasuhkha de l’intérieur, quelle que soit la posture, sera une autre façon de pratiquer.
- Les deux fondamentaux du yoga :
– Abyāsā pour calmer les activités du mental, nous relier à une intention intérieure même si le mouvement part de l’extérieur.
– Vairāgyā détachement difficile : les sens nous tirent toujours vers l’extérieur.
On peut être dans une posture sans être dans le yoga.
C’est sur ces deux fondamentaux que peut être envisagée l’innovation. Ils sont gages de grande liberté et de créativité.
Comment pratiquer en innovant ?
Le yoga prend du temps.
La pratique doit être régulière, menée avec persévérance, respect, enthousiasme. C’est notre mental qui crée de la routine. Chaque posture est la manifestation extérieure de ce qui se passe à l’intérieur. Elle vient nous dire quelque chose. Elle nous montre « où ça va », « où ça ne va pas ».
Les difficultés continuent à nous travailler de l’intérieur. Il nous faut « pétrir » la posture : ajustement, confiance, lâcher prise.
Sortir de tout mouvement mécanique pour ouvrir un espace de disponibilité intérieure.
Aller vers la lumière pour contacter l’être intérieur. Prendre le temps.
Aujourd’hui, le yoga
Autrefois, la recherche d’un maître prenait plusieurs années puis le pratiquant pouvait rester avec le même maître toute sa vie.
Aujourd’hui, le temps n’est pas respecté. Tout est rempli, tout nous bouscule… Le temps s’accélère : burn out, saturation…
Les demandes de yoga se font plus nombreuses et certaines offres sont bien loin de la tradition. Aujourd’hui, des
pratiques de 15 mn sont proposées (mais répétées un mois).
Le yoga est fait pour réveiller
Comment ma pratique m’aide-t-elle à développer en moi l’amitié, la compassion, la joie, la neutralité ou l’évitement face aux
émanations toxiques ? (YS I.33)
Une tradition qui n’évolue pas est amenée à mourir. Essayons de garder cette précieuse tradition vivante en la transmettant et en évoluant dans la créativité.
Annick LIEGL, formatrice IFY – 2019

