Le yoga entre monde magique et accélérationnisme

Je suis arrivé tardivement au yoga, presque à la fin de mon activité salariée ; j’aurais voulu commencer avant, mais mon dernier lieu de travail était le plus éloigné de toute ma carrière. J’aurais déjà eu besoin du yoga à ce moment-là, quand les tensions peuvent devenir moins supportables, mais à l’évidence cela était incompatible avec ces conditions de travail.

Mon intention première était de rechercher un équilibre, que je croyais surtout physique, dans la transition vers le nouveau quotidien qui m’attendait, moins stressant mais sans doute plus sédentaire. Mon propos était de trouver une enseignante de confiance et un collectif approprié pour cette pratique. Ayant eu la chance de satisfaire ces exigences à la première tentative, il fallait mettre en jeu son corps et partir à la recherche de ce nouvel équilibre qui, par définition, n’est pas un acquis stable.
Une juste dose de détermination a été nécessaire pour arriver à maintenir le rythme de fréquentation des cours collectifs et, surtout, pour créer l’habitude d’une activité individuelle. Une petite bataille quotidienne pour préserver cet espace de toutes les tentations, les excuses et les paresses.

Dialoguer avec le corps

Ensuite, commence la découverte du dialogue avec le corps. Dans mon cas cela n’a pas été immédiat et il m’a fallu un certain temps de travail pour arriver à placer l’attention au bon endroit, au bon moment. Par exemple, pour mieux connaitre celles qu’on sait être les mécaniques faibles de son corps, les sentir vraiment et puis arriver à détecter celles cachées qu’on ne connait pas, mais qui existent.
L’expérience porte progressivement à percevoir plus nettement certains fonctionnements et certaines limites, à se familiariser avec ces frontières, à les respecter. Mais aussi tenter de les contourner et oser des incursions dans des territoires moins connus. A ce point, on commence peu à peu à ressentir la différence avec la vie d’avant et à entrevoir de loin certains signes prémonitoires qui nous échappaient lorsque nous errions à l’aveugle… On était alors surpris par les rébellions du corps qu’on n’avait pas vu venir. La technologie d’examens médicaux sophistiqués peut donner, certes, des indications précises et nécessaires sur l’état de l’agencement de votre corps. Les gestes habiles d’un professionnel peuvent soulager dans une crise et même après, mais vous n’avez que peu de maitrise et de capacité autonome d’échanger avec votre corps pour le protéger et le soigner ou au moins lui éviter l’accélération du stress qui provoque la révolte. De plus on est un peu plus armés pour mieux faire face à certains signes d’usure de l’âge, certaines transformations naturelles et inevitables ; pour vérifier leur consistance réelle ou, tout simplement, pour les assumer.
Voilà une première grande leçon du yoga postural que j’ai pu apprendre au bout de quelques années.

La voix du maitre

C’est beaucoup et peu au même temps car, même en faisant attention et en se connaissant mieux, si c’est l’esprit qui est perturbé, le yoga en tant qu’exercice physique pourra aider jusqu’à un certain point. Voilà une deuxième phase qui se profile, où le dessein initial semble largement dépassé.
En tout cas, l’esprit joue déjà un rôle essentiel dans la pratique collective, car après une première phase d’apprentissage de base c’est l’orientation de la pensée et même, parfois, sa dissolution guidée par le maitre qui prennent la relève.  C’est aussi pourquoi, outre le confort d’avoir une pratique individuelle bien organisée et rythmée, pendant une longue période, je ressens parfois encore aujourd’hui le besoin d’entendre une voix ou suivre une vidéo d’une leçon enregistrée. Mais maintenant, involontairement aidé par le grand bouleversement qui m’a conduit dans un cadre plus proche de la lenteur magique de la terre que de l’accélérationnisme métropolitain, je peux parfois, quand les nuages m’invitent, voler tout seul… 

Auteur:  GRIZIOTTI Giorgio