Inconséquence ou prise de risque ?

Je remarque que je m’agace souvent en observant le comportement de certaines personnes que je qualifie d’inconséquentes et je me demande : qu’est-ce que l’inconséquence, le suis-je parfois moi-même ? En premier lieu, je me fais la réflexion qu’être inconséquent, c’est adopter un comportement dont les conséquences font souffrir ou portent atteinte, physiquement ou psychiquement, à moi-même ou aux personnes de mon entourage ou qui dégradent mon environnement, et au sens large, la planète.

Dans le dictionnaire, « inconséquent » est un adjectif qui qualifie une personne qui manque de logique, de cohérence dans sa conduite ; action, parole, idées irréfléchies, imprudentes ; personne qui n’envisage pas les conséquences de ses actes ou qui n’est pas prête à les assumer.
En fait, ce qui m’agace, ce sont les personnes qui ne sont pas prêtes à assumer les conséquences de leurs actes, mais aussi, celles qui ne réfléchissent pas assez avant d’agir afin d’anticiper les conséquences… anticipables !
J’utiliserai ci-après le terme « comportement » pour désigner l’action comme la non-action, la parole comme le silence, le faire comme le laisser-faire. Pour ce qui est des idées, de la pensée, je me pose la question de l’inclure ou pas car nous savons tous que notre corps parle à notre insu… Je pourrais donc l’intégrer dans le silence ou le laisser-faire. Une formatrice répétait souvent aux futurs formateurs qu’elle était en train de former : « La meilleure façon de ne pas dire quelque chose est de ne pas le penser! »
Je prends ici le postulat* que tout comportement est motivé, consciemment ou inconsciemment, par une volonté de modifier quelque chose dans le futur. Il s’agit donc d’obtenir un résultat plus ou moins précis, plus ou moins proche dans le temps, d’ampleur plus ou moins significative, qui touchera soi-même et/ou son entourage et/ou son environnement. La difficulté est que les conséquences d’un comportement sont souvent des dommages collatéraux du résultat que l’on ciblait.

Peut-on anticiper toutes les conséquences au moment de décider de notre action ?

L’anticipation se fait de manière plus ou moins réfléchie, à partir de notre expérience passée (rôle de la mémoire, smrti (YS – I.11) et à partir de notre capacité d’imagination et de créativité, vikalpa (YS – I.9), mais aussi dans l’instant, dans la réaction, grâce à notre capacité de perception et d’analyse de la situation (YS – I.7 et 8, perceptions juste et erronée). De plus, il y a les imprévus, ce qui n’est pas contrôlable, ce dont on n’a pas connaissance, ce qui ne dépend pas de nous (YS – II.15, guna). Et lorsque la situation est inédite pour nous, comment fait-on ? Probablement par analogie, avec plus ou moins de créativité, d’intuition. Il y a donc les conséquences souhaitées, plus ou moins conscientes (cf. postulat) et celles que l’on découvre !

Sommes-nous donc tous voués à avoir des comportements inconséquents ?

Examinons ce que dit la loi du karma dans le Yoga-Sûtra. Elle traite des fruits, donc des conséquences de nos comportements, qui vont impacter nos conditions de vie, dans un délai plus ou moins différé, de manière agréable ou désagréable, avec une intensité variable et qui peut durer plus ou moins longtemps. Ces conséquences peuvent aussi avoir un impact sur nos expériences de vie à venir (YS – II.12 à II.14).

Or, il est extrêmement difficile de prévoir toutes les conséquences de manière précise, dans leur nature, leur durée, leur intensité et qui ou quoi elles vont impacter. D’où une prise de risque inéluctable. Nos comportements auraient toujours une part de risque, donc d’imprudence… et d’inconséquence ! Toutefois, si la prise de risque est réfléchie, anticipée, acceptée, c’est-à-dire si je suis prête à assumer toutes les conséquences, y compris celles que je n’avais pas envisagées, peut-on encore parler d’inconséquence ? Pour autant, n’est-ce pas préjuger de mes capacités, mettre la barre trop haut ?
Peut-être serais-je seulement plus ouverte et capable de faire face aux conséquences désagréables et le cas échéant, de me relever de ce que je considérais comme un échec. Peut-être, la phrase de Nietsche,« Ce qui ne me tue pas me rend plus fort », s’appliquerait-elle plus facilement à moi. Peut-être serais-je aussi plus encline à faire preuve d’empathie envers mon entourage auquel j’aurais causé du tort. Par ailleurs, la peur des conséquences pourrait mener à l’immobilisme et à une situation qui se dégraderait jusqu’à une souffrance devenue insupportable (burn-out, suicide par exemple).


Puisque la prise de risque semble inéluctable, comment faire pour la limiter, c’est-à-dire limiter le potentiel de souffrance que mon comportement peut créer ?

La loi du karma énoncée dans le Yoga-Sûtra nous apporte des éléments de réponse. Elle énonce que le type de conséquences dépend de l’origine de la motivation de notre comportement. Elle fait référence à cinq sources potentielles de souffrance que sont l’ego, la peur, l’avidité, le rejet et la méprise concernant des valeurs fondamentales (YS – II.3 à 9). Si notre comportement est guidé par l’une de ces 5 sources, les conséquences seront potentiellement (très) difficiles à vivre, pour nous et/ou notre entourage. Or, le sutra II.16 énonce que la souffrance non encore advenue doit être évitée. Comment faire ? Le Yoga-Sûtra propose la réflexion méditative sur ce qui nous motive profondément dans notre action, dans notre vie (YS – II.10 et 11).

J’ai fait plus haut le postulat que notre comportement vise un changement, or, nous avons tous vécu la difficulté de changer notre comportement du fait de nos habitudes (comportements) et de nos conditionnements (pensées). Selon le Yoga-Sûtra, du fait de notre fonctionnement, le changement est source de souffrance par lui-même (YS – II.15), or la vie est changement, de la naissance à la mort. C’est pourquoi, le yoga propose un chemin de transformation, avec des changements progressifs par des prises de consciences successives et de petits pas qui ancrent la transformation en nous. Toutefois, reconnaissons que nous sommes souvent plus enclins à rechercher le changement chez les autres que pour nous-même ! Le changement nous est parfois imposé par la vie (maladie, burn-out, évènements extérieurs heureux comme moins heureux, etc.). Concernant notre environnement, nous changeons plus facilement nos habitudes quand nous pouvons voir directement les conséquences de nos actes que quand celles-ci sont non visibles dans notre quotidien, comme la fonte des glaces aux pôles par exemple.
Les transformations dans notre fonctionnement sont abordées au troisième chapitre du Yoga-Sûtra. Celui-ci concerne le processus de méditation comme moyen de développer de la clairvoyance sur nous-même, donc sur nos comportements. Le quatrième chapitre traite de l’influence d’une personne sur une autre, ce qui pourrait être le changement, la conséquence souhaitée par notre comportement sur notre entourage. Ainsi, le sutra IV.3 énonce : « L’initiateur du changement agit de manière indirecte, subtile. Comme le fermier, il ouvre une brèche dans la digue pour laisser l’eau s’écouler. » Il s‘agit donc de contribuer à lever les obstacles qui empêchent l’écoulement harmonieux de la vie.
Enfin, au quatrième chapitre, il est énoncé que l’action du yogi n’est ni blanche ni noire, c’est-à-dire qu’une action juste ne laisse aucune trace dans notre mémoire ni celle des autres, quelle qu’elle soit, agréable ou désagréable, pour ne créer ni rejet ni dépendance. Ne laisser aucune trace signifie qu’il n’y a plus de conditionnement, plus d’impact du passé sur le présent. Un yogi est donc une personne qui ne se pose plus la question des conséquences de son action, elle agit en levant les obstacles, pour elle-même et pour son entourage, dans la clairvoyance de la réalité dans laquelle elle est. Comment savoir si le yogi a agi comme le fermier ? Comment savoir s’il est celui qu’il prétend être ? A la qualité de sa relation avec autrui et aux résultats de ses actions.

*Postulat : Principe non démontré que l’on accepte et que l’on formule à la base d’une recherche ou d’une théorie.

Auteur:  BOOS Brigitte