La confiance et son développement

L’article ci-dessous est extrait de la revue « Pas à pas » éditée par l’association régionale IFY Poitou-Charentes et reproduit avec l’aimable autorisation de celle-ci.

« Pour écrire cette contribution, j’ai sous les yeux les excellents articles de Dominique, Monique et Valérie, parus dans le n°51 du Bulletin ; je ne vais donc pas reprendre ce qui a été dit sur la confiance et, en particulier, la présentation et les commentaires du sûtra I 20.

Le mot « shraddha », que l’on traduit, avec raison, par « confiance », ne figure qu’une seule fois dans le Yoga sūtra ; on appelle cette situation littéraire : un « hapax ». A l’inverse, quand un mot revient plusieurs fois dans un texte, chaque occurrence éclaire un aspect de sa signification et l’ensemble de ces éclairages contribue à préciser le sens que le rédacteur donne à ce mot. Il en est ainsi du mot « Purusha » (que j’ai envie de traduire par l’expression : « le fondement de l’Humanité réelle en chaque humain ») mentionné 7 fois, dont 2 fois dans le premier chapitre, 3 fois dans le 3ème et 2 fois dans le 4ème ; remarquons qu’il ne se trouve pas dans le 2ème. Cette seule information est déjà éclairante. Si l’on étudie le parcours de ce mot, on s’aperçoit qu’il construit une figure de « purusha » qui emprunte nombre de ses traits aux « Sāmkhya-kārikā », mais qui s’en distingue aussi par des détails très significatifs. Pour « shraddha », faut-il se contenter de la définition du dictionnaire ? Comme cela apparaît bien dans les contributions évoquées au début, le contexte immédiat dans lequel se trouve le mot élargit sa compréhension.

La confiance, un fondement absolu ?

Dans le Sūtra, « shraddha », la confiance, est le fondement de la vigueur (vīrya) et de la mémoire (smriti) qui n’oublie pas les « expériences illuminantes », comme l’écrit très justement Dominique. Mais la confiance semble ne pas avoir de fondement, elle est présentée comme une qualité du sujet ; Valérie mentionne une « confiance instinctive ». La confiance porterait-elle tout, sans être elle-même portée ? L’étymologie sanscrite du mot « shraddha » pourrait être : « être porté par être confiant », ce qui donne l’impression de tourner en rond ! En fait, le mot « shraddha » déborde la simple notion de confiance et déploie son sens dans au moinsdeux directions : la disponibilité et la bienveillance.

Être disponible, c’est accepter l’inattendu, l’inconnu ; c’est regarder en face ce qui arrive, sans crainte. Être bienveillant, c’est regarder nos semblables sans a priori négatif, c’est être prêt à l’écoute et au soutien, reçu ou donné, si besoin était. Quand elles sont présentes, les trois qualités : confiance, disponibilité et bienveillance, forment un trépied qui porte toute personne dans sa vie concrète.
L’attitude qui combine confiance, disponibilité et bienveillance, n’est-elle pas pétrie de naïveté ? D’abord, elle n’exclut pas le discernement ; les risques doivent toujours être évalués, comme l’écrit Valérie à propos du pont suspendu. Seuls, ceux qui ont franchi le pas de l’incertitude peuvent éprouver et comprendre la joie qui nait de la confiance, de la disponibilité et de la bienveillance.

Comment acquérir la confiance ?

Si c’est une qualité du sujet, ou bien on l’a ou bien on ne l’a pas ! Seul, nous ne pouvons pas changer notre aptitude à la confiance. Dans son article, Monique se réfère à l’oiseau de la Taittiriya Upanishad et s’attarde sur le « corps de la personnalité profonde ». Ce corps est constitué d’inné et d’acquis. Dans l’acquis, chacun sait combien la formation et l’éducation sont des facteurs déterminants. Ce qui a été incomplètement mis en place pendant l’enfance, peut être repris à l’âge adulte. C’est le rôle de tout accompagnement humain ; c’est celui du professeur de yoga. Patañjali nous donne une clé : si la confiance la vigueur (vīrya) et la mémoire (smriti), le développement de la vigueur et de la mémoire ne susciterait-il pas la confiance ? Quand nous accompagnons quelqu’un, ce n’est pas une bonne idée de rester dans une attitude de « maternage ». Au contraire, chaque fois que nous lui proposons une action précise et exigeant un courage dosé, qui demande une autonomie bien évaluée, et que « ça marche », c’est une petite victoire qui accroit la vigueur (vīrya). Lorsqu’on lui rappel-le cette victoire, nous entretenons en lui une mémoire positive (smriti). En répétant ce processus, nous contribuons à le faire grandir et à faire naître en lui la confiance. Lorsqu’on lui rappelle cette victoire, nous entretenons en lui une mémoire positive (smriti). En répétant ce processus, nous contribuons à le faire grandir et à faire naître en lui la confiance.

Le Pédagogue transcendant

Patañjali introduit une alternative au manque de confiance (voir YS I 23) : l’attitude déférente (pranidhāna) envers le Gourou transcendant (Īshvara). La référence à la figure de ce Pédagogue très particulier a pour conséquence (YS I 29) une présence plus vive (adhigama) de l’Intelligence intérieure (pratyak cetanā). Ainsi, c’est l’émergence du Soi (Purusha) qui est la résolution des questions de confiance ; le Soi prend le pas sur l’ego, c’est-à-dire sur la peur, l’attrait compulsif et le rejet compulsif. Un accompagnant est, en fait, un substitut (nimitta, YS IV 3) dĪshvara, si son ego (asmitā) est rené grâce à la méditation (YS IV 6).

Entretenir la confiance

Nous venons d’évoquer les trois klesha les plus visibles : la peur, l’attrait compulsif et le rejet compulsif. Ce sont eux qui bloquent l’attitude confiante; ils sont entretenus par un ego problématique (asmitā klesha). Toutes les propositions pratiques faites par Patañjali contribuent à atténuer leur impact, à commencer par le modeste travail postural et respiratoire. Allonger l’expiration, détendre le diaphragme, assouplir la cage, faire dialoguer sereinement le côté gauche et le côté droit, détendre et tonifier la musculature profonde, en particulier celle qui maintient la colonne, etc. y concourt…

Le désir d’une joie profonde

Selon Patañjali, ce désir (āshisha, voir YS IV 10) est profondément en nous, même si, chez certains, il se manifeste étrangement par des comportements destructeurs. Cette joie profonde ānanda, cf. YS I 17) suppose un ego purifié (asmitā rūpa, voir encore YS I 17) qui va de pair avec la confiance. Utilisons toutes les potentialités de nos personnalités pour réaliser nos aspirations véritables et la confiance authentique se renforcera. Une confiance qui ne nous replie pas sur nous-même mais nous rend disponible et bienveillant.

Michel ALIBERT, formateur IFY – 2017