Est-il judicieux de rapprocher sophrologie et yoga ? Oui, sans aucun doute, même si les deux « disciplines » ont des origines (récente et plurimillénaire) et des objectifs différents.
Par Geneviève SALVAN
J’ai découvert cet été un podcast Toucher du doigt la santé, créé par Antoine Lacouturière, ancien sportif de haut niveau et ostéopathe. Un épisode a attiré mon attention, qui portait sur la sophrologie. Dans ce podcast, Antoine Lacouturière s’entretient avec le Dr Luc Audouin, médecin et sophrologue, l’un de ceux qui ont introduit la sophrologie en France. Luc Audouin a beaucoup œuvré dans le monde du travail, autour de la gestion du stress, la fatigue, le sommeil, etc. Un de ses amis a affirmé que son domaine était celui de l’ergonomie du travail intellectuel.
Ce qui m’a intéressée dans la manière dont la sophrologie est abordée, ce sont les ponts que l’on peut faire avec une autre méthode énergétique que vous connaissez bien, quoiqu’elle ne se réduise pas à cette dimension (loin de là !) : le yoga, car à écouter le Dr Audouin, je me disais parfois « Ah, mais, c’est aussi comme ça en yoga ! ».
Si vous voulez écouter l’émission complète, cliquez sur ce lien. Dans les lignes qui suivent, je mets en lumière les points essentiels que j’ai retenus, entremêlés de mes propres commentaires. Les passages entre guillemets sont, sauf mention contraire, des citations du Dr Audouin.
Une méthode de relaxation certes, mais pas seulement
La sophrologie est une méthode de relaxation, entendue au sens d’abaissement des tensions musculaires par une détente physique, qui apporte un apaisement mental. Au-delà de la relaxation (« se calmer »), l’objectif de la sophrologie est une recherche de « mieux-être » et de « mieux-vivre ». Cet objectif recouvre celui qui est donné actuellement au yoga dans nos sociétés occidentalisées, même s’il n’est pas celui qui l’a vu naître et évoluer depuis des millénaires : un objectif d’émancipation de l’humain, de libération de ses souffrances et d’éveil. Mais chercher à vivre mieux, avec une meilleure relation à soi, aux autres et au monde, ça n’est déjà pas si mal !
La sophrologie est aussi, comme le yoga, une façon de mieux se connaître. Pendant qu’on se relâche ou qu’on est relâché, il arrive comme le dit le Dr Audouin qu’on ait accès à son « histoire », qui est comme « débusquée » : que ce soit ses pensées (automatiques souvent), ses modes de fonctionnement, sa manière de se tenir, ses manières d’être… des prises de conscience sont possibles. La sophrologie « se rapproche alors d’une méthode plus longue comme le yoga, où le rapport à soi se modifie avec le temps » dit encore le Dr Audouin.
En tant que méthode psycho-corporelle, qui implique donc la sphère psychique autant que corporelle, la sophrologie fait entrer dans un rapport privilégié et simple au corps, sans être « obligé d’adhérer à des croyances ». Ce rapport simple au corps est fondamental pour moi en yoga, j’y reviens ci-dessous.
Le développement de la sensorialité
La sophrologie permet de développer un lien corporel au monde, à soi : une présence, à soi, à son corps et au moment présent, comme la pratique posturale dans le yoga où le corps est l’objet d’attention, en lien avec le souffle. Ce qui en résulte, c’est la sensation d’être pleinement vivant. Quand je lève le bras, ou quand je le laisse descendre le long de mon corps en y portant mon attention (et non simplement « en prêtant attention », car il s’agit bien de donner toute son attention), je sens ce bras vivant ; lorsque je dépose mon épaule au sol, je la sens vivante ; lorsque l’air caresse mes joues pendant les moments de pause au sol, je sens ces joues, etc. Comme le yoga, la sophrologie développe la sensation d’être un « être vivant en relation avec le monde ».
Selon Luc Audouin, les (cinq) sens « créent du lien avec le monde et nous donnent de l’existence : ce que je vois me fait savoir que j’ai des yeux, ce que je touche me fait savoir que j’ai des mains, ce que j’entends me fait savoir que j’ai des oreilles ». La sensorialité peut être vue alors, non « comme prédatrice du monde », mais comme « créatrice de soi » : « La main de l’autre sur notre joue nous fait sentir notre joue : sa main nous est douce mais notre joue nous est présente ». Sentir, alors qu’on est interaction avec un support ou une autre personne, qu’on est pleinement vivant, dans une bonne relation, serait-ce une définition de la santé ? Pour Luc Audouin, la santé comme « projet » n’est pas très intéressant, mais la santé comme rapport harmonieux à soi, aux autres et au monde, oui !
Le rapport à l’autre par les images : le rôle de la parole
Le sophrologue parle au « sophronisé » pour induire un état d’hypovigilance, entre la veille et le sommeil, avec des mots simples et objectifs. Le Dr Luc Audouin aime, quant à lui, employer des images pour « donner un code d’accès au corps », selon ses termes. L’utilisation des images ou des visualisations est délicate, en yoga aussi. En effet, les images sont ambivalentes : si par exemple, pour détendre le front, on dit « le front est lisse comme un galet », et qu’on n’aime pas les galets ou qu’on n’en a jamais vu, l’image au mieux tombe à plat, au pire dérange. Les images sont critiquées car elles projettent sur l’autre une image à soi. Je me souviens d’une relaxation en fin de séance de yoga où le professeur nous parlait de plage, de soleil, de lézard qui se dore au soleil… pour moi qui passe peu de temps à la plage et encore moins au soleil, vous imaginez comment j’ai pu me détendre !
Néanmoins, les images bien choisies, ni alambiquées ni niaises, peuvent « parler » c’est-à-dire faciliter l’accès au corps et aux sensations : le guide propose des images et l’autre en fait ce qu’il veut. Elles favorisent le lien avec soi sur le plan de l’intime, et relient le corps à la vie : c’est la « rencontre d’un individu avec son propre corps et ce corps est en lien avec sa vie, son histoire et son présent ». C’est cette relation à la vie et à son quotidien qui est important. Il y a un autre avantage aux images : c’est que, tout en parlant de la vie, elles montrent que tout ce qui est proposé est simple, naturel. C’est aussi fondamental en yoga : on ne fait rien qui ne soit naturel. Non seulement on ne maltraite pas le corps, c’est le minimum, mais en outre, on le respecte dans ses formes, ses courbures, ses configurations, ses possibilités. Le yoga s’adapte à la réalité de la personne, c’est le principe de notre enseignement.
La poétique du corps
Dans le prolongement de ces images, la poétique est le point qui m’a le plus « percutée », vous vous en doutez ! Pourquoi parler de « poétique » du corps ? Parce qu’il s’agit de « créer un autre imaginaire de soi, [d’] imaginer une autre façon de vivre la vie (…) en éveillant un autre lien au monde », sans chercher exclusivement une « gomme à douleur », bien que la sophrologie et le yoga apportent indéniablement un « mieux être ».
En développant son attention au corps lors des séances, on la développe dans la vie en dehors des séances. L’attention fonctionne comme un « projecteur de la conscience » sur les zones du corps impliquées dans le mouvement et la posture, sur celles qui sont support. Et cette attention peut créer du lien entre soi et le monde : dans la main que je bouge, la mienne, il y a la main de tous les autres êtres humains. Elle est capable de sentir et d’exprimer toutes les mains du monde, ce qui nous éloigne du narcissisme qu’on reproche parfois à ces disciplines ! Le corps perçu, mu, vécu nous fait accéder à la beauté et à l’intensité de la vie.
Pour conclure sur une image évocatrice, on se moque parfois de la sophrologie en la comparant à un couteau suisse : pour Luc Audouin, c’est un compliment, car « un couteau suisse vous aide à ouvrir votre canette de coca, mais dans de bonnes mains, il fait une sculpture sur bois magnifique ».