LE VENTRE : le deuxième cerveau, le hara, manipūra chakra

« À la recherche de l’équilibre »

Exclusif internet : Article intégral par Isabelle Compère

Le deuxième cerveau

Vous avez sûrement, comme moi, entendu ou lu des articles sur les recherches du Professeur Gershon, de l’Université de Columbia à New York. J’ai croisé dans une revue scientifique de vulgarisation, mon premier article à ce sujet dans les années 2000 : le ventre serait notre deuxième cerveau…

Je pressentais l’importance de cette découverte dans ma propre existence, ayant déjà perçu que mon état mental et émotionnel avait un impact sur mon ventre et que mon ventre avait lui aussi un impact considérable sur mes émotions, mes états d’âme… Notre ventre agit sur notre mental, notre psychisme et réciproquement. Tout simplement, des maux de ventre peuvent engendrer irritabilité et mauvaise humeur. A contrario, si l’on est tendu, d’un tempérament anxieux, craintif, hyperactif, on rencontre souvent des problèmes temporaires ou chroniques, dans cette zone.

Je propose ici quelques pistes non exhaustives de cette interaction entre ces deux zones bien mystérieuses, nourries par le yoga, mes lectures et les expériences de vie partagées.

Les neurones vecteurs d’équilibre

Ce professeur du laboratoire d’anatomie et biologie cellulaire, dont on dit qu’il a réhabilité notre ventre, explique que le cerveau est composé de milliards de neurones. Les intestins contiennent eux aussi environ 200 millions de neurones, ce qui équivaut à ceux contenus dans le cerveau d’un chien ou d’un chat. Ces neurones s’étalent de l’entrée de l’œsophage aux confins du rectum. Le tube digestif concentre 70 à 80 % des cellules de notre système immunitaire.

Via les neurotransmetteurs, ou neuromessagers, il s’établit une communication entre les « deux cerveaux », l’un et l’autre transmettant des informations, prenant la relève, prêts à intervenir ! Toutes nos émotions, nos pensées, nos sensations, nos raisonnements, sont le résultat de l’échange entre nos neurones. Quand la communication s’établit avec fluidité entre ces deux centres, la sécrétion de neurotransmetteurs est libérée, comme par exemple la sérotonine (régulateur du cycle circadien et acteur contre la douleur), la dopamine (médiateur du plaisir et de la récompense) et l’endorphine (anti-stress naturel pour lutter contre les états dépressifs). Une bonne santé physique et mentale, est en fait le résultat d’un équilibre harmonieux entre les deux zones…

Ainsi, il est intéressant de constater que « tous » nos maux ne prennent pas leur source, comme on l’imagine bien souvent, dans le cortex. Cette vision bivalente permet de réhabiliter la place du « corps », souvent dépossédée de son intelligence sensorielle, victime d’une hiérarchie mental / corps pouvant être source de conflits, d’aberrations.

Le ventre, l’abdomen (le corps visible, physique, annamaya kosha)

Comme le cerveau qui est un lieu complexe, de  gestion d’informations aussi diverses que variées, la zone du ventre est un lieu de digestion et d’assimilation. Le ventre est une zone de transition entre le haut et le bas du corps, mais aussi une zone de rencontre : nous devons toujours avoir à l’esprit que quelque chose se joue dans ce territoire !

Symboliquement, c’est le lieu où nous digérons, assimilons le monde externe, avec nos aliments, mais aussi avec nos perceptions sensorielles. L’abdomen vient du mot latin, abdere, cacher, ou de sa forme adipomen, d’adeps, gras. Lieu dans lequel se situent les principaux organes digestifs, avec 30 tonnes d’aliments et 50 000 litres absorbés dans une vie !!! L’abdomen est un corps de matières, de transit, une véritable usine de transformation des déchets ! C’est aussi  la zone la plus chaude du corps.

Dans le Yoga-sūtra, livre de référence du yoga, il est fait allusion  à la notion de  modération, de tempérance, de « relation juste » (II.38 brahmacarya). Ce principe, qui s’applique dans notre relation aux autres, peut aussi concerner notre relation à la nourriture consommée, à sa quantité et à sa qualité. Plus loin, il est fait allusion à la notion de purification, d’hygiène physique et mentale (II.40, II.41). L’accent est mis sur les deux aspects, l’un et l’autre s’interpénétrant, et permettant le maintien en bonne santé de l’être humain, par un travail de réflexion, mais aussi postural et respiratoire.

De nombreuses expressions autour du ventre jalonnent la langue française : avoir la peur au ventre, avoir une boule au ventre, avoir du cœur au ventre, savoir ce que quelqu’un a dans le ventre, dire de quelqu’un que c’est un ventre mou, ventre affamé n’a pas d’oreille, avoir quelque chose dans le ventre. Les Anglais aussi en font un signe fort « gut feeling » se traduisant par l’instinct, gut signifiant intestins, boyaux ;  feeling signifiant sensation, sentiment.

Zone d’intuition obscure, d’intimité profonde, de sensibilité, il peut être intéressant de voir quelle relation nous entretenons avec elle ?

  • Zone délaissée, mal aimée, organe trop mou, trop creux, abîmé, gène occasionnée par un mauvais fonctionnement du système digestif, opérations, hernie hiatale, colites…
  • Zone mal traitée vêtements trop serrés, alimentation inadaptée, respiration trop courte, mauvaise position du squelette, stress, émotions mal gérées…
  • Zone mystérieuse, qui renvoie chaque individu au monde utérin dans lequel il a évolué, à la vie portée par nous, à des grossesses vécues ou interrompues…

En pratique, le yoga prône la non-violence, la tolérance, la bienveillance envers les autres et soi-même, et offre des outils adaptés pour que l’ensemble de notre être, pour que notre système psycho- sensoriel s’équilibre. Comment prendre conscience de cette zone, améliorer son confort, libérer les tensions, pour comprendre et accéder à un état plus harmonieux ?

En japonais, le Hara signifie ventre et l’âme se logerait dans cette zone. « L’homme qui a perdu ses racines, va les chercher à partir du Hara. Une fois retrouvées, il cheminera le long de la voie pour arriver à l’être », dit le proverbe nippon.

Trouver l’attitude juste, qu’elle soit physique ou mentale, c’est chercher à se relier à ce que Karlfried Graf Durckheim appelle « le centre vital de l’homme ». Le ventre occidental a longtemps été caché, son dévoilement étant considéré comme une atteinte à sa propre intimité, notamment au cours de la grossesse. Durant quatre siècles, la mode a emprisonné le corps de la femme dans un corset, déformant, comprimant les organes et réduisant les possibilités du système respiratoire. La position du « Tiens-toi droit ! Rentre le ventre et bombe le torse ! » chère aux parents, n’a pas aidé notre civilisation à prendre une conscience sensorielle et émotionnelle de cette zone.

L’importance de l’attitude corporelle : muscles, squelette et diaphragme

Pour les asiatiques, la force vient du ventre. « Méfie-toi de l’homme dont le ventre ne bouge pas quand il rit », dit un proverbe cantonnais !

Située en haut de la lordose lombaire, « L3 » est la première vertèbre lombaire mobile. En dessous, « L4 » et « L5 » sont très solidement amarrées. Une trop grande cyphose (bassin rétro versé) crée un blocage du diaphragme et gène dans le redressement du tronc. L’utilisation des abdominaux devient difficile et peut entrainer un tassement, une compression viscérale. Inversement, une trop grande lordose (bassin en antéversion) entraine un creux lombaire, un ventre et le bas du dos faibles.

Trouver le Hara c’est chercher à ressentir « la puissance et la stabilité de ses appuis à partir d’un centre situé dans son bassin », comme le rappelle Georges Siffredi. En yoga, cette recherche d’équilibre et d’aisance dans sa position porte le terme de « sthirasukham āsanam » (II.46). Tout réside dans cet apparent paradoxe : acquérir de la stabilité par notre centre de gravité pour pouvoir être mobile, réduire les tensions musculaires, gagner en musculature, acquérir davantage d’énergie, en laissant librement fonctionner son diaphragme. Pour cela, il est important de tenir compte de sa propre morphologie, pour que les postures de yoga qui mobilisent cette zone agissent avec justesse et sur la tonicité, l’étirement, la contraction, et la décontraction. La coordination entre les exercices physiques et respiratoires tonifie, mais aussi élimine les tensions corporelles, les angoisses et redonne confiance.

Le prānāyāma, cette respiration consciente, subtile et contrôlée que l’on met en place en pratiquant le yoga, permet au mental de se concentrer, d’être concentré. Le corps a besoin de prānāyāma puissant, pour assurer le nettoyage des cellules par oxygénation, et apaisant, pour le mental. À l’inspiration, le muscle appelé diaphragme, descend. Les organes du ventre sont repoussés créant une pression vers le bas, les poumons se gonflent. À l’expiration, le diaphragme remonte et les organes du ventre sont aspirés vers le haut. Pour aider à tisser ce lien entre nos deux cerveaux, la respiration dite abdominale va donner au pratiquant, un résultat rapide, concret et positif. Le rôle du diaphragme est essentiel pour permettre un massage interne et régulier des organes, et agir sur le feu digestif que l’on nomme « apāna ».

La voix qui libère

Vous avez sûrement remarqué que dans une situation critique ou intense, si l’être humain ne reprend pas la parole « depuis le ventre », aucun son ne peut alors émerger. Avoir du souffle ou de la voix n’est pas affaire de corpulence ni de coffre, mais bien d’abdominaux, soutien indispensable à nos viscères poussés par le diaphragme. Le yoga propose l’utilisation de la voix, par les sons, par le chant  de textes sacrés, comme les Yoga Sūtra, le Chant Védique, les Mantras… Outre l’intérêt libérateur que procurent ces pratiques, le bénéfice pour le souffle, le massage abdominal, les combinaisons de vibrations sonores agissent par leurs répétitions sur notre mental et nos plans subtils…

Le nombril (le corps invisible, prānāyāma kosha)

Une image négative est parfois associée au nombril, les expressions qui en découlent en disent long, « être nombriliste », « passer son temps à se regarder le nombril », « se prendre pour le nombril du monde ». La culture indienne en a une vision positive, l’ombilic est un symbole fort dans la mythologie indienne. La création du monde est venue du nombril de Dieu par une fleur de lotus !

Selon la philosophie indienne, le corps est composé de cinq  enveloppes appelées kosha : le corps visible, matière, est la première enveloppe, puis, les corps invisibles qui se composent des zones deux à cinq, sont des zones plus subtiles, immatérielles.

Les chakras appartiennent au corps subtil n°2 : prānāyāma kosha. On traduit le mot chakra par  centre, roue, vortex, mouvement tourbillonnaire. En d’autre terme, ce sont des zones énergétiques qui ne sont pas visibles si on les cherche dans une perspective anatomique, comme d’ailleurs les émotions produites par le système nerveux. Situés entre l’avant et l’arrière du corps, on compte sept chakra dont chacun est relié à une glande du système endocrinien (ensemble des organes qui possèdent une fonction de sécrétion d’hormone). Le troisième chakra appelé manipūra  signifie :  la cité des joyaux. Selon certaines traditions, il serait situé entre la région lombaire et le nombril,  d’autres écoles le situent en-dessous de la pointe du sternum, dans la zone dite du « plexus solaire » qui est tressée par de nombreuses terminaisons nerveuses.

Ce chakra gouverne le processus digestif et tous les organes associés à la digestion. Il exerce une influence sur les systèmes nerveux et immunitaire. La glande qui lui est associée est le pancréas. manipūra chakra est associé au pouvoir, à notre place dans le monde, à l’introversion, à la peur. Il est  symbolisé par un lotus à dix pétales qui représentent l’ignorance, l’avidité, la jalousie, la trahison, la honte, la peur, le dégoût, l’illusion, la stupidité, la tristesse. Au centre, le triangle évoque le feu, le mouvement,  l’énergie. Associés à manipūra, la couleur jaune et le bija mantra « ram ». (Les bija mantra sont des vibrations sonores ayant la capacité de stimuler ou de ré-harmoniser nos centres énergétiques.)

Sa prise de conscience, sa recherche, sa connaissance, sont des éléments intéressants pour apporter à tout notre corps  plus de confiance. Dans le  chapitre III, le sūtra 29 fait référence à ce chakra qui porte ici le nom de nābhicakreLe nombril, nābhi, est  cité comme un élément tangible, et nous renvoie aussi à notre première enveloppe composée par la matière. Il est intéressant de se rappeler qu’il est une zone particulière qui apparait dès le début de la vie utérine et que c’est autour de ce centre que  le bébé se construit, grandit, alimenté par sa mère.

Françoise Mazet traduit ce sūtra de la manière suivante : « L’exploration attentive et  répétée  sur le chakra du nombril donne la connaissance de la physiologie du corps ». Cette « exploration attentive et répétée » appeléesamyama, peut-être réalisée en méditant sur cette zone, en en prenant conscience, en observant chaque jour ce qui s’y joue, mais aussi, grâce à la respiration consciente, le prānāyāma donc nous avons parlé plus haut.

Une forme plus particulière de l’utilisation du prānāyāma est proposée au sūtra III.40. Bernard Bouanchaud explique ce sūtra de la manière suivante : « L’énergie vitale d’équilibre est située dans la zone du nombril (…) Sa conquête correspond à une sensation de plénitude et de chaleur abdominale. Elle peut-être le résultat de la pratique du prānāyāma avec apnées et bandha activant la chaleur dans cette zone qui constitue le lieu de rencontre de deux souffles observés pendant le prānāyāma (…) Dans cette zone s’effectue la digestion, grâce au suc digestif nommé  jvalana qui signifie ici rayonnement. Cette énergie augmente la température du centre du corps, favorise la digestion, l’assimilation et aboutit au rayonnement (…) »

Centre de la vitalité, indicateur d’équilibre physique, psychique et énergétique, un regard attentif, régulier et bienveillant sur cette zone souvent instable, aide à renforcer et à consolider notre santé, la confiance et l’amour de soi. Grâce aux différents outils qu’offre le yoga, comme le travail postural et respiratoire, la méditation, la relaxation, le chant, la visualisation, nos émotions peuvent être transformées, les états négatifs peuvent être dépassés. Par ces moyens de progression, par cette une prise de conscience, nous cheminons sûrement un peu plus vers nous-mêmes…

Biographie :

  • Michael D. Gershon « The Second Brain », éd. Harper Collins Publishers, 1999.
  • Karlfried Graf Durckheim, « Hara, Centre vital de l’homme », éd. Le Courrier du livre, 1974.
  • Georges Siffredi, « La magie du Hara ou l’attitude juste », éd. La Quintessence, 2009.
  • Françoise Mazet, « Yoga-sūtra Patanjali », éd. Spiritualités vivantes, Albin Michel, 1991.
  • Bernard Bouanchaud, « Yoga-sūtra de Patanjali, Miroir de soi », éd. Agamāt, 2007.