Vasanta, le temps du jaillissement !

Vasanta, le temps du jaillissement !

Nous sommes au cœur du printemps, la saison où tout renaît, où la nature explose de nouveau après le long et froid hiver. C’est le moment pour tous les êtres vivants de sortir de leur torpeur et de se laisser guider par le souffle du renouveau qui les emportera vers la saison chaude de l’été. Célébrons le printemps de toutes les façons possibles et notamment en pratiquant le yoga !

L’histoire du mot « printemps »

 Le mot sanskrit signifiant « printemps » est vasanta, mot de même étymologie que vasar, « le matin ». Le sanskrit, la langue sacrée de l’Inde ancienne, encore aujourd’hui utilisée par la caste des Brahmanes1, est une langue indo-européenne au même titre que le grec ancien et le latin. Il est donc intéressant de constater que le mot grec «ἔαρ » (éar) et le mot latin « ver » ont la même origine étymologique que vasanta.

C’est du latin « primus tempus », le « premier temps » que vient notre mot « printemps » qui apparaît au XIIe siècle sous la forme « prins tans » et qui s’impose au XVIe siècle. Auparavant, on usait du mot « primevère » au masculin, issu de « primus ver » que l’on retrouve dans l’italien, l’espagnol et le portugais2 «primavera ». Par la suite, ce mot est devenu féminin et désigne une fleur emblématique de l’arrivée du printemps. Celle-ci est donc dite « vernale », comme toutes les espèces qui se développent au printemps.

Le « premier temps »

Cette « belle saison » a longtemps été la première de l’année dans le calendrier romain puis français qui commençait au mois de Mars. On retrouve là l’idée du « matin » de l’année, du renouveau (sanskrit vasanta et vasar). Ainsi, on parle de printemps pour signifier l’âge dans l’expression «  avoir ou fêter ses 20 printemps ». Il est alors associé à la saison des amours et de la jeunesse. De même, l’anglais « springtime » est riche de sens et évoque la renaissance et le jaillissement propre à cette saison. En effet, le premier sens de « spring » est « source » et le verbe « to spring » signifie « bondir, jaillir ». Deux expressions métaphoriques sont aussi à lier avec cette période des amours et de la reproduction : « to spring into existence : surgir dans la vie, naître » et « to have spring fever : avoir la fièvre du printemps, être amoureux ».

Selon la mythologie grecque, les quatre saisons n’existaient pas dans les premiers temps de l’histoire de la terre et les hommes vivaient dans un éternel été avec des végétaux en abondance pour pouvoir se nourrir. Mais un jour, Hadès, le dieu des Enfers, enleva Perséphone, sa nièce, fille de Déméter, pour l’emporter dans son royaume souterrain et en faire sa femme. Déméter, déesse de la végétation et de la fertilité, folle de désespoir, chercha sa fille jour et nuit et décréta que la terre serait affamée tant qu’elle ne l’aurait pas retrouvée. Hélios, le dieu du soleil, lui révéla alors que sa fille avait été enlevée par son frère Hadès. Elle se rendit donc aux Enfers mais celui-ci refusa de lui rendre Perséphone. C’est Zeus, le roi des dieux, qui trouva un compromis. Il proposa que Perséphone reste aux Enfers une partie de l’année qui correspond à l’automne et à l’hiver et qu’elle retourne sur terre près de sa mère l’autre partie qui correspond au printemps et à l’été. C’est donc parce que Déméter retrouve sa fille que, folle de joie, elle fait renaître la vie sur terre.

Aussi, ce mythe des origines est-il une belle métaphore du printemps. Les graines ensevelies sous la terre à l’automne, comme Perséphone, se déploient et s’épanouissent sous l’effet de la température qui augmente. Les jours rallongent et le soleil qui frappe plus longtemps offre davantage de lumière et de chaleur. La nature se réveille, se pare de nombreuses couleurs et nous émerveille.

Les Romains honoraient au printemps la déesse des fleurs et des jardins Flora, lors de fêtes nommées les Floralies. Les participantes s’ornaient le front de guirlandes de fleurs et tout le peuple dansait et s’enivrait.

Fresque de la villa Ariana, Stabies,

Ier siècle ap. J.C. Musée archéologique Naples

L’hindouisme célèbre le printemps

L’hindouisme est une religion très attachée aux cycles des saisons, de la lune et de la nature. Les hindouistes célèbrent le printemps, vasanta, avec ferveur lors de fêtes qui durent souvent plusieurs jours et auxquelles participent des foules en liesse.

Ainsi, Holi, fait vibrer l’Inde dans un jaillissement de couleurs au moment de la pleine lune du mois Phâlguna (en 2022, Holi a eu lieu les 17 et 18 mars) proche de l’équinoxe de printemps (en 2022, le 20 mars). Ce festival, lors duquel les Indiens se jettent des poudres de toutes les couleurs, trouve ses origines dans la mythologie hindoue et plus précisément dans la Vasantotsava (utsava en sanskrit signifie « le festival), « nom général qui s’applique à maints festivals printaniers célébrés dans toutes les régions avec maintes variantes considérables »3. Il marque l’arrivée du printemps et consacre la fertilité et le désir amoureux, kama.

Cette fête des couleurs a une double origine . Dans son blog Yoga Sesame, M. Ghillebaert nous explique la première qui a donné le nom Holi : « La nuit de la pleine lune du mois Phâlguna, un grand feu est allumé en commémoration de la victoire de Vishnu sur la démone Holikâ, dont la crémation symbolise la calcination de tous les « péchés », entendons par là : tout ce qui fait obstacle au rayonnement de notre essence profonde qui est de nature divine. […] Le lendemain de la nuit de destruction des péchés, le terrain est ainsi devenu vierge pour planter la semence porteuse de Bien, de Foi et d’Amour. » La seconde origine permet de comprendre l’emploi des poudres de couleur lors du deuxième jour appelé Rangapanchami (pancha signifie cinq et anga membres en référence aux cinq couleurs utilisées). Krishna, huitième avatar de Vishnou, avait la peau bleue, d’où son nom qui signifie « bleu sombre » en sanskrit. Mécontent de son teint foncé, il jalousait celui de sa bien-aimée, Radha, qui avait une peau claire. La mère de Krishna conseilla à son fils d’appliquer de la couleur sur le visage de Radha pour qu’elle se rapproche de lui. Sage inspiration puisque le couple est resté célèbre sous l’appellation d’«amants éternels».

Miniatures représentant Krishna, Radha et les jeunes filles appelées Gopis s’aspergeant avec les poudres de couleurs.

Les cinq couleurs du Rangapanchami ont chacune une symbolique. Elles sont autant de graines plantées pour faire fleurir la paix intérieure, l’harmonie, la foi, la force et l’amour. Holi célèbre ainsi la victoire du Bien sur le Mal et de la lumière sur l’obscurité.

L’hindouisme considère l’homme comme un « microcosme » à l’image du « macrocosme » qu’est l’univers. Ainsi, l’homme, fait des mêmes éléments (eau, air, feu, terre et espace) que l’univers, renaît au printemps et peut laisser mourir l’ancien pour accueillir du nouveau.

Respirer l’énergie du printemps

La pratique du yoga doit aussi être mise en lien avec les saisons et leurs particularités. L’hiver est associé au guna tamas, qualité constitutive de la nature que l’on peut traduire par « lourdeur, inertie ». C’est une période de repli et d’hibernation qui invite à des pratiques douces et introspectives, avec le plus souvent des postures au sol. Le printemps est une explosion d’énergie qui anime soudain la nature. Ainsi, le guna tamas est encore présent mais s’inscrit dans l’enracinement. Patanjali dans les Yoga Sûtra (II, 18) utilise d’ailleurs le mot sthiti, « la stabilité » pour évoquer ce guna qui apparaît alors comme une force beaucoup plus positive. Le yogi ressent le besoin de retrouver la verticalité dans des postures debout exigeantes et de faire « circuler la sève » dans son corps.

Une posture d’équilibre et d’enracinement : Vriskhshâsana, l’arbre.

Ce désir de mouvement est dû au guna rajas, qui anime et fait croître. Patanjali use lui du mot kriya, l’activité, la transformation. Comme un végétal, le yogi doit se purifier et renaître à lui-même après l’hiver. Les torsions et les inversions sont aussi idéales pour relancer le métabolisme, réactiver le système digestif et la circulation sanguine. Évidemment, tout ce travail aura pour but le développement du guna sattva (prakâsha dans les Yoga Sûtra), « ce qui est léger et lumineux, qui donne de la joie ». Ce guna est stimulé par la lumière du soleil de plus en plus intense et chaude au printemps. On ressent le besoin de sortir, de profiter de ses rayons qui réchauffent notre peau dénudée et pourquoi pas de pratiquer dehors sur l’herbe ou sur la plage !

Ardha matsyendrâsana, torsion assise
Sarvangâsana, la chandelle

La couleur qui domine au printemps est le vert. C’est celle d’anahata chakra, situé au centre de la poitrine. Les postures d’extension stimulent ce chakra et permettent, par l’ouverture thoracique, une ouverture vers le nouveau, vers l’inconnu.

Le symbole d’anahata chakra
Purvotânâsana, posture de l’étirement de l’est

Puisse le printemps vous apporter toute l’énergie et la joie dont vous avez besoin ! Je vous propose une pratique dans la rubrique « Sur mon tapis » pour vous ouvrir à ce mouvement de renouveau. Bonne pratique !

Sophie

1« Un brahmane (du sanskrit brâhmana, « lié au sacré ») est un membre d’une des quatre castes (varna) définies par l’hindouisme, regroupant notamment les prêtres, les sacrificateurs, les professeurs et les hommes de loi ». (Wikipédia)

2Ces trois langues sont dites « romanes » car issues du latin et donc de l’indo-européen.

3Compte rendu par Pierre Levêque du livre de Leona Anderson, Vasantotsava, The spring festivals of India