Exposition autour de l’ascétisme et du renoncement : MNAAG

Le Musée des Arts Asiatiques Guimet réunit un ensemble de miniatures, de sculptures sur bois ou bronze du Xème au XIXème siècles dans une exposition intitulée « Yoga : ascètes, yogis, soufis » présentée du 2 février au 2 mai 2022.

 70 œuvres rares et précieuses illustrent, dans une précision parfois troublante, le thème de l’ascétisme et sa conception dans les différents mouvements religieux indiens à l’image du Jaïnisme, du Brahmanisme mais également de la mystique soufie grâce aux artistes de la période moghole. C’est ainsi que l’Islam va se rapprocher des croyances de l’Inde ancienne, de ses traditions bien différentes des nôtres.

A travers les œuvres dévoilées, le yoga reprend sa dimension première, celle d’une pratique sacrée, d’une voie vers la libération et d’un lien qui unit.

Sur le chemin de la libération 

Du renoncement..

L’exposition s’ouvre sur le thème du renoncement et des ascètes qui ont fait le choix de fuir le monde dans l’espoir d’une meilleure réincarnation. Peintures, textes anciens abordent ce sujet et sa conception au fil des siècles.

Le témoignage le plus ancien – de 1500 à 800 av. J-C – est véhiculé par le védisme, du terme veda désignant des formules sacrées, des hymnes en sanskrit. Ces écrits poétiques servent de corpus religieux à l’aristocratie de l’Inde ancienne. Un grand nombre de divinités y sont convoquées et honorées par les Hommes au travers de prières, de sacrifices en vue d’une vie meilleure. Mais cette forme ancienne du védisme n’évoque aucunement le renoncement comme pratique spirituelle. Elle est, au contraire, une célébration de la vie et les rituels sont observés par des personnes parfaitement insérées dans la société.

Ce n’est qu’entre le 8ème et le 5ème siècles av. J-C qu’émergent des idéologies prônant l’éloignement du monde comme élan absolu. Ce retrait de la société et de ses compromissions est issu de deux notions qui, au fil du temps, vont devenir essentielles dans la pensée et la religion indienne :

  • Le Karma où l’acte et ses conséquences sont étroitement liés générant douleur car il y a attachement compulsif « râga ».
  • Le Samsara, croyance en un cycle douloureux de renaissances ; un cycle infernal de réincarnations.

Les adeptes de ces courants spirituels vont donc chercher un moyen d’échapper au Samsara et à la loi du Karma. Le yoga, discipline physique et mentale, va devenir le recours pour progresser sur le difficile chemin vers la délivrance souhaitée, moksha.

..A l’ascétisme

La thématique du renoncement a coloré le védisme et des écrits plus tardifs comme les Upanishads où l’on retrouve des valeurs du renoncement, notamment au sein du Brahmanisme et ses 4 phases de la vie :

  • le temps de l’étudiant brahmanique où étude, célibat et chasteté dominent : Brahmacârya
  • le temps du maître de maison où mariage et pratiques des rites cohabitent : Grhastha
  • le temps de l’ascète forestier où la vie à l’écart de la société -après descendance- est prônée : Vânaprashta
  • le temps du renoncement absolu avec abandon de la famille : Samnyâsa

Ces étapes de la vie humaine se retrouvent dans des textes majeurs, de grandes épopées à l’instar de la Bhagavad-Gitâ dont la lecture révèle la dialectique du renoncement et la maîtrise de soi dans l’action. De même, les Lois de Manu (manava-dharma-shastra) affirment qu « après avoir passé le troisième quart de sa vie en forêt, l’homme doit renoncer à tout attachement et vivre en ascète le dernier quart de sa vie » (extrait IIème siècle av.è.c).

Les adeptes faisant le choix du renoncement sont appelés ascètesshramana (qui signifie « peiné d’effort ») et sont plus ou moins excessifs dans leur conception de ce retrait de la société ; certains s’appliquant des mortifications qui ont marqué les observateurs du continent indien[1].

N’oublions pas que le grand représentant des ascètes reste Shiva[2], dieu au chignon fait de tresses qui pratique le yoga sur le mont Kaisala et dont le corps est couvert de cendres comme un sadhu : « Je porte mon corps les cendres du monde[3] » écrit le poète mystique Kabir.

Le Hatha – yoga ou le corps du sage

De la transformation violente

La deuxième partie de l’exposition se concentre sur la discipline qu’est le Hatha -Yoga dont l’objectif est la transformation et qui, pour cela s’appuie sur les postures, le souffle régulé et la méditation.

Le terme est daté de la fin du premier millénaire, mais c’est plus tardivement que les ascètes shivaïstes se l’approprient. Le terme « hatha » définit alors un « effort violent » auquel les adeptes se soumettent parfois de façon extrême. Ainsi, les miniatures proposées illustrent une violence transformatrice qui se rattache à d’anciennes cultures ascétiques nommées « tapas », du verbe « tap » signifiant cuire, brûler. Il en va ainsi pour l’ascète engagé dans la libération des conditionnements : jeûnes, expositions aux aléas météorologiques, postures et étude intenses marquent son parcours[4].

Le corps du yoga

Le deuxième millénaire, dans son approche du Hatha -Yoga évoque peu cette idée de se faire violence car elle est une impasse pour celui qui est en quête du sâmadhi, cet accomplissement visant l’unification de l’Être. Hatha fait plutôt référence aux moyens de contentions permettant   d’apaiser le mental, de centraliser les énergies internes ; de se concentrer pour mieux s’élever.

Le corps est perçu comme un prolongement du cosmos, animé par les mêmes souffles « prâna ». Il devient un « corps de signes », linga-sharira, nommé plus tard « corps subtil » dans lequel se succèdent le long de la sushumna -canal central – des roues appelées Chakras[5].

Bien que le corps soit pris en compte dans le Hatha -Yoga des origines, seule la posture assise « âsana » est évoquée dans le grand traité qu’est le Yoga Sûtra de Patanjali (YS II 46- 47).

Une place plus importante est accordée aux contentions « bandha », aux rétentions du souffle « kumbhaka », aux gestes scellant l’énergie « mudra ». Ainsi, la Hathapradipika[6] ne propose que 15 postures dont 8 assises.

Ce n’est que vers le XVIIème siècle que des iconographies vont offrir un nombre de postures plus exhaustif comme cette peinture sur coton, trésor de la Bibliothèque Ste Geneviève, récupérée par le MNAAG à l’occasion de l’exposition[7].

Enfin, au XVIIIème siècle la Jogapradipika[8] présentera 84 postures. Ces variations traduisent les influences subies par le Hatha-Yoga, auxquelles il a su s’adapter en transcendant les oppositions afin de devenir un yoga universel.

Le yoga à la rencontre de l’Islam

Rôle du soufisme

Par le biais de la mystique soufie qui vise la purification de l’âme, l’Islam s’est rapproché des traditions de l’Inde ancienne comme en témoignent les œuvres des artistes de la période moghole ; grande dynastie musulmane indienne.

La rencontre entre le yoga et l’Islam s’est surtout réalisée en « Hindoustan [9]» où certains yogis et confréries soufies ont tissé des liens via l’usage de la méditation, des incantations : peu à peu le yoga fut intégré à la pratique soufie.

Traductions pour transmission

Le yoga comme discipline est évoqué dès le XIème siècle par al-Biruni dans son ouvrage Kitab al-Hind[10], le « Livre de l’Inde » dans lequel le kitab Batanjal, le « Livre de Batanjal [11]» aborde la délivrance des afflictions et constitue la traduction en arabe du YS de Patanjali. De même les épopées comme le Mahâbhârata ou le Râmayana furent traduites en persan. Autant de preuves soulignant l’intérêt que l’Islam porte au yoga dans sa philosophie et sa pratique.

Plus tardivement, le prince Salim[12] fit rédiger – vers 1605 – le Bahr al-hayat , « l’océan de vie » où figurent 21 âsana et qui, à ce jour, constitue l’ouvrage par lequel les premières illustrations et descriptions de postures furent transmises . Ces postures avaient été compilées antérieurement par un sheikh soufi, Muhammad Ghauth Gwaliyari[13] qui voyait dans le yoga une dimension corporelle indissociable de la pratique spirituelle.

Les miniatures exposées, issues du Bahr al-Hayat, peignent avec minutie les âsana exécutées par les yogis devant leur abri de fortune. Comme pris sur le vif, les pratiquants sont représentés avec leurs maigres possessions : bol à aumônes, récipients, ballots d’effets …et parfois la présence d’un chien, fidèle compagnon de l’ascète itinérant[14].

L’exposition, riche en informations et représentations rares, offre un regard nouveau sur le yoga. Il ne s’agit pas tant d’aborder les postures que d’explorer les sources de cette discipline et les multiples visages de l’ascétisme indien qui fascina les princes moghols. Bien que ce retrait du monde n’ait jamais été -et ne soit pas- un mouvement majoritaire, il constitue une forme d’idéal marquant, de manières diverses, les courants religieux du continent indien.

L’ambiance tamisée du lieu rend solennelle la visite et ajoute à l’émotion de se trouver face à des œuvres millénaires souvent méconnues : un lien se tisse entre spiritualité et pratique du yoga.

Hélène P.

[1] Photos issues de l’exposition : à gauche « ascètes se livrant à des austérités dans un ermitage » vers 1760-1770 (école moghole Murshidabad . Dublin, Chester Beatty Library / à droite « ascète au bras levé » (urdvhabahu) Calcutta 1799.Paris MNAAG

[2] Photo : « Shiva, le Grand Yogi ». Ecole Pahari vers 1750. Zurich, musée Rietberg.

[3] (1440 -1518)

[4] Photos exposition : à gauche : « ascète pratiquant le tapas ». Ecole Pahari vers 1725-1750. Zurich, musée Rietberg / à droite : « yogi pratiquant l’ascèse des cinq feux ». Inde, Tamil Nadu XVIIIème siècle. Paris MNAAG

[5] « Le corps subtil du yogi » Punjab, vers 1800. Manizeh et Danny Rimer.

[6] XVIème siècle

[7] « Ascètes et yogis se livrant à divers exercices de yoga ». Deccan(?). Premier quart du XVIIème siècle. Paris, bibliothèque Ste Geneviève.

[8] Vers 1737 British Library

[9] Terme géographique désignant le nord & nord-ouest du sous-continent indien.

[10] Aux alentours de 1017 -1030

[11]  Phonétiquement, Batanjal n’est pas sans rappeler Patanjali

[12] Connu sous son nom de règne Jahangir & de mère hindoue

[13] Vers 1550

[14] De gauche à droite : « Yogi en virasana » – « Yogi en shirshasana » – « Yogi pratiquant la rétention du souffle ». Illustrations d’un manuscrit du Bahr al-hayat . Ecole Moghole , Allahabad, vers 1600-1604. Dublin,Chester Beatty Library. Au total, 12 miniatures sont exhibées.