Retour sur le stage d’Observation

Dans le cadre de la quatrième année de la formation IFY Yoga Y.a.m.a dirigée par Agnès Joly, à Merville, deux jours, les 11 et 12 novembre, ont été consacrés à
l’observation. Une vingtaine de yoginis et yogis, professeurs et élèves en formation se sont retrouvés autour de ce thème décliné par Agnès Joly et Elisabeth Rémy »

Pour prolonger ces bons moments, je choisirai de revenir sur l’esprit pouvant nourrir l’observation. Celle-ci s’inscrit dans une
approche cikitsa – une action curative et thérapeutique – du yoga qui vise à réduire la souffrance duhkkha, mais aussi dans la
dimension adhyâtmika, à savoir une enquête pour une meilleure compréhension de ce que nous sommes spirituellement.
Le premier principe est la relation harmonieuse et non violente à l’autre et à soi-même, les disciplines relationnelles yama et
niyama sont au coeur du traité de Patanjali (YS, II 28 et suivants) et doivent soutenir notre observation. Respecter la personne, lui porter de l’attention, la comprendre dans son intégralité. Un défi constant pour cette démarche holistique qui tient compte de la « constitution individuelle unique », notion fondamentale dans la tradition de Krishnamâcharya. A la suite de Nâthamuni dans le Yoga Rahasya, observer, c’est considérer les différents aspects bheda qui constituent la personne, par exemple son
âge, ses activités, son énergie, son style de vie… afin ensuite d’appliquer de façon appropriée les techniques du yoga.

Ici résonne l’aphorisme YS, III, 6 : répondre au mieux aux besoins et attentes en tenant compte des caractéristiques particulières de
chacun.
Ouvrir son cœur à l’autre pour l’accueillir tel qu’il est, faire place nette pour que croyances, a priori, projections ne viennent pas interférer. Dans le quatrième chapitre, YS, IV, 3 Patanjali rappelle le rôle du professeur de yoga : tel le paysan
libérant l’eau de la digue pour favoriser l’éclosion des plantes de son champ, le professeur donne les outils adéquats pour que le pratiquant fasse son chemin. Plus loin, YS, IV, 7 l’action du yogi accompli est définie : ni blanche, ce qui peut inciter à
aller au-delà de la demande, à vouloir absolument « aider », « bien » faire… ; ni noire, ce qui correspondrait à agir par intérêt personnel, voire à l’encontre des intérêts de l’autre ; ni grise, autrement dit mélangée, confuse, partagée. Notre observation doit
être régulièrement questionnée afin d’être la plus utile possible : comment observer ? Qu’observer ? Que dire de ce qui est observé ? Dans ce contexte, les mots du YS, II, 47 proposent des pistes : une observation discrète, attentive, orientée sans être
inquisitrice, une attitude ouverte et stable, qui ne créera pas de perturbations inutiles (chez l’observé ou l’observateur !).
Le second principe important est que la prévention est meilleure que le soin, comme le dit si justement l’aphorisme YS, II, 16 : Heyam duhkham-anâgatam. L’observation ou l’auto observation est donc un passage obligé dans notre démarche. Elle doit conduire
à mettre en place des pratiques ajustées et souhaitables. Poser un « diagnostic » n’est jamais évident, Patanjali nous propose dans l’aphorisme YS, I, 31 de repérer les symptômes qui trahissent des difficultés : douleurs physiques, souffrances psychologiques, instabilité, difficultés respiratoires… C’est ce que je nomme le caractère indicatif de la pratique, l’effet miroir.
Classiquement la collecte d’informations prend plusieurs formes : regarder, voir, observer darshanam ; dialoguer, échanger, questionner prasnam ; palper, toucher, sentir sparsnam et prendre les pouls nâdîpariksha (plus rare en occident). D’où la
nécessité de s’entraîner, d’expérimenter, de développer une méthodologie de l’observation (silhouette, points d’appui, relation entre « chaînes » musculaires …), d’acquérir des compétences et des connaissances… autrement dit poursuivre une étude jamais achevée et être sur le terrain… On peut commencer par observer l’extérieur, la nature, les saisons … Quand nos sens s’aiguisent, ils nous permettent de percevoir de plus en plus clairement : un arbre d’une même race n’est jamais identique à son voisin, même si ce sont les mêmes graines, la même plantation… On observe aussi les personnes dans la vie courante, comment elles bougent, marchent, parlent, se tiennent… entrent dans notre salle de yoga, évoquent leur situation… En cela, le yoga est vraiment une union (étymologie : yuj / unir) avec tout ce qui nous environne.
Les aphorismes I 17 et 18 parlent de ce passage du grossier au subtil, du visible à l’invisible ; du dit et de tout ce qui se dit autrement ; perception et compréhension s’affinent alors. Dans le contexte du yoga, les pratiques sont évidemment propices, durant le week-end, de multiples situations d’observation ont été expérimentées.
Quelques règles me semblent bien venues : choisir la simplicité, les postures sthiti (posture debout de début de pratique ou de transition entre différents exercices ; posture couchée de récupération, de démarrage d’un enchaînement, de relaxation ;
posture d’assise de fin de séance, d’observation…) fournissent déjà de précieuses indications. Pour ces postures tests, ne pas viser la performance, l’acrobatie, privilégier le naturel et prendre appui sur ce qui « s’exprime ». Se donner du temps afin de ne pas tirer trop vite des conclusions, vérifier ses hypothèses avec plusieurs postures ou sur différentes séances…
Enfin le troisième principe porteur pour l’observation et l’enseignement du yoga : la transformation parinama : la capacité à changer de point de vue, à varier les stratégies, à se déconditionner des conceptions habituelles pour accompagner le
pratiquant dans son évolution. Du coup la pratique s’enrichit, se prolonge… A nouveau être au cœur des « événements », au plus près de tout ce qui naît, se fait jour, disparaît, s’inscrire dans cet équilibre subtil entre instant et durée…
Elisabeth Remy,