Vâjrâsana, posture minérale

Vâjrâsana, posture du diamant est un effort en soi. Elle appartient à la catégorie des âsana dits méditatifs sollicitant fermeté et détente (YSII-46). Elle apporte lumière, vigueur, à l’image de la pierre précieuse. Un proverbe sanskrit affirme d’ailleurs que : « s’il y a un diamant dans la poitrine, il brille sur le visage ». Partons à la rencontre du diamant qui sommeille en nous et qui n’attend qu’une chose ; que le yoga par sa pratique régulière polisse cette pierre brute afin qu’émerge le gemme aux multiples irisations.

♦ Etymologie[1]

Le terme diamant provient du bas latin diamas,-antis, issu de adimas, -antis : « aimant », désignant à l’origine le métal le plus dur puis toute matière très dure, comme la magnétite qui agit comme un aimant .Sous l’influence du grec ancien, le mot évolue en adamas signifiant indomptable, inflexible, inébranlable et donnera les dénominations les plus connues comme diamond,en anglais ; diamante en  espagnol et italien ou almas en sanskrit et arabe. L’ancien nom du diamant, adamant donnera l’adjectif « adamantin » en français.

En creusant l’étymologie, on découvre, qu’initialement le mot diamant qualifiait un état d’âme indomptable avant de désigner les métaux les plus durs avec lesquels sont forgés les armes et les attributs des dieux comme : le casque d’Héraclès , les chaînes de Prométhée ou la faucille du Titan Kronos  et dans la mythologie indienne, le diamant « vajra » désigne le diamant et l’arme, le foudre du dieu Indra.

Dieu hindou Indra à cheval sur Airavata portant un vajra (vers 1820)

♦ Histoire et croyances

Le diamant serait exploité depuis 6000 ans en Inde, mais l’extraction des premières pierres remonterait à 3000 ans. Des textes sanskrits datant du IVème siècle avt J-C prouvent que l’on  en faisait déjà commerce; un impôt sur l’exploitation des « vajra » fut même créé par le premier empereur des Indes !

Le plus célèbre, le Koh-i Noor, est un magnifique diamant à 66 facettes qui, après de multiples possesseurs, orne depuis 1936 la couronne de la reine d’Angleterre et de ses successeurs au trône.

De nombreuses croyances concernent le diamant en tant que pierre précieuse. « Fruit des étoiles » ou provenant de sources sacrées, il agrémente les objets religieux ; des textes bouddhistes témoignent de son symbolisme tel le Sūtra du Diamant[2] qui voit en lui l’incarnation de la vérité.

page du Sutra du Diamant , imprimé dans la 9e année de l’ère Xiantong de la dynastie Tang (868 a-p J-C British Library , Londres)

Sa dureté à l’épreuve de tout sera à l’origine d’un proverbe hindou affirmant que : « le vajra n’est rayé que par un autre vajra ». Sa pureté ainsi que les irisations dues à la réfraction de la lumière feront du diamant un talisman, base de croyances car « celui qui porte un diamant verra les dangers se détourner ».

Convictions qui franchiront les océans et les terres jusqu’au Moyen Âge où les hommes s’appliqueront à soigner les maux par apposition d’un diamant sur la partie malade. Ce sont ces mêmes vertus curatives qui pousseront les monarques de la Renaissance à le porter au sommet des couronnes ou en pendentif, à la fois pour sa rareté, mais aussi pour son pouvoir d’antipoison. Il est considéré comme élixir de longévité et cette croyance verra le pape Clément VII courir à sa perte (en 1534) après l’ingestion d’un médicament à base de poudre de diamant…

♦ De la croyance au mythe

Dans la culture indienne, l’éclat et la limpidité du diamant sont symbole de perfection. Il est dit « mûr » face au cristal « non-mûr » et constitue en cela le parfait achèvement, associé à l’immortalité. Pierre philosophale, le diamant est lié à l’homme fort, redoutable et nombre de légendes indiennes lui associent des couleurs permettant de distinguer les castes :

Blanc ——- 1er caste : brahmanas (sacerdotale)

Rouge —— 2eme caste : kshatriya (militaires -politiques)

Jaune —— 3eme caste : Vaiçya (marchands-commerçants)

Noir ——– 4eme caste : Sudra (paysans- serviteurs – artisans – ouvriers)

Si le gemme qu’est le diamant compte autant aux yeux des hommes, c’est -sans doute- que sa perfection fait de lui un objet de mythe. Remontons le temps et laissons-nous porter par les écrits ancestraux[3].

Dieux et démons bataillaient violemment au désespoir des dieux qui souhaitaient que cesse cette lutte mortifère. Ils se rendirent auprès de Brahma pour demander conseil. Celui-ci leur indiqua que, pour mettre fin au conflit, il leur faudrait anéantir le démon Vritra, bien que ce serpent-dragon ait la réputation d’être invincible !

Les armes des dieux étaient dérisoires, aucune ne parvenant à percer la peau du démon. Brahma leur indiqua un moyen d’abattre l’ennemi. Sur les bords de la rivière Saraswati, vivait le sage Dadhichi auquel Shiva avait accordé trois vœux : il ne pouvait être humilié, tué et possédait des os aussi solides que le diamant.

Dadhichi vivait en paix dans la forêt parmi les animaux, qui -par sa présence- avaient perdu toute hostilité. Les dieux se présentèrent à lui et le sage qu’il était accéda à leur requête. Il sacrifia sa vie en entrant dans une profonde méditation au cours de laquelle, il rendit son dernier souffle. Les dieux se saisirent des os de diamant et de sa colonne vertébrale avec laquelle ils façonnèrent le Vajra ; foudre du dieu Indra. Celui-ci batailla sans fin contre Vritra qui, épuisé, finit par bâiller. Indra lança le vajra dans la bouche du dragon qui fut coupé en morceaux.

♦ Du mythe à la posture

Du mythe fondateur naîtra la posture Vajrâsana dite du diamant. Le terme Vajra apparait au sutra 46 du chapitre 3 des YS de Patanjali :« rûpa -lâvanya-bala-vajrasamhananatvâni- kâyasampat » où l’harmonie du corps consiste en beauté, charme, force, solidité, à l’image du diamant.

Ces traits de perfections, véritables pouvoirs « siddhi », proviennent de la maîtrise -obtenue par samyama – des éléments énoncés au sutra III, 45. Ainsi, le yogi pourrait devenir aussi petit qu’un atome ; grandir à l’infini. S’alléger ou s’alourdir à volonté. Percer les roches, accéder à toute chose et tout maîtriser. De là, provient l’harmonie du corps.

Qu’est-ce l’harmonie ? Un corps harmonieux ?

Le mot « harmonie » provient du grec ancien, ἁρμονία (armonia) signifiant assemblage, union, agrément. Idée que l’on retrouve dans le sens du mot Yoga : ce qui unit, réunit, fait lien.

Le sutra III-46 suggère donc 4 conditions à l’harmonie du corps, kaya. Grâce à la pratique, à une hygiène de vie saine et tout ce qui constitue le yoga, nous accédons à la beauté, au charme : rûpa -lâvanya. Par notre force (bala) physique, mentale nous permettant de faire face aux épreuves, nous gagnons en fermeté à l’image du diamant.

Les qualités énoncées se retrouvent dans la posture « vajrâsana » dans laquelle nous assumons notre corps, ses limites dans une présence simple. La référence au diamant, à son éclat, sa pureté et sa solidité est due à la concentration de prâna dans la susumna nâdi ; canal central subtil. La posture sollicite, en effet, le corps, le souffle, l’attention et la méditation.

La variante, vajrâsana fléchi, permet un allongement de l’arrière du tronc grâce au bassin orienté vers les talons, le front au sol, les bras allongés devant, paumes au sol à bonne distance des épaules pour un meilleur étirement[4].La posture honore la terre, se nourrit de son énergie. Le regard tourné vers le cœur invite à entrer en soi, à privilégier la relation à isvara. 

Une Upanishad affirme que « la pratique parfaite des âsana, en agissant sur la nature de l’homme, maintient l’univers, modèle la vie et façonne la conduite de l’homme ». La posture dite du diamant modifie notre nature : nous y découvrons l’immobilité du corps, le silence du souffle, le calme. De cet état, la lumière jaillira de notre être intérieur.

Hélène P.

[1] D’après wikipedia

[2] Selon Wikipedia, Le Sūtra du diamant est le plus connu et commenté du bouddhisme mahāyāna. C’est aussi l’un des plus courts parmi les sutras Prajnaparamita. Il joue un rôle particulièrement important dans les courants méditatifs comme le zen .C’est, selon la British Library, « le plus ancien livre imprimé complet daté »

[3] D’après « le chien tête en bas », Clémentine Erpicum (éd. La Plage)

[4] Dessin de M.Alibert « yoga et santé énergétique »