Dis-moi où tu pratiques

Dis-moi où tu pratiques…

Les premiers yogi

Selon la mythologie hindouiste, le premier grand yogi est le dieu Shiva, surnommé Mahâyogi, « grand yogi » ou Yogaraja, « roi du yoga ». Il est souvent représenté assis sur une peau de tigre qui symbolise sa domination sur la nature. Les premiers yogi, ascètes qui se retiraient dans des lieux isolés pour respirer et méditer, pratiquaient eux aussi l’assise (âsana) sur des peaux d’animaux morts naturellement. Selon les animaux choisis, cette peau leur procurait énergie et dynamisme (peaux de tigre ou de léopard) ou paix et tranquillité (peaux de cerf ou d’antilope). De plus, cette peau servait de barrière entre l’énergie spirituelle du ciel et l’énergie physique terrestre. Le support de l’assise pouvait aussi être une étoffe ou un tapis d’herbe sacrée comme l’enseigne la Bhagavad Gîtâ (VI, 10-12):

« L’ascète doit se recueillir sans cesse, retiré à l’écart, solitaire, contrôlant son esprit, n’aspirant à rien, dépossédé de tout, après s’être ménagé sur un emplacement purifié un siège stable, ni trop élevé ni trop bas, recouvert d’une étoffe, d’une peau d’antilope ou d’herbe sacrée. »

Dans les Yoga Sûtra, Patanjali ne consacre aucun sûtra au lieu de pratique méditative ou au support d’assise. Il ne fait que préciser que la posture assise doit être ferme et confortable (II, 46) et qu’elle doit être effectuée avec une détente dans l’effort et une contemplation du souffle (II, 47).

Les anciens yogi sont aussi souvent représentés devant ou dans une petite cabane qui est l’ancêtre des salles de yoga modernes. Un traité du Moyen Âge, le Hatha Yoga Pradîpîka (I, 12-13),nous décrit en détail ce lieu de pratique :

« Celui qui désire pratiquer le Yoga doit se mettre au centre d’une petite cellule isolée, sans pierre, ni eau, ni feu ayant la dimension dans son rayon d’un arc […]

Les caractéristiques de cette cellule, décrites par les Siddha qui pratiquent le Hatha-Yoga sont les suivantes : elle doit avoir une petite porte, aucune fenêtre, elle doit être sans trou ni creux au sol, ni trop haute ni trop basse, bien badigeonnée de bouse de vache, propre, sans insecte. »

Les premiers yogi pratiquaient donc seuls et isolés après avoir reçu l’enseignement d’un guru, un maître, durant plusieurs années. Ils deviennent souvent eux aussi guru à leur tour. On est bien loin des salles souvent bondées qui se sont développées avec le yoga moderne !

Folio du Bahr al-hayat vers 1600

De Krishnamacharya au yogi moderne

Le grand yogi Krishnamacharya, qui a été à l’origine du développement du yoga postural dans le monde et qui est considéré comme le père du yoga moderne, pratiquait les postures à même le sol ou sur des nattes, tapis tressés en coton ou autres fibres textiles, peu confortables mais que certains yogis utilisent encore aujourd’hui en Inde.

Ce n’est que dans les années 60 que se développe en Europe et aux États-Unis le tapis de yoga confortable et antidérapant tel qu’on le connaît aujourd’hui et que commence à émerger des cours collectifs dans des lieux dédiés au yoga.

Si de nos jours, la plupart des pratiquants de yoga sont très heureux et fiers de pratiquer dans de beaux lieux, sur de beaux et moelleux tapis et avec de belles tenues de yoga, il ne faut pas qu’ils oublient que « ni l’habit ni le tapis ne font le yogi »1 ! En effet, on retrouve cette problématique dès le XV° siècle dans le Hatha Yoga Pradîpîka (I, 66) :

« Ce n’est ni le fait de s’habiller en yogi, ni le fait de parler du yoga qui est la cause de la réalisation finale, mais c’est bien la pratique qui est cause de cette réalisation. »

Donc pratiquons ! En ces temps modernes où le yoga devient un phénomène commercial à la mode, revenons à l’essentiel et écoutons les enseignements du Hatha Yoga Pradîpîka. Peu importe le tapis, peu importe l’habit, peu importe le lieu, ce qu’il faut c’est pratiquer encore et encore. Le matin, en pyjama, dans un coin de chambre ; en maillot de bain dans son jardin ; en survêtement troué au milieu d’un grand gymnase, en legging et brassière dernier cri dans un studio parisien fréquenté par les stars…

Vous désirez découvrir le yoga : venez comme vous êtes ! C’est à l’intérieur de vous que la magie du yoga fera son œuvre…

Sophie B.

1 Expression remaniée à partir de l’article de Marie Ghillebaert, blog Yoga Sesame, « Ton tapis (de yoga) te parle… », Octobre 2016.