Le Soleil a rendez- vous avec la Lune – Journée des Adhérents à Rennes 2018

Depuis toujours ces deux luminaires célestes que sont le soleil et la lune rythment nos vies, nos émotions, et même la manière avec laquelle nous nous appréhendons. Ne dit-on pas d’une personne qu’elle est « solaire », » lunaire », « lunatique »… ? Leur rendez-vous consiste pour nous essentiellement dans un jeu de lumière qu’ils nous offrent dans l’alternance des jours et des nuits.

Nous les trouvons dans toutes les traditions, dans la statuaire, et dans de nombreux textes. Hautement symboliques et métaphoriques, soleil et lune sont deux concepts dont l’interprétation n’est pas chose aisée pour nous. Ils sont la représentation imagée qui résulte de la pratique et de l’expérience de ceux qui nous ont précédé, image que nous devons décrypter par notre propre pratique. Les interprétations sont nombreuses et parfois contradictoires…
Pour le yoga l’être humain est un microcosme dans lequel tout le macrocosme est inscrit. Il est donc tout naturel que nous y trouvions la lune et le soleil. La lune est candra, ce qui brille, et le soleil est sūrya, ce qui est constamment chaud. La lune, assimilée au mental, est à la racine du palais, et le soleil, assimilé au feu, réside à la racine du nombril.
Malgré les différences de traduction, nous pouvons définir deux archétypes :
Celui de la lune : elle règle les masses fluides donc nos humeurs (hormones, lymphe…), et chacune de nos cellules. Elle gouverne la transformation et la croissance. Elle représente les femmes, les êtres jeunes, la famille, la mère, le côté gauche, la polarité yin, le froid, le rêve, l’imaginaire…
 Elle représente la forme en ses changements ; elle est associée à prakṛti (un des deux principes constituant l’être humain ; celui qui est de la nature de l’existence, de la substance, en mouvement perpétuel).

Fortement liée à l’eau, l’élément liquide, c’est d’elle que s’écoule le soma, amṛta, le nectar d’immortalité. Ce nectar nous sert de « carburant ». C’est lui qui nous permet de vivre, qui alimente notre feu vital, lequel est le rôle du soleil situé au niveau du nombril. Les aléas de la vie, le stress, les épreuves, vont augmenter la demande en carburant afin que la flamme de notre feu continue à vivre. Si la réserve s’épuise, c’est la maladie, la mort. Pour le yoga la source essentielle de perte de soma est la dispersion du mental, qui nous éloigne de l’instant présent, s’accompagnant d’une perte d’énergie, prāna. 
Au niveau énergétique elle circule dans le canal subtil īdā représenté sous la forme d’un serpent s’enroulant autour de la colonne. Ce canal s’ouvre sur la narine gauche.
L’archétype du soleil :  bien qu’indispensable à la vie, le soleil est stérile. Il est l’orgueil, l’arrogance, l’intransigeance mais aussi la générosité. Il aime la perfection, cherche à briller, à avoir l’autorité. Il peut devenir inhumain à force d’idéalisme. C’est l’homme, le père, le côté professionnel, le feu, le chaud, la polarité yang.
Il est le symbole de la lumière, de la connaissance directe, celle qui est issue de la révélation, de la méditation. Il éclaire le monde (cf. YS III 26). Centre de l’univers, il est également le centre de notre être, ce qu’il y a de plus stable en nous. Il est puru(le deuxième principe constituant l’être humain, de la nature de l’Essence, de la conscience, de l’immuabilité). Il a alors une deuxième demeure qui est le cœur.
Tel le Dieu siva, dieu des yogi, nous voyons donc que le soleil a deux facettes : la destruction, sous la forme du feu digestif, et la manifestation sans fin, dans le cœur.
Au niveau énergétique, il correspond au canal subtil pingalā, s’enroulant autour de la colonne et s’ouvrant sur la narine droite.
L’union du soleil et de la lune est donc le mariage de purua, la source de vie en nous qui ne demande qu’à s’exprimer, et dont l’expression est prāna, et de prakṛti, la « terre » d’accueil que nous lui offrons pour cela. Cette union, dans le respect du rôle de chacun des deux pôles, est l’incarnation.  
La lune est sous la dépendance du soleil. C’est lui qui l’éclaire. Elle est le miroir du soleil comme notre mental est le miroir de notre être profond. De même que nous ne pouvons regarder le soleil de face, mais pouvons en avoir un aperçu par son reflet sur la lune, de même, c’est en observant notre mental, que nous accèderons peu à peu à la Vie qui nous anime, à l’essence de notre être.
Chaque jour la lune nous donne un reflet du soleil, mais elle n’est pas le soleil ! Il en est de même pour notre mental. Il est animé par la Vie, il nous la présente sous différents aspects, mais il n’est pas la Vie ! Cette illusion dans laquelle nous baignons depuis notre naissance, avidyā, est source de souffrance.
Avant d’arriver au mariage de ces deux partenaires qui portent notre existence, de nombreux rendez-vous sont nécessaires. Tous deux vont œuvrer pour préparer un mariage réussi.

Les textes du yoga nous permettent d’offrir l‘espace pour ces rendez-vous. Prenons deux d’entre eux :
Le yoga sūtra va porter notre regard essentiellement sur le mental, la lune. Il nous donne de nombreux moyens, à tous les niveaux de notre être, afin de nettoyer le miroir et que celui-ci donne peu à peu le véritable reflet de notre Essence, et même, qu’il soit si clair qu’il en devienne transparent.
En développant notre concentration par les multiples objets d’attention qu’il nous donne (postures, souffle, méditation…), nous avons la possibilité d’éviter que le miroir ne bouge et ne déforme l’image du soleil ! Nous évitons la souffrance et l’augmentation du débit d’écoulement du soma qui va se faire dévorer dans le feu. Notre énergie, prāna, est préservée.

En travaillant sur notre respiration, qui est l’expression de cette énergie, nous allons également clarifier la flamme du feu. L’expiration permet d’éliminer les scories qui gênent le tirage, les relèvent dans la zone du feu permettant d’achever leur combustion. Dans le même but, l’inspiration va faire descendre la flamme en direction des scories, mais elle apporte aussi de l’oxygène. Le feu brille mieux, la demande de carburant est réduite au strict nécessaire, la vie est préservée !
Schéma ?
Nous comprenons alors l’importance d’un sens de la respiration en faveur de cette œuvre, qui est celle de notre vie. Les textes parlent de sacrifice, de rencontre de l’inspiration et de l’expiration dans la zone du feu, lieu de destruction et de purification.
La Hatha Yoga Pradīpikā, texte plus récent, est moins philosophique, beaucoup plus technique. Il décrit les moyens (bandha, mūdra, prānāyāma, postures inversées …) pour faire se rencontrer le soleil (Ha), et la lune (Tha). Les techniques décrites s’adressent à l’énergie et ont pour but de rassembler celle qui circule dans īdā (la lune) et pingalā (le soleil), dans le canal principal qui circule le long de la colonne, suṣumna.  
Les cakra, qui sont les points de rencontre des canaux īdā et pingalā, sont libérés peu à peu permettant à l’énergie de circuler librement, en direct dans suṣumna. Nous sommes alors de plain- pied dans la réalité, portés par un feu nous permettant d’être en lien avec nos racines profondes, qui sont celles de l’humanité, et nos aspirations les plus hautes, la spiritualité.

En gardant la symbolique du soleil et de la lune, nous voyons que tous deux vont s’unir tout au long de notre route afin de mieux assurer leur rôle respectif : le soleil par sa lumière et son action purificatrice va aider la lune, son miroir, à lui renvoyer un reflet de plus en plus pur et net. Lorsque le soleil se reconnaît totalement dans ce miroir, c’est la Vie qui rayonne en nous dans toute sa splendeur.
Nous ne sommes plus soumis au pouvoir changeant des opposés (ici le soleil et la lune avec tout ce qu’ils représentent). Ne nous laissant plus entraîner vers le passé ou le futur, nous vivons pleinement l’instant présent dans un accueil total à ce qui est. Le mental se tait. Nous sommes dans un hors temps au goût d’immortalité.
Alors, soleil et lune ont leur lune de miel dans le cœur, le seul espace d’où nous pouvons percevoir le monde sans la limitation due au jeu des opposés(YS III 34). Nous trouvons Notre posture : celle d’un être humain qui vit le monde ! (YS II48)