Une exploration du lâcher-prise

Magazines, émissions de radio, télé, livres, déclinent le concept à l’infini : il faut lâcher prise. Plus que jamais, ces mots habitent notre quotidien tel des ombres errantes dans une société où l’individu ne lâche rien et préfère même l’affrontement pour un peu plus de contrôle sur lui-même ou sur autrui.

« Lâcher-prise, lâcher-prises  :  nom masculin, moyen de libération psychologique consistant à se détacher du désir de maîtrise. » (Dictionnaire Larousse)

Lâcher prise donc…
Longtemps, ces mots m’ont déroutée et mise mal à l’aise. J’ai d’abord associé le lâcher-prise à l’acte de celui qui se détache d’une paroi et se laisse tomber, celui qui renonce par difficulté, épuisement ou pour tout autre raison. Je ne sais pas pourquoi j’ai associé cette image angoissante à la notion de lâcher-prise. Je n’ai jamais jugé l’acte en tant que tel mais j’étais mal à l’aise et j’avais peur. Et puis, accepter de ne rien maitriser… Mais peut-on accepter l’inacceptable ? Et l’indicible ? A cette époque, je m’accrochais à chaque minute de la vie et cette dernière m’a entrainée vers d’autres réflexions et d’autres chemins aussi. Je réalise aujourd’hui que je n’avais ni les clés, ni l’attitude pour avancer malgré mes tentatives. Ce n’était pas le moment.
Des années plus tard, la vie m’a amenée vers une formation de professeur de yoga. Très tôt, j’ai ressenti le besoin d’écrire. J’ai pris l’habitude de tenir un journal régulier pour suivre mon évolution au gré des pratiques, des sutras et des saisons. L’écriture m’a permis de garder des images instantanées de ces états émotionnels. Ma formation étant terminée depuis quelques années et le confinement me donnant du temps, j’ai relu ces carnets et me suis replongée dans cet album photo manuscrit. Je réalise aujourd’hui que le lâcher-prise s’est peut-être invité sur mon tapis. Peut-être a-t-il habité mon âme, quelques instants… Et voici comment il s’y est pris.

Profiter des choses simples

Au début de ma formation, je pratiquais une séance de yoga chaque matin avant d’aller travailler.  Progressivement, j’ai ressenti le besoin de prendre plus de temps en fin de séance : un temps juste pour moi. Un temps pour être présente à moi-même dans le calme. Un temps pour réapprendre à profiter des choses simples avec les yeux d’un enfant : un lever de soleil, les couleurs du petit matin, les cris des oiseaux, la pluie, le vent, ces petites choses si simples qu’on oublie en grandissant. J’étais connectée à la nature, à l’univers et à la vie, présente à mes sensations et mes émotions. Ces instants ont été des sources d’apaisement et d’énergie pour la suite de la journée.
Pourtant, ces quelques minutes n’ont pas toujours été faciles. Certains matins, je devais même vaincre des résistances intérieures comme l’envie de passer dix minutes de plus sous la couette, au chaud sous la douche, partir plus tôt pour éviter les embouteillages. Et puis il y a eu ces matins où j’étais de mauvaise humeur, fatiguée, stressée, soucieuse, épuisée, en colère… Ces matins-là justement, plus que tous les autres, j’ai essayé. J’ai essayé sans pression ni jugement. J’ai essayé avec beaucoup d’empathie et de bienveillance. Et J’ai essayé sans rien attendre. Progressivement, j’ai apprécié ces petits bonheurs quotidiens surtout ces matins-là. 

Et puis il y a eu ce matin si particulier. J’étais partie tôt mais un accident de voiture quelques kilomètres devant moi avait eu raison de la circulation. Arrêt complet. J’étais en sécurité mais impossible de quitter la N118. Attendre. Rien à faire d’autre. Attendre. J’ai allumé la radio pour retrouver un son audible, en attendant, donc. Dès le premier accord, je l’ai reconnu : Wagner. Parsifal. Le prélude. Sa puissance m’a toujours transportée ailleurs, hors du temps. Et, j’ai tourné la tête, machinalement. Il venait juste d’apparaître à travers son timide rougeoiement des matins d’hiver. Il prenait tout son temps mais ce fut un des plus beaux levés de soleil que j’ai jamais vus en région parisienne, un moment suspendu au milieu du chaos, un magnifique cadeau qui illumina ma journée

Savourer le calme, la douceur et la subtilité de l’instant

Au cours de ces moments, j’ai peut-être découvert une forme de lâcher-prise. Ou plutôt, le lâcher-prise s’est invité et m’a envahie. Mais quelle prise ai-je bien pu lâcher ? Je ne sais pas. Je ne cherche pas la réponse parce que la question n’a plus vraiment de sens pour moi aujourd’hui. J’ai juste constaté que les « et si » qui m’habitaient si souvent disparaissaient au cours de ces moments. Tout faisait silence en moi. Je savourais le calme, la douceur et la subtilité de l’instant. Parfois, j’ai aussi eu la sensation furtive d’être reliée à quelque chose qui me dépassait ou d’être portée par quelque chose de plus grand, de plus fort, de plus beau, et d’infiniment stable. Je me suis sentie bien et à ma place. Aujourd’hui, avec le recul, j’ai l’impression de n’avoir jamais été autant moi-même que durant ces moments-là, à l’unisson du présent et du silence.
Puis, j’ai aussi appris à accepter que ces instants s’évanouissent à tout jamais et que d’autres reviennent plus tard, tous un peu différents et pourtant si semblables. Grace à eux, je réalise que je ne suis plus autant effrayée par l’impermanence de la vie et à quel point ces petits instants ont changé mon regard sur moi-même et sur le monde.
Finalement, on ne lâche pas prise… Peut-être fait-on juste un petit pas de côté, par moment. Ce petit pas aide à devenir soi-même, un peu plus chaque jour, puis à se reconnecter au monde et à la vie avec plus de puissance et d’intensité justement parce que tout n’est qu’impermanence. Finalement, c’est peut-être une forme « d’action de l’inaction » qui permet de réintégrer plus sereinement le champ de bataille de notre quotidien en donnant du sens à notre vie et en trouvant progressivement notre place dans le chaos du monde.

Auteur:  Marcillac Delphine