Des étoiles pleins les yeux

Entretien avec Michel du Moutier, professeur IFY

Michel du Moutier vient de publier aux Éditions Jouvence (1) le « Guide pratique de yoga des yeux », un ouvrage qui fait le point sur cette discipline et propose des outils pratiques

IFY-IDF : D’où te vient cet intérêt pour le yoga des yeux ?

Michel du Moutier : Quand j’étais adolescent, j’étais passionné par les étoiles. Je les observais au moyen d’une petite lunette. Myope de l’œil droit et astigmate du gauche, je portais, à l’époque, des lunettes. Or, elles me gênaient pour observer : il fallait que je les enlève dès que je voulais regarder derrière l’oculaire de l’instrument et les remettre pour observer ce que je visais dans le ciel.
    J’ai découvert le yoga des yeux au centre Tapovan, fondé par Kiran Vyas et j’y ai suivi une formation de deux années. A l’issue de celle-ci, j’ai décidé d’approfondir l’ensemble des disciplines qui m’avaient été présentées, notamment le yoga, avec une formation de professeur auprès de Bernard Bouanchaud, le yoga-nidra avec Micheline Flack (Centre Satyananda) et l’ayurveda, la médecine traditionnelle indienne.
    Le livre rassemble ces recherches, mais aussi – et surtout – les expériences et le vécu des élèves qui ont suivi des ateliers, des cours particuliers ou des stages de plus longue durée. Pour une bonne compréhension, chaque thématique est détaillée dans un chapitre, ce qui permet de lire dans l’ordre que l’on souhaite. Des encadrés permettent d’approfondir les notions. Des tableaux permettent de savoir comment s’y prendre pour la prévention des différents défauts des yeux. Enfin, l’ouvrage est abondamment illustré de dessins et de clichés pour montrer notamment les postures.

IFY-IDF : Les techniques proposées ne sont pas toutes issues du yoga.
Qu’est-ce qui est spécifique dans ton approche ?

Michel : Les outils proposés s’inspirent du travail du Dr Agarwal, fondateur de la Clinique de la vision parfaite, à Pondichéry. Ce médecin formé de manière occidentale, a découvert la médecine ayurvédique. Il s’est inspiré des techniques du Dr Bates, un ophtalmologiste américain du début du XXe siècle, en les insérant dans le monde de l’ayurveda. Le principe est que pour bien voir notre œil doit être détendu.

Le yoga a une place importante dans ce processus. TKV Desikachar compare l’œil à une caméra.Pour que celle-ci fonctionne correctement, il faut  :

  1. que son trépied soit stable,
  2. que la caméra soit bien articulée sur le pied et
  3. que l’optique soit opérationnelle.

A chaque fonction, correspond une série de postures. Par exemple, on utilise les exercices de suivi du pouce par l’œil, dans la troisième étape.
    Ceci m’amène à proposer, en complément, des exercices très ludiques comme des jeux de balle pratiqués seul, à deux ou en groupe, ou d’autres exercices faisant travailler les muscles extra-oculaires. L’objectif est de proposer une variété d’exercices pour que les élèves choisissent ceux qui leur plaisent et puissent les faire régulièrement, sans se lasser. Ils doivent alterner le travail des muscles des yeux avec des techniques de relaxation, comme le palming.
Pour que l’œil soit relaxé, il faut que le mental le soit également. On peut donc avoir recours à des pratiques de relaxation profonde comme le yoga-nidra. Au-delà de ces techniques, des conseils en matière d’habitudes de vie et d’alimentation, selon l’ayurveda peuvent également faire la différence.
    Ainsi, le yoga des yeux ne se résume pas à une série de postures ou d’exercices spécifiques ; il s’agit aussi d’habitudes de vie dans lequel le yoga a toute sa place.

IFY-IDF : Je crois que tu as mis au point une sorte de grille d’analyse pour proposer les outils de yoga des yeux les mieux adaptées aux problématiques de l’élève ?

Michel : C’est vrai. Cette grille n’est d’ailleurs pas spécifique au yoga des yeux ; elle peut aussi être utilisée dans l’application du yoga à la santé.
En ce qui concerne le yoga des yeux, comme je l’ai déjà dit, chaque technique fait l’objet d’un chapitre séparé dans le Guide pratique. Ceci ne veut pas dire que ces outils sont déconnectés. Simplement, ils agissent sur des plans différents. De fait, il est possible de les utiliser conjointement, dans le cadre d’une stratégie globale d’amélioration de la vision extérieure, voire du regard intérieur. Pour les sélectionner, il faut pouvoir évaluer sur quel plan, sur quel niveau l’élève doit travailler.
    Un des principes de la médecine ayurvédique est que l’on ne traite pas les affections elles-mêmes, mais les patients dans leur globalité. Ainsi la vue d’un élève peut baisser pour des raisons purement mécaniques ou physiques, mais cette baisse peut aussi être liée à la perte d’un être cher. Les pratiques proposées seront différentes dans chaque cas.
    Un texte védique écrit vers le VIe siècle avant notre ère, la Taittirîya upanishad, nous aide à trouver le niveau (ou les niveaux) d’où provient la difficulté. D’après cet écrit, nous sommes constitués de cinq enveloppes, appelées aussi « corps » :
(1) le corps de nourriture (nous sommes ce que nous mangeons) qui correspond à notre composante physique ;
(2) le corps d’énergie, constitué de l’énergie qui nous anime ;
(3) le corps mental ;
(4) le corps de clarté qui correspond à notre personnalité profonde ;
(5) le corps de félicité, englobant aussi nos émotions.
    Une fois l’identification du niveau auquel il faut faire travailler l’élève est réalisée, il est possible de proposer les bons outils. Ces outils sont reliés aux huit membres du yoga proposés dans le Yoga-sûtra de Patañjali : techniques liées à notre environnement, (amélioration des relations avec les autres et avec soi-même) ; aux aspects physiques (pratiques posturales) ; aux aspects énergétiques (respiration) ; aux aspects du mental, de la personnalité profonde, etc. (retrait des sens, concentration, méditation, et au-delà).
    Bien entendu, la réalité est complexe et les causes de nos problèmes de santé correspondent souvent à plusieurs niveaux et nécessitent l’emploi d’une association de différents outils.

IFY-IDF : Quand on constate la surutilisation du regard dans la société contemporaine, quel est pour toi la place relative du regard extérieur et du regard intérieur ?

Michel : Il est vrai que l’œil est surutilisé dans le monde moderne. Nous vivons dans le monde de l’audiovisuel où la vision est particulièrement sollicitée par les moyens de communication modernes. Nos yeux sont utilisés en permanence, souvent aux dépens des autres sens. De plus en plus, au restaurant, au lieu de goûter les aliments, de sentir leur odeur ou d’évaluer leur texture… on les regarde et on photographie le plat pour envoyer le cliché à des amis ; c’est ce qu’on appelle le porn-food ! Et, en même temps, nos yeux sont sous-utilisés : leur horizon est limité par les murs des cités ou pire, par les écrans d’ordinateur ou de télévision ! Naguère généraliste, notre vision se spécialise.
    En réalité, notre œil n’est qu’un outil… ce n’est pas lui qui voit ! Certaines upanishad, complétées par les textes fondamentaux du yoga traitent de ce sujet. D’après celles-ci, notre corps est comme un char. Nos sens sont symbolisés par les chevaux. Ils captent une information sur des objets situés sur la route. Cette information est relayée vers les centres du cerveau qui les identifient, par pur automatisme. La partie rationnelle de notre esprit, matérialisée par le cocher est celle qui décide ce qu’est réellement l’objet.
    En général, nous nous identifions avec cette partie « intelligente » de notre être. Or, notre vrai « moi » est plutôt le passager du char, celui qui donne la direction. Par comparaison, un chauffeur de taxi sait quelle route prendre pour aller quelque part, mais c’est le client, assis à l’arrière du taxi, qui donne la destination de la course.
    Le yoga, en tant que processus de retrait progressif de la connexion avec l’extérieur permet ainsi d’améliorer son regard vers les objets extérieurs, mais aussi de faciliter une vision plus profonde de notre être.

(1) Guide pratique de yoga des yeux : yoga, ayurveda et relaxation, différentes approches pour prendre soin de sa vue, par Michel Lyonnet du Moutier, Éditions Jouvence, 2020, 272 pp.

Auteur:  DU MOUTIER Michel