Un héros de légende

Vira, signifie « courageux » et provient de la racine sanskrite vîrya, « énergie héroïque » qui donne son nom à vîrabhadrâsana, la posture dite du héros, parfois nommé guerrier. Cette posture qui stimule la confiance en soi, la concentration et le courage, interroge également sur ce que signifie être « un héros » au quotidien. Cet article vous propose de découvrir le mythe émouvant du personnage qui deviendra posture afin que s’éveille le héros qui sommeille en chacun de nous.

 Né de la douleur

Shiva – dieu de la destruction sans lequel aucun renouveau n’est possible – transforme, crée par ses yeux mi-clos, qu’il ouvre lors de la création du monde et ferme pour mettre fin à l’univers et amorcer un nouveau cycle. Il vit heureux aux côtés de son épouse Sati[1] fille de Prasuti et du roi Daksha. Ce dernier, homme vaniteux, n’apprécie guère son beau-fils qui, il faut bien l’avouer, n’a rien du gendre idéal : nu, la peau recouverte de cendres, un cobra lui tenant lieu de collier, les cheveux hirsutes, Shiva vit à l’écart en ascète.

Un jour Daksha organise une fête sacrificielle à laquelle ni Shiva, ni Sati ne sont conviés. Mortifiée, la jeune femme se rend auprès de son père, le supplie, intercède en faveur de son époux. Rien n’y fait, Daksha demeure inflexible ! De désespoir, Sati se jette dans le grand feu allumé pour le sacrifice sous les yeux horrifiés des invités[2].

Fou de douleur et de rage Shiva arrache un cheveu de son chignon, en frappe le sol avec fureur. De ce cheveu naît Vîrabhadra, émanation du dieu, guerrier à la carrure puissante et terrifiante. Shiva lui demande de détruire le lieu de la fête organisée par Daksha sans faire de quartier. Vîrabhadra accomplit sa mission avec dévotion et après un rude combat, il décapite Daksha !

Il retourne auprès de Shiva portant la dépouille de Sati. Le dieu effondré, pleure sans fin la mort de sa bien-aimée. La légende ajoute que Shiva accomplit alors un périple à travers le monde, le corps de Sati sur son dos. Selon une croyance populaire, chaque morceau du corps qui se détache et tombe au sol correspond à un lieu de pèlerinage en Inde.[3]Vîrabhadra venge Shiva (word press)

Vîrabhadra, ce fils né de la colère et de la douleur de Shiva n’a pas combattu pour anéantir mais pour secourir, pour rétablir l’ordre du monde en détruisant l’orgueil, la vanité. Il combat pour une cause juste.

 Du mythe à la posture

Qu’est-ce qu’un héros ? Dans son acception littéraire, il est celui qui se distingue par sa force de caractère, sa grandeur d’âme, sa haute vertu. Il est celui qui agit mais son action est tournée vers les autres : « le héros accomplit un exploit extraordinaire au service d’autrui, dans un dépassement de lui-même et parfois au péril de sa vie [4]».

Combattant pour secourir, pour neutraliser les influences hostiles et les actions des êtres dangereux animés par la méchanceté, Vîrabhadra se comporte en héros valeureux, sincère et honnête. Il est le garant de l’ordre divin menacé par Daksha, roi prétentieux attaché aux apparences qui, en rejetant Shiva, évacue l’énergie transformatrice du dieu : le monde ne peut plus se renouveler !

La posture issue du mythe Vîrabhadrasâna se décline en 3 versions (cf rubrique « sur mon tapis »). En les pratiquant, le yogi fait preuve de détermination, de discipline « abhyâsa » et travaille les aspects qui font la force du héros : la concentration, la souplesse et la résistance. Pratiquer ces âsana, c’est devenir un héros droit, franc. C’est faire don de soi (bras levés ou tendus) tout en restant humble (genou plié). Tel le guerrier pacifiste et honnête avec lui-même, le yogi va s’apprendre à travers le yoga, chercher son équilibre intérieur et ne sera plus prisonnier de l’ego problématique « asmita-klesha ».Smuck , posterlouge.fr

Ajoutons, que l’essence de la Bhagavad-Gita, joyau dans l’écrin du Mahâbhârata[5],se retrouve bien dans cet âsana. Héros des Pandavas lors de la bataille contre ses cousins les KauravasArjuna, archer courageux, effrayé par ce combat fratricide est prêt à déposer les armes. Krishna, incarnation du dieu Vishnu et cocher d’Arjuna, tente de détruire en lui toute hésitation et lui rappelle qu’en tant que guerrier, il doit combattre afin de rétablir et conserver l’équilibre du monde. A cette fin, il lui enseigne le yoga de l’action « karma-yoga », le yoga de la connaissance « jnana-yoga » et de la dévotion « bakhti-yoga » qui subliment le guerrier Arjuna et en font un héros dont l’action est juste.

De même, la divinité à tête de singe, Hanumân[6] va tout mettre en œuvre pour aider le prince Râma à rétablir le dharma, « bon ordre des choses » compromis par l’arrogance coupable du démon Rāvana. Par ses interventions, sa connaissance (9ème auteur de la grammaire), sa noblesse de coeur, il incarne la définition du héros qui se bat pour autrui sans rechercher les fruits de son action.

Les combats dont il est question ne sont que la métaphore d’une guerre intime qui nous invite à devenir meilleur en travaillant notre volonté, ce qui nous anime. Anahat, le cœur est sollicité. Etrange ? Pas tant que cela si nous gardons à l’esprit que les ennemis les plus redoutables se logent en nous-mêmes.

Héros ou guerrier, la posture Vîrabhadrâsana déclenche notre propre énergie héroïque pour dépasser nos limites, pour trancher les nœuds de l’attachement, des conditionnements « samskara », pour ouvrir notre cœur et atteindre la voie de la libération. A l’image de cet âsana, de l’archer Arjuna ou du dieu-singe Hanumân, le yogi va combattre sa propre ignorance, il va affronter son corps, ses limites, ses émotions en toute humilité. Il s’agit donc d’un bon combat, celui qui mène sur le chemin de la confiance « shraddha » ; notre chemin de vie.                                                      

Hélène P.

[1] Sati, personnage féminin dans l’épopée hindoue du Mahabharata

[2] Selon d’autres versions, Sati retient son souffle et s’enflamme elle-même dans le feu de sa colère (A.Danièlou, Mythes et Dieux de l’Inde, Flammarion 1994)

[3] D’après Cl.Erpicum, Le chien tête en bas (éd.La plage) & S.Ermeneux (formation EMY7)

[4] D’après dictionnaire Larousse

[5] Poème épique attribué à Vyâsa (période védique au VI ème siècle apr. J-C)

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