Hanumân ou le voyage dans l’espace

C’est dans le Râmâyana – La Marche de Râma –, l’autre grande épopée indienne avec le Mahâbhârata, que nous sont contés l’enfance et les exploits d’Hanumân, le dieu à tête de singe.
Même si on peut le qualifier de « secondaire », par rapport aux grands dieux que sont Vishnu et Shiva, il jouit d’une extraordinaire popularité, popularité qu’il partage avec un autre dieu mi-homme mi-animal : Ganesh, le dieu à tête d’éléphant. Comme si la part animale de ces dieux, leur imperfection, les rapprochait des hommes. Hanumân, corps humain, tête et queue simiesques, grands bras et forte pilosité, est souvent choisi comme divinité d’élection par les lutteurs ou les pratiquants d’arts martiaux qui voient en lui un modèle de combattant, à la fois d’une force surhumaine et d’une droiture sans faille.

Fils du Vent

Hanumân est fils du Vent, Vâyu, et d’une nymphe céleste, Añjanâ, qui, à la suite d’une malédiction, dut renaître sous la forme d’une guenon. L’un de ses noms, car les dieux en ont toujours beaucoup,  est Âñjaneya – « Fils d’Âñjanâ ». Le nom d’Hanumân lui vient d’un épisode qui se déroule dans sa jeunesse : enfant, alors que sa mère l’a laissé seul, il prit le soleil levant pour un fruit et bondit dans les airs pour s’en saisir, déclenchant la colère d’Indra, le roi des dieux, qui envoya sa foudre contre lui ; heurtant une montagne, le jeune singe se brisa la mâchoire gauche et c’est ainsi qu’il devint « Hanumân » qui signifie : « à la mâchoire (hanu) brisée » ou simplement « à la forte mâchoire »). Voyant son fils défiguré et sans vie, Vâyu « coupa les souffles vitaux des créatures »* et le monde entier commença à étouffer. Pour l’apaiser, Brahmâ rendit la vie à l’enfant et demanda aux autres dieux de le combler de faveurs, et, comme les bonnes fées sur le berceau d’un nouveau-né, ils lui accordèrent d’être invulnérable aux armes de tous les dieux, y compris la foudre d’Indra, d’ignorer le découragement sur le champ de bataille, de changer de forme à volonté, de courir à la vitesse du vent… Mais il ne prendra conscience de ces dons exceptionnels que quand la nécessité s’en fera sentir. Son père, satisfait, se remit à souffler et le monde à revivre.Ce passage met en évidence le fait que Vâyu est la personnification de Prâna, l’énergie vitale. Hanumân, en tant que fils du Vent, est lui aussi symbole de cette énergie qui anime toute la création. Vâyu règne dans tout l’univers, de même qu’il régule chaque être humain. On peut lire dans l’Atharva Veda – l’un des quatre Veda (textes révélés de la tradition brahmanique) –, que comme « l’air tisse l’univers, le souffle tisse l’homme »…

Héros du Râmâyana

Le Râmâyana raconte l’exil dans la forêt du prince Râma (le « Charmant » et le « Sombre ») – incarnation de Vishnu ; l’enlèvement de Sîtâ, son épouse, par Râvana, un démon roi de Lankâ (l’actuel Sri Lanka) qui règne sur les râkshasa ; le désespoir de Râma qui part à sa recherche dans la forêt ; sa rencontre avec le roi des Singes, Sugrîva, qui, après quelques péripéties, charge Hanumân, son général en chef, de retrouver la belle Sîtâ. C’est le voyage d’Hanumân à Lankâ qui nous intéresse ici, mais pour vous rassurer, sachez que Râma retrouve Sîtâ, tue Râvana et accède au trône qui lui était destiné.
Hanumân part donc au sud de l’Inde et arrive au bord de l’océan qui le sépare de l’île de Lankâ… Il a un moment de découragement, mais un vieil ours – les ours sont alliés aux singes dans cette quête –, lui rappelle opportunément qu’en tant que fils du Vent il peut voler… Hanumân découvre à ce moment qu’il peut utiliser les super-pouvoirs octroyés par les dieux : il va se mettre à grandir « comme l’océan les jours de pleine lune », rassembler toutes ses forces et d’un bond prodigieux s’élancer dans l’espace. Pressé d’atteindre son but, il refuse l’aide du mont Mainâka qui lui propose de se reposer à mi-parcours et échappe grâce à ses pouvoirs à une monstresse qui veut le dévorer. Une fois à Lankâ, reprenant une taille normale, il parvient à se faufiler dans la ville et au sein même du palais de Ravâna. Il retrouve Sitâ, se fait reconnaître d’elle grâce à un anneau que lui a confié Râma, mais elle refuse de le suivre : elle veut que son mari vienne lui-même la délivrer.
Hanumân accomplira d’autres exploits fabuleux au cours de l’épopée, dont le transport dans les airs d’une montagne himalayenne afin de sauver le frère de Râma blessé à mort – et cela d’une seule main ! Une scène souvent représentée tant dans les peintures que les bas-reliefs. Mais revenons à son premier  voyage dans l’espace…

Le saut vers l’inconnu

L’auteur du Râmâyana, Vâlmiki, comme s’il usait d’un ralenti cinématographique, décrit par le menu tout ce qui agite le héros avant le décollage : « Hanumân secoua ses poils et frémit ; s’apprêtant à bondir, il replia en cercle sa queue poilue et la fit tournoyer dans les airs. Le singe raidit ses bras, pareils à deux grandes masses de fer, fléchit son corps au niveau des hanches et ploya les jambes. Contractant de même ses bras et sa nuque, le bienheureux héros rassembla toute son énergie, toute sa force et tout son courage. Regardant de loin, les yeux levés vers le ciel, le chemin qu’il devait prendre, il bloqua ses souffles en son cœur, à la vue de l’espace à traverser. Le puissant Hanumân, cet éléphant parmi les singes, prit de ses deux pieds une ferme assise sur le sol et rabattit ses oreilles, prêt à bondir. »
Enfin, Hanumân se propulse dans les airs : « Hanumân, le plus grand des héros simiens, s’éleva d’un bond dans les airs, sans que fléchit son ardeur. Son élan fut si vigoureux que les arbres qui poussaient sur la montagne replièrent toutes leurs branches et furent projetés de tous côtés. Et commence son vol au-dessus de l’océan : « Tandis qu’Hanumân survolait l’océan, le vent en s’engouffrant dans les plis du tissu qui lui recouvrait la taille, grondait comme un nuage d’orage. La vision dans le ciel de cet éléphant des singes pouvait faire penser à la chute d’une comète avec sa queue descendue des confins du firmament. »

L’arrivée à Lankâ

Hanumân touchant au but songe que son aspect gigantesque risque de le faire remarquer des râkshasa. Alors, « il ramena son corps, de la dimension d’une montagne, à une taille ordinaire, de même qu’après un moment de folie on redevient soi-même. »
« Lui qui avait franchi l’océan – exploit à tout autre impossible – en prenant différentes tailles, toutes plus prodigieuses les unes que les autres, retrouvait une dimension commune et se concentrait sur lui-même toujours dans un même but. Il se posa majestueusement, telle la pointe d’un vaste nuage sur l’un des sommets aux crêtes splendides du mont Lamba. […] Bien qu’il vint de parcourir une centaine de lieues avec la plus grande célérité, le glorieux Hanumân n’était ni essoufflé ni fatigué. »
Ce dernier paragraphe pourrait être la définition de l’attitude du parfait yogi : n’ayant jamais perdu de vue son but, quels que soient les obstacles rencontrés, prêt à continuer sa quête, il est plein d’une énergie renouvelée et parfaitement canalisée. Par sa fidélité et son dévouement à Râma (n’oublions pas que Râma n’est autre que Vishnu!), vantés tout au long de l’épopée, Hanumân représente aussi le disciple accompli.

La pratique

Plusieurs âsana portent les noms du dieu-singe :
• Hanumânasana – le grand écart – symbolise le saut prodigieux que le dieu réalise pour se rendre à Lankâ. Moins connue, une autre posture porte également ce nom : un équilibre debout, qui fait référence à l’épisode du transport de la montagne.
• Âñjaneyasana, grande fente, genou arrière au sol ou légèrement soulevé, bras levés, tête entre les bras. Cette posture, plus facile à réaliser qu’hanumânasana, figure dans la séance qui suit.
Pratiquer ces âsana est une façon de s’approprier corporellement  et d’intérioriser les qualités d’Hanumân : courage, force, endurance, persévérance… Ces postures comme les bija mantras – mantras racines – qui sont associés à Hanumân, (HAM, HRAM…) produisent un effet  brimhana.
Le mantra proposé à la fin de la séance est le suivant :  OM ÂÑJANEYÂYA NAMAH.
Bonne pratique !

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*Toutes les citations sont extraites du Râmâyana, Vâlmiki, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard.

Autres sources :
Le Râmâyana, conté selon la tradition orale, « Spiritualités vivantes », Albin Michel.
La Mythologie hindoue : Vishnu, Vasundhara Filliozat, Editions Âgamât.
Yoga et symbolisme, Shri Mahesh, Centre de relations culturelles franco-indien.

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Auteur:  PRIOUL Sylvie