Les racines du ciel

La posture de l’arbre qui se pratique souvent en yoga fait appel à notre sens de l’équilibre. Elle tire son nom de la stabilité, de la grâce d’un arbre qui reste ferme et fort quelle que soit la météo ou les conditions environnementales. Mais au-delà d’une simple représentation physique, cette posture offre de nombreux bienfaits pour le corps et l’esprit.

Forêt de symboles1
Le nom sanskrit de cette posture est vrikshasana : contraction de « vriksh » qui veut dire arbre et « âsâna » signifiant posture. L’Homme sage comme toujours, observe la nature et s’en imprègne.
Ainsi, de nombreuses cultures et certains mythes considèrent l’arbre comme la matrice du vivant. Il est aussi un symbole universel représentant l’axe du monde qui relie les réalités matérielles aux réalités spirituelles ; le ciel et la terre, même si le sens peut parfois être renversé.
En effet, dans les Upanishads, l’univers est peint comme un arbre inversé, ses racines tournées vers le ciel et ses branches prenant appui sur la terre, « prithivi », le sol, « bhumi » : « Voici cet arbre de l’éternité, l’ashvattha, dont les racines sont au ciel, et les branchages en terre. Cela, qui est à la source d’un tel arbre, est assurément pur ; et Cela est Brahman, et on Le dit immortel. Sur Cela, sont attachés tous les mondes, et il n’est rien au-delà. C’est en vérité Cela (Tat) que tu cherches. » (Adhyaya 2, Valli III).
Dans sa forme première, racines en terre, l’arbre s’étire vers le ciel et bien qu’immobile, il se dresse dans la verticalité ou étale ses branches à proximité du sol et parfois s’y couche. Quoi qu’il en soit, il donne une direction, il est un mouvement intérieur à l’image de la vie. Il nous incite à chercher la lumière.
Dans la tradition du yoga, la pratique de Vrksasana est tout aussi emblématique : « Depuis les origines les plus lointaines du monde, l’homme s’est identifié à l’arbre et en a fait le symbole de la totalité de son être. Le yoga ne sépare l’homme ni de la terre, ni du ciel. Les deux sont en lui, et dans cet exercice l’homme les réunit symboliquement… » ( Shri Mahesh, maître hatha yoga).
N’oublions pas que l’Homme est fait de matière, « prakriti » et en investissant la posture de l’arbre, il s’imprègne des qualités de croissance, d’immobilité intrinsèques à l’if. Il nourrit le feu transformateur, celui qui détruit les déchets « mala » ; il s’ancre, s’enracine, se redresse, s’équilibre afin que puissent advenir la clarté mentale, l’éveil.

Prendre racine

La posture de l’arbre permet de prendre la mesure de l’agitation, « virodha » du mental, de notre concentration, « dhârana » et si nos préoccupations prennent trop de place, notre arbre vacille !
Les textes traditionnels guident la prise de la posture à l’image de la Gheranda Samhita : « Placer le pied droit contre la racine de la cuisse gauche et se tenir debout sur l’autre jambe tel un arbre en terre. Cela est connu comme vrikshasana, la posture de l’arbre. » (Trad.Jean Papin).
Bien sûr, il existe de nombreuses variantes concernant la position des mains, des bras, le fait de garder les yeux clos ou pas, le rythme respiratoire. Il s’agit avant tout de faire ce qui nous est possible avec le corps du jour, tant que nous maintenons notre concentration, notre attention sous la voûte plantaire du pied posé au sol ; pilier primordial.
Alors, la conscience peut être menée au centre du corps, le souffle gagne en amplitude, le mental s’apaise, le silence en nous se fait. Nous sommes arbres : « vivants piliers ». Des racines aux sommités, des pieds à la tête, les polarités sont unifiées, les contraires « dvandva » réconciliés, les correspondances se font pour amener l’équilibre.

Arbres sacres

Atouts et bienfaits

L’un des principaux avantages de la posture de l’arbre est -comme nous l’avons vu- qu’elle permet de développer l’équilibre. En la pratiquant régulièrement, nous étirons, renforçons les muscles et les articulations des jambes, des chevilles, des hanches et du tronc, ce qui nous aide à maintenir une position stable. Cette stabilité corporelle se traduit également par une plus grande confiance en soi, car nous apprenons à nous fier à notre corps et à notre équilibre naturel.
De plus, en élevant les bras vers le ciel, nous étirons également les épaules, ce qui peut soulager les tensions accumulées dans cette partie du corps.
Notre posture générale s’en trouve améliorée : nos jambes deviennent plus solides, notre colonne vertébrale s’allonge et notre stabilité globale se bonifie.

La posture de l’arbre est bien plus qu’un simple exercice physique. Elle représente une connexion intime avec la nature et un rappel constant de l’importance de rester enraciné et ancré. Elle nous enseigne équilibre, force et humilité, tout en nous offrant des bienfaits physiques et mentaux. La nature immersive de la posture induit une présence à soi.
Hélène P.
1Nb : le poème de Ch. Baudelaire : « Correspondances » (Les Fleurs du mal, 1857)
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
II est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.