Parmi les notions les plus fondamentales de la pensée indienne, le Dharma occupe une place centrale. Souvent transcrit D-H-A-R-M-A pour en souligner la richesse conceptuelle, ce terme traverse les Vedas, les grandes épopées comme le Mahâbhârata et le Râmâyaṇa, ainsi que les textes philosophiques du yoga, notamment le Yoga Sûtra de Patanjali.
À la fois loi cosmique, principe moral, devoir individuel et chemin spirituel, le Dharma ne se laisse pas réduire à une définition unique. Il désigne ce qui soutient l’ordre du monde et oriente l’être humain vers une vie juste, alignée avec sa nature profonde et avec l’univers.
- Étymologie et sens originel du mot Dharma
Le terme Dharma provient de la racine sanskrite dhṛ, qui signifie « tenir, retenir, maintenir ». Le Dharma est donc, à l’origine, ce qui soutient l’existence ,ce qui empêche le chaos (adharma).
Dans les Vedas, le Dharma est étroitement lié à la notion de Ṛta, l’ordre cosmique qui régit les cycles naturels, les lois de la nature et la justesse morale. Respecter le Dharma, c’est vivre en accord avec cet ordre fondamental.
Cette idée est résumée dans le Mahâbhârata : « Le Dharma soutient le monde. » — Mahâbhârata, Sânti Parva 109.10
Le concept de Dharma est souvent représenté par une roue (dharmachâkra), emblême du drapeau indien.

Ainsi, le Dharma n’est pas une loi venant de l’extérieur et imposée, mais une loi intimement liée à la structure même de la réalité.
- Le Dharma dans les textes védiques et la tradition hindoue
Au fil des siècles, le Dharma devient un principe central de l’organisation sociale et morale. Les Dharmashāstra1, dont le Manusmṛti, cherchent à formuler des règles de conduite adaptées aux différents âges de la vie, aux rôles sociaux et aux circonstances.

Cependant, le Dharma n’est jamais présenté comme une loi rigide et universelle, car il dépend du temps (kâla), du lieu (desa) et de la nature propre de l’individu.
Cette dimension individuelle est appelée svadharma, le « dharma personnel ». La Bhagavad-Gītâ 2 en fait un enseignement central lorsque Krishna s’adresse à Arjuna : « Il vaut mieux accomplir son propre dharma imparfaitement que celui d’un autre parfaitement. » — Bhagavad-Gītâ 3.35
Le Dharma prend une dimension existentielle car Arjuna est confronté à un conflit intérieur, un véritable dilemme entre son refus moral de combattre et son svadharma, c’est à dire, son devoir propre de guerrier. Krishna lui enseigne que suivre son Dharma, même imparfaitement, vaut mieux que d’imiter celui d’un autre. Le Dharma devient alors fidélité à sa nature profonde, alignement entre l’action juste et l’ordre universel.
Le Dharma est donc l’ensemble des actions accomplies en accord avec notre nature profonde (svabhâva). Le Dharma instaure l’harmonie.
Le Dharma et la philosophie du Yoga
Dans le Yoga Sûtra de Patanjali, le Dharma est plus une vision yogique du monde. Le yoga vise la cessation des fluctuations du mental :
« Le yoga est l’arrêt des fluctuations de la conscience. »
— Yoga Sūtra I.2
Pour y parvenir, le pratiquant doit vivre selon une éthique précise : les Yama (relation aux autres) et Niyama (relation à soi ) qui constituent une expression pratique du Dharma. Parmi eux, ahiṃsâ (non-violence) et satya (vérité) sont des notions fondamentales. Patanjali affirme notamment : « Lorsque la non-violence est solidement établie, l’hostilité cesse autour du yogin. » — Yoga Sūtra II.35
Le Dharma devient ici une force transformatrice : en vivant selon la justesse intérieure, on rétablit l’harmonie autour de soi.
Le dépassement du Dharma et la libération
Dans son enseignement, la Bhagavad-Gītâ invite également à dépasser le Dharma :
« Abandonne tous les dharmas et réfugie-toi en Moi seul. »
— Bhagavad-Gītā 18.66
Ce verset montre que le Dharma suprême conduit à la libération (mokṣa), lorsque l’ego s’efface et que l’action devient offrande, sans attachement aux fruits.
Conclusion
Le Dharma est bien plus qu’une règle morale ou une loi religieuse. Il est un principe vivant, à la fois cosmique, social et intérieur, qui relie l’être humain à l’univers. Des textes védiques aux grandes épopées, du yoga de Patanjali aux enseignements de Krishna, le Dharma apparaît comme une voie qui fait sens; une voie de responsabilité et de vérité.
Dans un monde marqué par l’incertitude et la perte de repères, le Dharma rappelle que le sens ne se trouve pas dans l’accumulation ou la domination, mais dans l’alignement entre l’action, la conscience et l’univers. Suivre son Dharma, c’est apprendre à porter sa vie avec justesse — et ainsi, contribuer à soutenir le monde.
“Vous devez accomplir votre devoir en vue de guider les gens et pour le bien-être universel.” – Bhagavad-Gita
Hélène P.
1 – genre littéraire en Inde ; ce sont des traités juridiques édictant des lois et des conduites à suivre.(wikipedia)
2- Texte majeur de l’hindouisme et partie centrale du poème épique Mahabharata. réf: Ouvrages de Colette Poggi – sri Aurobindo

