Retour aux fondamentaux

Retour aux fondamentaux

Les fondamentaux sont la base, la gamme, l’alphabet, le socle sur lequel le reste se construit, s’élabore. Revenir aux fondamentaux en yoga, c’est rappeler la finalité de celui-ci : atteindre kaivalya, la libération annoncée au chapitre IV duYoga-Sûtrade Patanjali : « Kaivalya pâda ».

C’est sur ce thème que Michel Alibert est intervenu auprès des futurs enseignants (EMY 7-8-9) formés par Sandra Ermeneux, les 19 et 20 Juin 2021 au théâtre du Centaure (Marseille).Ces deux journées ont permis, grâce aux postures et au prânâyâma, de mettre en œuvre un parcours en spirale repassant par le point de départ avec un regard neuf.Les pratiques abordées lors de ces journées sont accessibles dans la rubrique « sur mon tapis ».

L’art de la posture rituelle

Âsana qui désigne littéralement « le fait de s’asseoir ou d’être assis » fait partie des 8 membres du Yoga énoncés au sûtra 29 du chapitre II : Sâdhana pâda . La posture constitue la 3ème branche de l’ashtanga yoga et permet, associée aux autres branches, d’agir afin de développer la faculté de discrimination, de mettre fin à l’état de confusion et d’éloigner la souffrance « duhkha ». Agir dans une démarche de « retour aux fondamentaux » est, pour Michel Alibert, le moment de s’interroger : qu’est-il souhaitable d’obtenir avec la pratique posturale ?

Question qui incite à lire, relire Patanjali dont la pensée s’exprime en spirales revenant plusieurs fois sur un même thème pour l’approfondir, l’amplifier. Ainsi, le sûtra II-48 enseigne qu’âsana élimine les perturbations causées par les paires d’opposés « dvandvâ » au sein du corps :« tato dvandvâ anabhigâtah ». Établir un dialogue entre ces « paires d’opposés », trouver une opposition constructive permettant aux polarités du corps (haut-bas, avant-arrière, intérieur-extérieur, tête-bassin, gauche-droite, verticalité-horizontalité1) de ne plus déranger « anabhigâtah » le pratiquant, tel est l’objectif des âsana qui ne visent ni l’assouplissement, ni la tonification du corps, mais la réconciliation des « dvandvâ ».

S’ouvrir à l’infini

Quels éléments mettre en œuvre pour y parvenir ? Là encore Patanjali sera notre réponse et le sûtra II-47 le fil de notre réflexion : « Prayatna saithilya ananta samâpatti bhyâm ». Michel Alibert le traduit ainsi : « la détente dans l’effort associée à la méditation sur l’ouverture à l’infini par le souffle ». Le mot sanskrit « bhyam » traduit un nombre qui n’existe pas en français, où seuls le singulier et le pluriel des mots dominent : le « duel ». Le duel incite le yogi à accorder par binôme les « dvandvâ », à en faire surgir l’harmonie tel le couple de danseurs valsant avec grâce.

Ce sûtra propose, selon Michel Alibert, un duo entre « prayatnasaithilya », le juste effort dans la détente et « anantasamâpatti », l’ouverture dans l’espace infini du souffle. Quoi de plus opposé ! Comment l’effort peut-il être détente ?

C’est par l’anatomie que Michel Alibert aborde et analyse ce duo improbable. Le corps humain est constitué des muscles de mouvement (grands muscles superficiels) et des muscles de maintien (petits muscles profonds comme le transverse épineux). Il est difficile de lâcher les grands muscles et de laisser agir les muscles profonds. Là est le travail du yogi : apprendre à accorder les deux systèmes musculaires dans les postures … Tout un art, à l’image de nos danseurs devant accorder leurs pas pour créer l’harmonie. En effet, les muscles profonds organisent et maintiennent la direction de la colonne tout en échappant à notre volonté. Il nous faut remplacer le « vouloir faire » par le « laisser faire ». C’est un véritable travail -voire un chantier- que de se rendre disponible à cela. Ce que Michel Alibert résume comme « faire le travail qui permettra de lâcher le travail » : le juste effort dans la détente.

Quant à la création et ouverture de l’espace infini du souffle, le terme « samâpatti » souvent traduit par« méditation »consiste davantage en un processus méditatif s’appuyant sur la notion d’infini « ananta » qu’en un état de méditation pure, le samâdhi.

Associés, ces deux éléments incitent à ajuster le corps et le souffle à l’infini car ajuster, c’est apprendre de nos erreurs : c’est recommencer, repartir de zéro, de la base. Ajuster le corps et le souffle, c’est s’inviter à revenir aux fondamentaux jusqu’à ne faire plus qu’un avec la posture, oubliant que nous sommes dans la posture (cf : sûtra I-43).

Stabilité et douceur

Âsana est définie au sûtra II-46, « sthira sukham âsanam », comme devant être ferme et agréable, confortable. Michel Alibert précise qu’elle doit allier « la stabilité sans la douleur » à « la tonicité sans effort ». En cela, elle répond à l’état de sattva / prakasha, le guna de l’équilibre, de la clarté. Le corps ne doit pas être trop érigé car cela provoque des tensions d’efforts liées à rajas / kriya (l’excitation, l’activité). Il ne doit pas non plus être affalé car cela génère des douleurs liées à la mauvaise posture et à tamas / sthiti, le guna de la lourdeur, de la stabilité.

Ces guna sont sans cesse en déséquilibre dans la nature « prakriti » et en nous. Or, nous ne pouvons entrer en méditation que lorsque sattva /prakasha est porté par une association correcte de tamas / sthiti et rajas / kriya car la méditation n’est pas purement « sattvique », elle s’appuie également sur l’activité et la stabilité.

Familles de postures et directions

Lors des moments de pratique, Michel Alibert a proposé des âsana issus des 4 grandes familles de posture : les postures debout (sthiti), couché dos plat, couché plat ventre (supta) et assise (âsana). A cela, s’est ajouté un travail dans les 3 directions que peut prendre la colonne vertébrale : flexion (pashcimata), extension (pûrvata) et torsion (parivritti) car la partie du corps la plus importante dans la pratique du yoga est la colonne vertébrale.

Michel Alibert incite les futurs enseignants à inclure dans chaque séance un travail dans ces trois directions en dynamique puis en statique car cela permet de vivre la posture et de travailler les muscles profonds. De même, en répétant le travail postural, le pratiquant va affiner sa perception. Il doit cependant être attentif à ne pas colorer ces perceptions avec des sentiments. Le «ressenti» est du réchauffé (présence du préfixe de répétition « re-»), alors que le yogi doit sans cesse chercher du «neuf».

La discipline du souffle, le souffle discipliné

Michel Alibert insiste sur le fait que le prânâyâma doit être effectué assis car dans le tronc se trouve l’axe énergétique,«sushumna nâdi», autour duquel tout le corps est organisé et qui dialogue avec l’axe mécanique de la colonne. Le prânâyâma, 4ème membre de l’asthanga yoga est défini au sûtra II-49 comme « une maîtrise du souffle [par] l’interruption du flux spontané et problématique de la respiration ». Cette régulation consciente du souffle n’est possible qu’après une certaine maîtrise de la pratique des âsana, abonde T.K.V Desikachar.

Pour Michel Alibert, le mot « souffle » a plus de profondeur spirituelle que celui de « respiration » et si la respiration porte le souffle, celui-ci dépasse la respiration. Respirer en yoga, c’est alterner inspiration, expiration tout en intégrant des arrêts dans ce mouvement respiratoire. Patanjali affirme que l’expiration est la phase la plus importante libérant, détendant le diaphragme qui monte alors que les côtes s’abaissent. L’expiration apprend à faire de la place avant d’accueillir l’inspiration. Nous devrions commencer toute séance par une bonne expiration !

Quels moyens mettre en œuvre pour pratiquer le prânâyâma de façon consciente et maîtrisée ?

Le sûtraII-50, que Michel Alibert traduit ainsi : « pour un souffle long et subtil, il est nécessaire de prendre en considération le lieu, la durée et la répétition des phases respiratoires : expiration-inspiration-arrêts », va répondre à cette question. Lors de ce stage, seuls les lieux « desha » de la respiration ont été abordés. Ainsi le lieu de l’expiration « bâhya » se situe au centre du petit bassin (source d’âpana vayu,l’énergie ascendante) et des trois niveaux du muscle transverse (inférieur-médian-supérieur). L’expiration tonifie ainsi la paroi abdominale.

Le lieu de l’inspiration «âbhyantara » est le diaphragme, grand muscle inspirateur, et les muscles intercostaux. La cage thoracique, lieu de l’activité de l’inspiration, est la source de « prâna vayu », l’énergie descendante. Quant aux arrêts « stambha », ils permettent d’allonger, d’affiner le souffle, de le rendre subtil : il faut apprendre à se laisser respirer.

Ces deux journées de stage avec Michel Alibert ont été prolifiques. Le travail en atelier avec des élèves en formation de niveaux différents a été très enrichissant. De plus, le retour aux fondamentaux incite à se reconnecter à l’essentiel, à revenir à la source de toute chose. Le Yoga-Sûtra de Patanjali, lecture fondamentale, invite le lecteur à se laisser habiter par ces aphorismes : ils donnent des réponses et aident à se poser sans cesse de nouvelles questions ; ils donnent les moyens pour pratiquer les postures et maîtriser le souffle de façon simple et puissante. Tel le bâton du pèlerin, ils conduisent le yogi sur la voie de la libération. Il s’agit, comme le dit si bien Michel Alibert de « libérer sa vie pour être simple » ou de « simplifier sa vie pour se libérer » .

Hélène P. et Sophie.B

1 D’après Yoga et santé énergétique, Michel Alibert (cahiers présence d’esprit)